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Réussir la vente d’un bien ayant fait l’objet de travaux irréguliers. Par Fanny Quilan, Juriste.
Parution : vendredi 31 décembre 2021
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De nos jours l’autorité administrative dispose de 2 outils pour s’assurer du respect des règles d’urbanisme, il s’agit de la déclaration préalable de travaux et du permis de construire.

Lorsque l’immeuble pris en mandat a fait l’objet de travaux il sera impératif de vérifier leur régularité sous peine pour le vendeur, et le professionnel de l’immobilier, d’être poursuivi(s) en garantie du vice caché selon la nature de l’irrégularité [1].

Pour vous prémunir contre ce risque judiciaire, il vous faudra réunir l’ensemble des documents permettant de justifier du respect des règles d’urbanisme, c’est-à-dire :
- L’autorisation d’urbanisme dans son intégralité, en ce compris les pièces graphiques ;
- La déclaration attestant l’achèvement et la conformité des travaux, en ce compris un justificatif de l’administration attestant de la conformité des travaux par rapport à l’autorisation délivrée.

De manière assez fréquente vous constaterez que l’immeuble pris en mandat a, en réalité, fait l’objet de travaux non déclarés. Dans ce cas il vous faudra connaître la nature de ces travaux afin de déterminer s’ils relevaient du champ de la déclaration préalable, ou, de celui du permis de construire (A). En effet, la possibilité de faire évoluer le bien dépendra de la nature de l’autorisation qui aurait due être obtenue (B). En revanche, les conséquences judiciaires seront identiques puisqu’elles seront uniquement liées à l’existence de l’irrégularité (C)

Sachez qu’il sera toujours possible de passer la vente en l’état, mais que la prise de décision de l’acquéreur passera nécessairement par la connaissance de l’irrégularité constatée ainsi que par l’acceptation de ses incidences. Cette prise de connaissance - irrégularité & incidence(s) - devra être posée par écrit dans l’acte de vente. Le rédacteur devra donc redoubler de vigilance (D).

A/ Le champ d’application de la déclaration préalable ou du permis de construire est déterminable d’après la nature des travaux.

Déterminer la nature des travaux irréguliers permet de savoir si ces premiers relèvent plutôt du champ de la déclaration préalable (1), ou, plutôt de celui du permis de construire (2). En fonction de l’une ou de l’autre autorisation, les conséquences pratiques et juridiques seront différentes.

1. La déclaration préalable de travaux.

Une déclaration préalable de travaux est une autorisation d’urbanisme qui est généralement exigée pour des travaux de faible importance.
Sans entrer dans le détail des cas listés ci-dessous, la déclaration est principalement rendue obligatoire pour :
- L’extension : surélévation, véranda, pièce supplémentaire, pour une surface au sol ou une surface de plancher de + de 5m2 et inf. ou égale à 20m2 ; En zone PLU l’agrandissement peut aller de 20 à 40m2 si la surface totale de plancher ne dépasse pas 150m2 ;
- La modification aspect extérieur sans modification de structure porteuse : porte, fenêtre, velux, volet, toiture ;
- La transformation d’un garage de plus de 5m2 en pièce de vie ;
- Le ravalement de façade si situé en zone protégée ou que soumis à autorisation par la Mairie ;
- La nouvelle construction indépendante de l’immeuble, l’emprise au sol & la surface de plancher doivent être inférieure ou égale à 20m2, la hauteur au-dessus du sol doit être inférieure ou égale à 12m2 ;
- La piscine non couverte de 10 à 100m2 ;
- La piscine hors sol ;
- La caravane, clôture, mur ;
- Le changement de destination d’un immeuble sans modification de structure porteuse .

2. Le permis de construire.

Le permis de construire est une autorisation d’urbanisme qui est exigée pour les constructions nouvelles de plus de 20 m² de surface de plancher ou d’emprise au sol. Elle est également exigée pour les bâtiments existants faisant l’objet de travaux d’extension d’ampleur, ou encore, de changement de destination attenant à la structure porteuse.

Sans entrer dans le détail des cas listés ci-dessous, le permis est principalement rendu obligatoire pour :
- La construction d’une maison individuelle de + de 20m2 ;
- Le cas échéant : agrandissement d’une maison individuelle => contactez votre Mairie ;
- La piscine de +100m2, ou, piscine ouverte entre 10 et 100m2 & de hauteur de couverture de +12m2 ;
- La nouvelle construction indépendante de l’immeuble de +20m2 ;
- Le changement de destination avec travaux de structure porteuse ;
- La reconstruction à l’identique => contactez la Mairie.

B/ La possibilité de faire évoluer son bien dépend de la nature de l’ irrégularité.

Les conséquences administratives de l’irrégularité d’une construction sont différentes selon l’une ou l’autre de ces deux autorisations. En effet, une construction réalisée sans déclaration préalable (1) ne sera pas assimilable à une construction réalisée sans permis (2) (CE, 10/02/17 n°373898) puisque cette première bénéficiera d’une prescription décennale.
Le bien sera donc susceptible d’évoluer de manière régulière, c’est à dire légalement, à l’échéance de cette prescription. En revanche, cela ne sera jamais le cas d’un bien pour lequel l’irrégularité découle de l’absence d’un permis de construire.

1. L’irrégularité tenant à l’absence de déclaration préalable de travaux : L’évolution du bien est possible à l’échéance de la prescription décennale (Art. L.421-9 c.urba)

1.1 Dans le cas où les travaux irréguliers auraient moins de 10ans et que l’acquéreur voudrait faire évoluer le bien sans délai, il faudra que le vendeur dépose une déclaration préalable afin de régulariser cette situation et de garantir l’évolution du bien sans délai après son acquisition.
Dans ce cas, vous pourrez prévoir d’insérer une condition suspensive liée au résultat de cette régularisation.
Sauf exception tenant à la renonciation expresse par l’acquéreur, cette régularisation nécessitera de purger le recours des tiers afin d’obtenir l’attestation de conformité.
En cas d’impossibilité de régulariser, l’acquéreur pourra choisir entre la résolution de la vente (clause résolutoire), ou bien, l’acquisition du bien en l’état (avec son irrégularité & ses incidences).
Faute de pallier à l’irrégularité initiale, la Mairie pourra refuser à l’acquéreur la réalisation de nouveaux travaux et ce, dans un délai de 10 ans à compter de l’achèvement des travaux initiaux (charge au vendeur de fournir à l’acquéreur des justificatifs attestant du point de départ de ce délai).

1.2 A contrario, dans le cas où les travaux auraient plus de 10 ans et que l’acquéreur voudrait faire évoluer son bien il bénéficiera de la prescription décennale.
Il pourra donc faire évoluer son bien sans contrainte puisque l’irrégularité sera prescrite par l’échéance des 10 ans. Cela suppose évidemment de prouver la prescription et de pouvoir en justifier.
Dans cette circonstance (uniquement celle-ci), la loi instaure un principe de prescription décennale au terme duquel la construction sera "réputée régulière" (la construction cesse d’être irrégulière) avec toutes les conséquences de droit que cela implique, notamment celle de pouvoir faire évoluer son bien.
Autrement dit, la Mairie ne pourra plus fonder son refus sur l’irrégularité de la construction initiale.

2. L’irrégularité tenant à l’absence de permis de construire : l’évolution du bien est conditionnée par sa régularisation (Art. L.421-9 c.urba).

Dans le cas où l’acquéreur voudrait faire évoluer son bien par l’ajout d’un élément structurellement lié à la construction irrégulière, il devra déposer un permis de construire pour l’ensemble des travaux (anciens et nouveaux) projetés. Cette obligation sera valable en toutes circonstances et quelque soit le délai écoulé entre la réalisation des travaux initiaux et de ceux nouvellement projetés.
Autrement dit, le nouveau permis ne lui sera accordé qu’à la condition que les travaux (anciens et nouveaux) soient conformes aux dispositions en vigueur à la date de sa demande.
Ainsi, la Mairie pourra à tout moment, et même après 10 ans, fonder son refus sur l’irrégularité de la construction initiale. Cela signifie que la construction ne cessera pas d’être irrégulière, même si les actions pénales et civiles sont prescrites.
Autrement dit, l’évolution de ce bien sera conditionnée par la régularisation de la construction initiale. A défaut, le bien ne pourra pas évoluer.
A cela s’ajoute qu’en cas de sinistre, l’acquéreur ne bénéficiera pas du droit à la reconstruction identique puisque ce droit ne vaut qu’à la condition que la construction initiale soit régulière.
Ainsi, l’irrégularité de la construction initiale au regard du droit de l’urbanisme pourra toujours être opposée par la Mairie à l’acquéreur dans le cadre d’une nouvelle demande d’autorisation administrative.
Prendre connaissance de cette irrégularité au stade du mandat et de l’estimation est important puisque le vendeur ne pourra prétendre vouloir obtenir le même prix de vente que s’il avait s’agit d’une construction régulière. Cela est d’autant plus vrai lorsque l’irrégularité porte sur une partie importante du bien (une ou plusieurs pièce(s) habitable(s)).
[Pour l’estimation des surfaces irrégulières, vous pourrez utiliser la méthode de calcul de la ’surface utile’ définie à l’art.R.331-10 du CCH].

De manière plus courante et si vous décidez d’estimer la surface irrégulière au prix du marché (et même si ce n’est pas le cas) vous pourrez insérer une condition suspensive liée au résultat de cette régularisation. Cette régularisation nécessitera de purger le recours des tiers afin d’obtenir l’attestation de conformité.
En cas d’impossibilité de régulariser, l’acquéreur pourra choisir entre la résolution de la vente (clause résolutoire), la renégociation du prix de vente (il est important de l’envisager pour la réussite de votre dossier), ou encore, l’acquisition du bien en l’état (avec son irrégularité & ses incidences).

C/ les différentes actions judiciaires sanctionnant l’irrégularité.

La mise en conformité des lieux, ou la démolition des ouvrages irrégulièrement construits peuvent être demandées dans un délai de 5 ans par un particulier qui a un intérêt à agir (1), et de 6 (2) ou 10 ans (3) par la Collectivité qui peut s’en réclamer sans préjudice. A ce stade, la nature de l’autorisation qui aurait due être obtenue est sans importance.

1. La responsabilité civile peut être engagée par un particulier justifiant d’un intérêt réel dans un délai de 5 ans à compter du jour où il a eu connaissance des faits (art. 1240 & art. 2224 du cc art. L.600-1-2 alinéa 1° CU).

Cette action s’exerce dans le délai de 5 ans courant, à compter du jour ou le particulier découvre les faits lui permettant d’exercer cette action.
Le particulier doit justifier d’un préjudice, de nature à « affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance » du particulier.

2. La responsabilité pénale de l’auteur peut être engagée par la Collectivité dans un délai de 6 ans à compter de l’achèvement des travaux (art.8 du code pénal).

Cette action s’exerce dans le délai de 6 ans courant à compter du jour où l’infraction a été commise. Le « point de départ » de ce délai courant à compter du jour où les travaux sont totalement terminés.
La Commune doit constater l’infraction dans un procès-verbal obligatoirement suivi d’une mise en demeure, et inviter le contrevenant à présenter ses observations et/ou mettre en conformité.

3. La responsabilité civile de l’auteur de l’infraction peut être engagée par la Collectivité dans un délai de 10 ans à compter de l’achèvement des travaux (Art.L.480-14 du CU, Art.L.480-1 Code urbanisme).

Cette action s’exerce dans le délai de 10 ans courant à compter du jour où l’infraction a été commise.
Le « point de départ » de ce délai courant à compter du jour où les travaux sont totalement terminés.
La Commune doit constater l’infraction dans un procès-verbal obligatoirement suivi d’une mise en demeure et inviter le contrevenant à présenter ses observations et/ou mettre en conformité.

D/ Passer la vente en l’état de l’irrégularité à la condition d’en faire exactement mention.

Conformément à l’art.1604 du c.civ, la délivrance du bien devra correspondre exactement à la chose définie au contrat de vente.
Autrement dit, la seule circonstance qu’un immeuble soit en infraction n’entraîne pas la nullité de la vente. En revanche, l’acte de vente devra faire exactement mention de l’irrégularité & des incidences.
L’acquéreur devra être parfaitement informé de la situation & des risques encourus.

Pour éviter le risque judiciaire il est conseillé de redoubler de vigilance, c’est à dire :
- D’indiquer clairement que l’absence d’autorisation d’urbanisme laisse supposer que la construction est illégale, ce dont l’acte de vente devra faire exactement mention ;
- D’informer les acquéreurs de la possibilité d’insérer une condition suspensive et résolutoire liée à la régularisation de la construction, ce à quoi ils devront expressément renoncer par écrit dans l’acte de vente ;
- De s’assurer et d’indiquer par écrit dans l’acte que les acquéreurs ne font pas «  de la possibilité d’exécuter des travaux nécessitant l’obtention préalable d’une autorisation de construire une condition déterminante de leur acquisition  ».
- De préciser s’il existe ou non un risque de démolition ;
- D’informer et d’alerter les acquéreurs des autres incidences de la non-conformité du bien, et notamment, lorsque c’est le cas, des risques judiciaires encore ouverts, de l’impossibilité de procéder à des travaux évolutifs, de l’impossibilité de reconstruire à l’identique en cas de sinistre, ou encore du risque de ne pas pouvoir revendre au prix du marché etc... ;

L’acquéreur ainsi informé et qui réitèrera l’opération de vente dans ces conditions sera censé avoir accepté le risque, puisque de jurisprudence constante « les conséquences d’un engagement librement souscrit et déclaré valable ne constituent pas un préjudice réparable ».
En outre, l’action en résolution de la vente pour « défaut de délivrance conforme de la chose vendue » sera, en principe, insusceptible d’aboutir puisque les acquéreurs recevront un bien conforme à ce qui aura été décrit dans l’acte de vente.
Le vendeur ne sera donc responsable d’aucun manquement contractuel puisque la chose vendue sera conforme à celle décrite au contrat.
Mais attention, en la matière un risque juridique demeure toujours.

Fanny Quilan Responsable juridique du réseau immobilier AXO

[1Cf : Cass. 3e civ. 10-6-2021 n° 20-11.902 F-D, L. c/ SCI Les Orchidées, l’impossibilité de reconstruire à l’identique constitue un vice caché.