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Les dérives sectaires en France : quel cadre légal ? Par Sylvania de Souza, Juriste.
Parution : lundi 27 décembre 2021
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Afin de lutter contre les dérives sectaires, certaines mesures ont été mises en place à la suite d’affaires très médiatisées. Néanmoins, ces mesures demeurent encore mal connues du grand public, alors que le rapport 2018-2020 de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) démontre que le phénomène est en plein expansion.

La question des sectes en France est un sujet d’actualité depuis déjà quelques années. De nombreuses affaires médiatisées ont suscité la réaction de l’opinion publique ainsi que celle de l’Etat, c’est notamment le cas de l’affaire du supposé suicide collectif des adeptes de l’Ordre du temple solaire à Saint-Pierre-de-Chérennes.

Le 22 janvier 2021, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires ( MIVILUDES) a publié son rapport annuel d’activité après deux ans d’enquête entre 2018 et 2020.
Les résultats sont assez alarmants et démontrent une hausse soudaine des saisines depuis le début de la crise sanitaire. Ce qui laisse à penser que le climat actuel est propice à la proliférations de nouveaux mouvements sectaires et à la prospérité des mouvements préexistants. Le fait que les signalements visant les sectes dont l’objet est la médecine alternative/ médecine douce soient en tête de liste n’est sans doute pas un hasard.

Pour rappel la MIVILUDES à une mission d’observation et de prévention des dérives sectaires et a été créée par le décret n° 2020-867 du 15 juillet 2020 modifiant le décret de création n° 2002-1392 du 28 novembre 2002.

Le présent article à pour objet de dresser un état des lieux du statut juridique des sectes en France à l’aune de ce rapport et d’apporter des éléments de réponse sur les recours dont disposent les proches et les personnes directement victimes de dérives sectaires.

I-Quelques chiffres clés.

Les principaux chiffres à retenir du rapport de la MIVILUDES sont les suivants :
- Une augmentation de 40% de saisine de la MIVILUDES entre 2015 et 2020 avec une spécificité entre 2019 et 2020 car on observe une nette augmentation passant de +0,8 en 2019 à +7,2 en 2020 ;
- En 2020 la MIVILUDES a enregistré 3 008 signalements dont 686 jugés sérieux ;
- Le domaine de la santé et du bien-être occupe à lui tout seul 38% des signalements.

II- Le régime juridique des sectes en France.

La question des sectes en France n’est pas la plus facile à traiter. En tant que signataire de nombreux traités internationaux sur les droits et libertés fondamentaux, la France se doit de respecter la liberté de culte de tout un chacun. Il faut donc avoir une idée claire de la frontière entre la liberté de religion reconnue à chaque individu et ce qui va relever de la dérive.

Bon nombre de citoyens pensent que les sectes sont interdites en France. Or ce n’est pas le cas. Les sectes en tant que telles ne sont pas interdites mais ce sont plutôt les dérives que celles-ci peuvent entraîner qui le sont. Ainsi, il faut donc bien retenir que les sectes sont admises car elles sont rattachées à la liberté de culte mais que les dérives sectaires sont par contre interdites. En d’autres mots, ce qui est sanctionné ce n’est pas la secte en elle-même car aucun texte ne le prévoit mais uniquement les dérives pénales qu’elle peut occasionner.

La confusion est compréhensible car il n’ y a pas de définition juridique officielle de ce qu’est une secte ou de ce qu’est une dérive sectaire. La MIVILUDES à sa propre définition de la dérive sectaire [1] :

« Il s’agit d’un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte à l’ordre public, aux lois ou aux règlements, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes. Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société ».

En se basant sur cette définition on peut en déduire que la dérive est caractérisée lors que la secte profite de son pouvoir sur les adhérents pour leurs causer une atteinte physique, psychologique voire matérielle. Il faut donc qu’il y ait eu infraction pénale commise à l’encontre d’une personne dans le cadre de la secte, pour que la dérive soit caractérisée.

Lorsqu’elle est caractérisée la dérive sectaire peut être sanctionnée de deux manières :
- La condamnation pour les infractions pénales réalisées par l’auteur(e) des faits dans le cadre d’un mouvement sectaire (atteinte à l’intégrité physique ou psychologique d’autrui, escroquerie, abus de faiblesse, abus de confiance, exercice illégale de la médecine, incitation au suicide etc) ;
- La dissolution de l’organisation concernée prévue par l’article 1er de loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales. Pour que la dissolution soit prononcé, l’article précise que l’auteur doit avoir été condamné à au moins une des infractions pénales listées dans le texte ;

Notons que les parties civiles peuvent aussi demander des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en vertu de l’article 1240 du Code civil.

III- Les bons réflexes à avoir pour aider un proche.

Il est souvent très difficile pour les victimes qui sont dans un engrenage de réaliser par elles-mêmes la gravité et l’anormalité de la situation dans laquelle elles se trouvent.

Si vous soupçonnez une organisation d’être auteur d’une dérive sectaire, vous avez la possibilité de réagir par différents moyens :
- Saisir la MIVILUDES pour avis afin que celle-ci mène une enquête et vous confirme bien qu’il y’a des dérives et donc matière à s’inquiéter ;
- Lorsqu’il n’ y a pas de doute sur le fait qu’il existe une dérive sectaire, vous pouvez directement signaler la dérive à la MIVILUDES sans demander d’avis. Celle-ci se chargera de transmettre votre signalement aux autorités compétentes ;
- Vous avez aussi la possibilité de vous adresser directement à des associations reconnues d’utilité publique telles que : L’UNADFI, l’association Alerte faux souvenirs induits (AFSI), France victime, Psychothérapie vigilance ou encore le Centre contre les manipulations mentales ;
- Saisir une administration de l’État en s’adressant par courrier aux correspondants “dérive sectaire” soit en préfecture, à l’Agence régionale de la santé, au rectorat etc. Il ne faut pas hésiter à se renseigner sur l’adresse et l’identité des correspondants "dérives sectaires’’ de votre région.
- Lorsque vous êtes victimes d’une infraction pénale commise dans le cadre d’une dérive sectaire, vous pouvez déposer plainte soit directement auprès du Procureur de la République soit auprès de la Gendarmerie.

Notez aussi que même si vous n’avez absolument aucun lien avec les victimes mais que vous avez connaissance de crimes réalisés au sein d’une secte (homicides, viol etc.) il est de votre devoir d’alerter la Gendarmerie ou le Procureur de la République comme le prévoit l’article 434-1 du code pénal.

Sylvania de Souza Juriste conseil en protection juridique.

[1Définition à retrouver sur son site internet, rubrique "qu’est ce qu’une dérive sectaire ?"

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