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Loi santé au travail : nouveaux leviers de prévention des risques professionnels et du harcèlement. Par M. Kebir, Avocat.
Parution : mardi 4 janvier 2022
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La loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, est entrée en vigueur, en grande partie, au 31 mars 2022.
En somme, celle-ci, outre la mise en œuvre du service de prévention et de santé au travail (SPST), crée de nouvelles obligations à la charge des entreprises.

Elargissement des obligations liées à la tenue du document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), création du passeport de prévention. Ainsi que, à l’effet de prévenir la désinsertion professionnelle, l’instauration d’une visite médicale de mi-carrière pour les salariés de 45 ans. A cela s’ajoute la création d’un rendez-vous de liaison pour les longues absences.

C’est dire que l’axe principal consiste à renforcer la prévention primaire.

Instruments de prévention rénovés : le SPST.

Touchant à l’ingénierie de la santé et sécurité, plusieurs aménagements renforcent les attributions des services de santé au travail (SST). Qui deviennent services de prévention et de santé au travail (SPST).

Au fond, l’objectif étant d’offrir un accompagnement de proximité aux salariés. En cela, l’évolution notable est matérialisée par l’obligation, pour chaque SPST, de compter, désormais, une cellule dédiée à la prévention [1]. De surcroît, l’organisation et les relations avec les autres acteurs sociaux, comme l’Assurance maladie (voir ci-après), seront développées aux fins de meilleures synergies.

En outre, les nouvelles missions visent aussi bien la préservation de l’état de santé du travailleur - son suivi individualisé -, dans la sphère professionnelle, que l’évaluation et la prévention des risques susceptibles d’y survenir.

Aussi, l’amélioration des conditions de travail est renforcée via la généralisation du télétravail.

Pour ce faire, les SPST devront être soumis à une procédure de certification et d’agrément d’une durée de 5 ans.

En cas de manquements constatés, ils encourent le retrait de l’habilitation par l’administration. En ce sens, à l’effet d’y remédier, une injonction de mise en conformité peut être ordonnée par l’autorité administrative. Dans un délai préalablement fixé.

Par ailleurs, les SPST interentreprises doivent, quant à eux, fournir aux entreprises concernées un ensemble de fonctions - un socle de services en matière de prévention des risques professionnels, et la prévention de la désinsertion professionnelle [2].

DUERP - le programme pluriannuel de prévention des risques.

Le document unique d’évaluation des risques est un outil impératif pour toute démarche de prévention. Ce document regroupe tous les risques que le travailleur encoure dans l’entreprise, les moyens mis en place pour les éviter, les outils et mécanismes de prévention... Par l’effet de la réforme, les DUERP doivent être conservés, par l’entreprise, pour une période de 40 ans et accessible à tous les salariés. D’où une facilité d’accès aux contenus, tout en conservant une sécurité optimisée relativement à la confidentialité des données.

Au titre de la prévention, la réforme généralise les consultations médicales au moyen de la télémédecine ou la téléconsultation. Deux conditions s’y appliquent : l’accord du salarié outre des garanties quant à la confidentialité.

De même, s’agissant des salariés qui effectuent une activité à risque et qui doivent bénéficier d’un suivi individuel soutenu, la réforme de 2021 prévoit une visite médicale de mi-carrière l’année de leur anniversaire de 45 ans. Par cet examen, la médecine du travail a pour but de prévenir le vieillissement au travail et la désinsertion professionnelle. Tel examen vise, du reste, à évaluer l’adéquation de l’état de santé du salarié avec les contraintes de son poste.

En outre, la réforme transpose la mise en place des actions de prévention dans les entreprises de travail temporaire. Il s’agit là d’une expérimentation qui va s’étendre sur une durée de trois ans à partir du 31 mars 2022 [3].

Autre nouveauté : Le DUERP et ses mises à jour doivent faire l’objet d’un dépôt dématérialisé sur un portail numérique. Lequel espace doit garantir la conservation et la mise à disposition du contenu, autant il préserve la confidentialité des données. Cette obligation de dépôt dématérialisé est applicable à compter du 1er juillet 2023, pour les entreprises dont l’effectif est supérieur ou égal à 150 salariés. Celles dont l’effectif est inférieur à 150 salariés, la date sera fixée par décret.

Renfoncement de l’obligation de sécurité de résultat.

De droit constant, c’est à l’employeur de prouver qu’il n’a pas commis de manquements quant à l’observation des conditions de travail, en vertu de son obligation de sécurité de résultat [4]. A cet égard, il doit mettre en place des actions et mesures nécessaires en vue d’assurer la sécurité mentale et physique de son salarié [5]. En clair, s’impose à l’employeur une triple obligation : celle de ne pas faire, celle de faire et celle, le cas échéant, de réparer le préjudice causé [6].

Ici, la nouveauté apportée est l’harmonisation de la définition du harcèlement sexuel entre le Code pénal et le Code du travail.

En effet, la loi ajoute le terme « sexiste » au 1° de l’article L1153-1 du Code du travail. D’où il suit que, il est fondé de caractériser des faits de harcèlement sexuel, dès lors que des propos ou comportement revêtent une connotation sexiste.

Ainsi, la réforme prévoit que

« le harcèlement sexuel est également constitué :

a) Lorsqu’un même salarié subit de tels propos ou comportements venant de plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ;

b) Lorsqu’un même salarié subit de tels propos ou comportements, successivement, venant de plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition ;

2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ».

En cela, la charge de la preuve du harcèlement ne pèse pas sur la victime.

QVCT et création du passeport de prévention.

La qualité de vie au travail (QVT) concerne « les actions qui permettent de concilier amélioration des conditions de travail pour les salariés et performance globale des établissements de santé » [7]. La QVT permet l’ouverture de différentes thématiques telle que l’égalité professionnelle homme-femme, lutte contre les discriminations professionnelles, compromis entre la vie personnelle et la vie professionnelle. La réforme analysée, en transposant l’Accord National Interprofessionnel (ANI) du 9 décembre 2020 sur la santé au travail [8], entend renforcer les instruments de prévention de la santé au travail, à travers, notamment, la création du passeport de prévention des travailleurs.

Lequel passeport a pour objectif de baliser les formations du salarié, tout au long de sa carrière ; se référant aux diplômes, certificats et attestations au cours de sa vie professionnelle. Document susceptible d’être complété par l’employeur - si la formation est suivie dans l’exercice des fonctions du salarié. Néanmoins, ces éléments peuvent tout autant être renseignés par le travailleur lui-même, s’il a réalisé celle-ci de son propre chef. Aussi peut-il y inscrire les diplômes obtenus [9].

Ces modalités entreront en vigueur le 1er octobre 2022, au plus tard. Ce faisant, cela permet à l’employeur, entre autres, d’avoir des éléments sur les compétences du salarié, lui permettant de mieux concilier ses conditions de travail et ses projections en termes de carrière. En matière d’amélioration de la qualité de vie au travail, ledit Accord National Interprofessionnel prévoit des aménagements rentables. En ce sens que, s’agissant de la QVCT, les conditions de travail des salariés vont de pair, désormais, avec l’organisation de l’entreprise.

D’ailleurs, les partenaires sociaux devront aborder tous les 4 ans - dans le cadre des négociations périodiques obligatoires -, la question de la QVCT. Partant, l’accord conclu à l’issue de ces négociations devra aborder ce thème [10]. Ces dispositions sont d’ordre public.

A défaut d’accord sur le sujet, ou en cas de non-respect de ses stipulations, l’employeur devra engager, chaque année, une négociation sur l’égalité professionnelle femmes/hommes et la qualité de vie et des conditions de travail [11]

Médecine de travail.

Dans les zones tendues - désert médical oblige, le suivi médical pourra être réalisé par un médecin praticien correspondant (MPC). Toutefois, au titre de l’article L4623-1 du Code du travail, seul le médecin du travail est compétent aux fins de proposer des aménagements de poste, des horaires de travail, voire déclarer l’inaptitude du salarié. Lequel médecin aura, ce faisant, accès au dossier médical partagé (DMP) qui comportera un volet relatif à la santé au travail.

Désinsertion professionnelle.

Différentes mesures visant à prévenir la désinsertion professionnelle sont prévues. C’est le cas de la nouvelle cellule pluridisciplinaire de prévention [12].

De plus, dorénavant, il est prévu le partage d’informations entre les organismes d’assurance maladie et les SPST [13]. Dans le même ordre d’idées, du point de vue de la prévention, le référent handicap est habilité à prendre part au rendez-vous de liaison et à la visite médicale de mi- carrière précitées [14].

En définitive, la prévention des risques professionnels s’accompagne de la nécessaire mise sur pied de process innovants tournés vers l’humain. En substance, des outils contributifs : la QVT, le dialogue inclusif, la médiation, entre autres. Outre la formation du dirigeant, quant à ses obligations et responsabilités, la mutualisation des moyens et l’implication efficiente de l’ensemble des acteurs : CSE, référent harcèlement, référent handicap…

Il reste que, davantage de synergies interprofessionnelles sont requises à la consécration effective de la QVCT. Concrètement, ici, les RPS et AT/MP doivent être combattus en amont. Ce qui implique de faire de la prévention une priorité managériale, au regard des dispositions du Code du travail. L’actualité y afférente, relativement aux chiffres inquiétants de la souffrance au travail, rappelle que le burnout n’est toujours pas admis au titre de maladie professionnelle.

Me. Kebir Avocat à la Cour - Barreau de Paris Médiateur agréé, certifié CNMA Cabinet Kebir Avocat E-mail: [->contact@kebir-avocat-paris.fr] Site internet: www.kebir-avocat-paris.fr LinkedIn : www.linkedin.com/in/maître-kebir-7a28a9207

[1Nouvel article L4622-2 du Code du travail qui entrera en vigueur au 31 mars 2022.

[2Art. L4622-9-1 Code du Travail.

[3Loi 2 août 2021 transposition de l’ANI santé au travail | Vie publique.fr (vie-publique.fr).

[4Art L4122-1 du Code du Travail.

[5Santé et sécurité au travail - L’obligation de sécurité de résultat : une notion séduisante, mais inappropriée - Étude par Gérard Vachet - Lexis 360® (parisnanterre.fr).

[6V. E. Jeansen, Droit de la protection sociale : LexisNexis, 1re éd., 2013, n° 144 et s., p. 123.

[8L’acronyme QVT devient QVCT (Qualité de Vie et des Conditions de Travail).

[9Art. L4141-5, Code du Travail.

[10Art. L2242-11, Code du Travail.

[11A l’effet de renforcer la prévention et l’amélioration de la santé au travail, la négociation annuelle obligatoire sur l’égalité professionnelle pourra également porter sur les conditions de travail (Art. L2242-19-1).

[12Art. L4622-10, Code du Travail.

[13Art. L315-4 et art. L4622-2-1, Code de sécurité sociale.

[14Art. L5213-6-1, Code du Travail.