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[Nouvelle Parution] Jusqu’au bout de mes peines.
Parution : samedi 15 janvier 2022
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Un livre-témoignage bienvenu pour expliquer la fonction peu connue du Juge d’application des peines et mieux comprendre le système d’application des condamnations prononcées à la suite d’un jugement. L’occasion également de réfléchir sur la notion de peine en France et à la meilleure façon de la mettre en œuvre pour qu’elle soit comprise et utile afin qu’il n’y ait pas de récidive. Ce livre rappelle aussi que la prison n’est pas la seule sanction possible, qu’elle n’est pas toujours la solution et qu’il existe de nombreuses autres possibilités pour qu’un individu puisse s’amender de son forfait.

En découvrant ce titre "Jusqu’au bout de mes peines", j’ai tout de suite pensé à la chanson de Jean-Jacques Goldman "Au bout de mes rêves" ; pourquoi ? Je ne saurais le dire exactement, peut-être est-ce parce que pour vivre ses rêves comme pour aller au bout de sa condamnation, il faut beaucoup d’énergie, de volonté, de moyens et parfois de courage.

Dans son livre, Bérangère Le Boëdec Maurel nous entraîne sans fard et de façon personnelle dans son quotidien de Juge d’application des peines au cœur des Cévennes, territoire aux reliefs variés et difficiles d’accès.

A travers les portraits de 30 personnes condamnées, elle explique de façon didactique en quoi consiste sa fonction, ses interactions avec les autres magistrats, les services sociaux... Le travail qu’elle effectue en étroite collaboration avec les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP), autre métier d’importance dans la chaîne de l’exécution des peines.
Elle décrit avec précision ses relations avec les justiciables qui "comparaissent" devant elle, leurs parcours chaotiques souvent fait de misères humaines et sociales.

Quotidiennement, elle doit faire face à des femmes, des hommes, « tous semblables dans leur statut de condamnés et tous différents dans leur humanité » [1]. Et chaque jour elle garde espoir, même si parfois il lui faut résister à la fatigue d’espérer. L’on se rend bien compte à la lecture de ce livre que pour occuper cette fonction, il faut être stable émotionnellement et avoir une vie personnelle ou familiale la plus solide et sereine possible.
Plus largement ce livre est également l’occasion pour l’auteur de partager ses réflexions sur le sens donné aux condamnations, leur prononcé et leur exécution ; sur leur utilité sociale et individuelle.

Laissons la parole à Bérangère Le Boëdec Maurel, Juge d’application des peines :

Village de la Justice : Quelles ont été vos motivations pour écrire ce témoignage ?

Bérangère Le Boëdec Maurel : « J’ai voulu écrire ce livre tout d’abord pour mieux faire connaître le métier de juge de l’application des peines qui occupe une place primordiale dans la chaîne pénale, et qui pourtant, reste assez méconnue. 
Ce livre me permet également de tordre le cou à une idée préconçue consistant à considérer que "les peines en France ne sont pas exécutées". A travers le portrait de 30 personnes condamnées, j’explique ainsi les différentes modalités d’exécution d’une peine et mon rôle afin de veiller à ce que ces peines soient correctement exécutées.
Je fais ainsi le portrait d’un jeune homme polytoxicomane qui après de longues années en détention, est remis en liberté sous le régime de la libération conditionnelle. Je souligne la fragilité de ce jeune homme qui, ne disposant d’aucun soutien amical ou familial, vit dans la rue et ne croit plus en l’institution judiciaire ni dans les hommes et les femmes qui l’incarnent. Au gré de son portrait, j’évoque ainsi les difficultés pour les hommes et les femmes noyés dans leurs addictions à s’insérer et à vivre à nouveau avec leurs semblables. Ce chapitre, consacré à ce jeune délinquant, est alors l’occasion pour moi de réfléchir sur les finalités de la détention en termes d’accompagnement social et professionnel.A côté des portraits d’hommes sont décrits également les parcours de femmes qui ont été condamnées. C’est ainsi le cas d’une femme de soixante dix ans qui sur une courte période va multiplier les condamnations pour des faits de conduite sous l’empire de l’alcool. Je décris ainsi la relation qui va se nouer entre nous deux et les brides de sa vie qu’elle accepte de partager avec moi pour que je puisse mieux la comprendre. Elle accepte en effet très aisément d’évoquer avec l’auteur ses fragilités, ses peurs. S’instaure une relation de respect et de confiance entre nous.

"Tordre le cou à l’idée préconçue que les peines en France ne sont pas exécutées."


Tout au long du récit de ces 30 parcours de vie, j’ai aussi voulu plus largement partager mes réflexions sur mon métier, ma manière d’appréhender mon positionnement avec le justiciable et mes doutes parfois qui m’assaillent face à des dossiers particulièrement complexes tant sur un plan juridique qu’humain. »

A qui votre livre s’adresse t-il ?

« Ce livre est susceptible d’intéresser bien naturellement l’ensemble des acteurs du monde judiciaire (avocats, greffiers, etc..) et les étudiants en droit qui envisagent des carrières judiciaires.
Pour autant, par une vulgarisation des concepts juridiques, il est accessible à tous nos concitoyens qui ont un attrait pour la justice ou souhaitent tout simplement mieux connaître les modes de fonctionnement de l’institution judiciaire. »

Quel message souhaitez-vous faire passer ?

"C’est parce que les condamnés sont nos semblables, qu’ils sont dignes d’être jugés et dignes d’être punis."

« Même si certains délinquants ou criminels peuvent parfois nous faire douter de notre propre humanité, ils attendent de leur juge d’être reconnus comme leur semblable, comme des êtres humains dignes d’estime. Et c’est parce qu’ils sont nos semblables, qu’ils sont dignes d’être jugés et dignes d’être punis. »

S’il ne fallait en retenir qu’un, quel point fort souhaitez-vous mettre en avant ?

« La justice doit être rendue avec humanité. La dimension humaine doit ainsi être au cœur de nos métiers de juge. Nous ne devons jamais perdre de vue cela. »

Vous précisez que vous n’avez pas toujours été magistrate, voudriez-vous nous présenter brièvement votre parcours professionnel et comment ce dernier vous aide t-il dans votre fonction actuelle ?

« J’ai commencé ma vie professionnelle en qualité de juriste dans des organismes sociaux. J’ai ainsi travaillé dans un premier temps à la Caisse Centrale de Mutualité Sociale Agricole (CCMSA) puis à l’Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale (ACOSS) après un détachement de deux ans auprès de la délégation interministérielle de lutte contre le travail illégal (ex DILTI remplacée par la DNLF). Très tôt je me suis ainsi spécialisée dans la lutte contre le travail illégal et sur la fraude transnationale. Après plus de dix années à exercer dans ce domaine, j’ai souhaité me présenter au concours de l’école nationale de la magistrature pour exercer à compter de 2014 un premier poste de juge aux affaires familiales au tribunal judiciaire (ex TGI) d’Évreux. J’ai ensuite été nommée juge de l’application des peines en 2017 au tribunal judiciaire d’ALES. A l’occasion de ces deux postes, j’ai été amenée à régulièrement présider ou siéger à des audiences correctionnelles et à être assesseur en cour d’assises.
Grâce à ces expériences professionnelles passées, j’ai acquis indéniablement une capacité de synthèse importante qui m’est fortement utile dans mes actuelles fonctions de juge. Elles m’ont par ailleurs permises de bien connaître le monde de l’entreprise, ce qui peut m’aider aujourd’hui dans la compréhension de procédures pénales portant sur des contentieux économiques et financiers. »

Informations techniques :
- Auteur : Bérangère Le Boëdec Maurel ;
- Editeur : Enirik B. Editons ;
- ISBN : 978-2-35644-899-6 ;
- Date de parution : 03/11/2021 ;
- Nb de pages : 312 pages ;
- Prix : 18,90 euros.

Marie Depay, Rédaction du Village de la Justice.

[1Page 303 du livre.