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Imposition des bénéfices des trusts : ce que prévoit le Projet de loi de finances pour 2022. Par Elliot Bramham, Planificateur Financier et Thomas Galicher, Juriste.
Parution : mercredi 5 janvier 2022
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A partir du 1er janvier 2022, le champ d’application du régime d’imposition des bénéfices issus de trusts prévu au 4 ter de l’article 123 bis du Code Général des Impôts (CGI) sera élargi conformément au projet de loi de finances pour 2022.

Cette extension, issue d’une saga jurisprudentielle et législative nourrie, vise à harmoniser les dispositifs anti-abus concernant la fiscalité des trusts, amorcée en matière d’impôt sur la fortune (ISF), ici poursuivie en matière d’impôt sur le revenu (IR).

Le trust, entité juridique issue du droit anglo-saxon dont l’appellation certes constitue un anglicisme mais est nonobstant codifiée comme tel à l’article 792-0 du CGI, peut mener son constituant à être imposé selon le régime organisé par l’article 123 bis du CGI.

Celui-ci prévoit que dès lors qu’une personne physique détient 10% des actions, parts, droits financiers ou droits de vote d’une entité juridique constituée principalement de valeurs mobilières, établie hors de France et soumise à un régime fiscal privilégié - ce qui fait bel et bien référence à un trust - ; les bénéfices de ce trust - distribués ou non - sont réputés constituer pour cette personne des revenus de capitaux mobiliers, alors imposés à l’IR ou au prélèvement forfaitaire unique (PFU), que ce seuil de détention de 10% soit effectivement atteint ou non.

Pour faciliter cet assujettissement, le législateur a depuis 2010 prévu au 4 ter de l’article 123 bis du CGI une présomption de satisfaction du seuil de détention de 10%, qui joue dès lors que le trust est situé dans un État ou territoire non coopératif au sens de l’article 238-0 A du CGI. Il s’agit de territoires considérés comme opaques fiscalement, refusant entre autres les standards internationaux de transparence et d’échange d’informations fiscales établis par l’OCDE, tels le Panama, les Îles Vierges Britanniques ou encore les Seychelles, cette liste étant actualisée chaque année.

Le PLF pour 2022 [1] crée une seconde situation permettant de satisfaire cette présomption, fondée sur la saga jurisprudentielle et législative en matière de soumission à l’ISF des biens détenus à l’étranger via des trusts, qu’il convient d’étudier afin de bien comprendre le sens de cette évolution législative.

I. Trusts irrévocables et discrétionnaires : une stratégie de contournement de l’impôt sur le patrimoine finalement neutralisée.

Dans un premier temps, deux décisions de justice ont permis le non-assujettissement à l’ISF (devenu IFI) sous certaines conditions. La théorie suivie était celle de l’absence de contrôle sur les actifs transférés au trust : dès lors que l’Administration fiscale n’établissait pas que le constituant disposait de droits réels sur les biens transférés, ceux-ci ne pouvaient entrer dans l’assiette de l’ISF. Deux attributs du trust ont été retenus par la jurisprudence pour caractériser le défaut de propriété :
- Le trust doit être discrétionnaire [2] : l’administrateur du trust (le trustee) bénéficie d’un pouvoir discrétionnaire de gestion des biens placés et de distribution des bénéfices, le constituant s’étant alors dépossédé des droits réels sur ces biens entrant en temps normal dans le patrimoine soumis à l’ISF. Ainsi, « la perception de revenus annuels provenant de deux trusts de droit américain ne suffit pas à faire peser sur leur bénéficiaire une quelconque présomption de propriété sur des valeurs mobilières, dès lors que l’administration fiscale n’apporte [...] [pas] la preuve que le bénéficiaire des revenus a des droits réels représentant une valeur patrimoniale » ;
- Le trust doit être irrévocable [3] : le constituant ne peut pas révoquer la convention, par conséquent il ne peut entrer en possession des biens confiés.

Dans un second temps, cette jurisprudence fut malmenée en 2011 par la création de l’article 885 G ter du CGI (aujourd’hui renuméroté à l’article 970 et adapté au régime de l’IFI) qui inaugura le principe de rattachement au patrimoine du constituant des avoirs en trust et leur soumission automatique à l’ISF, et ce peu importe le caractère irrévocable du trust. Ainsi, une présomption irréfragable de propriété pesait sur le constituant.

Finalement, en réaction à ce régime stricte, une QPC a été soumise à l’appréciation du Conseil constitutionnel, où le requérant reprenait la thèse jurisprudentielle précédemment exposée, reprochant ainsi à cette disposition de conduire à l’imposition du constituant d’un trust irrévocable et discrétionnaire à raison des biens placés dans ce trust, alors même qu’il en est dépossédé et qu’il n’en a plus la disposition.

Dans sa décision de 2017 [4], le Conseil a allégé cette présomption en admettant que le constituant d’un trust puisse démontrer qu’il n’est pas le propriétaire des actifs et des avoirs placés dans ledit trust dans le cadre d’un montage artificiel destiné à éviter l’impôt.

Néanmoins, il se conforme à l’intention du législateur en précisant que « cette preuve ne saurait résulter uniquement du caractère irrévocable du trust et du pouvoir discrétionnaire de gestion de son administrateur ».

Ces deux caractéristiques, aussi exploitées par des contribuables afin d’éviter l’impôt sur le revenu, ont été intégrées dans le projet de modification de l’article 123 bis du CGI.

II. Imposition des bénéfices des trusts irrévocables et discrétionnaires : l’harmonisation entreprise par le PLF pour 2022.

La lutte contre les trusts irrévocables et discrétionnaires comme appareils d’évitement de l’ISF était donc bien amorcée.

Cependant, ces structures restaient efficaces en matière d’évitement de l’IR. En effet, certains contribuables ont pu mobiliser ces conditions jurisprudentielles afférentes à l’ISF dans le but de renverser la présomption de détention de 10% et ainsi d’échapper à l’impôt sur le revenu applicable aux bénéfices issus d’un trust. Au travers d’un arrêt de 2020 [5], la Cour administrative d’appel de Paris reprend la théorie de l’absence de contrôle et conclut à la non-imposition des bénéfices d’un trust irrévocable et discrétionnaire :

« Il résulte toutefois de l’instruction que les trusts [...] auxquels ont été transférés des actifs [...] ont un caractère irrévocable et discrétionnaire. M. et Mme F... ne détiennent aucune action, part ou droit de vote dans ces trusts. S’ils peuvent être amenés à percevoir les bénéfices réalisés par le trust, il est constant que la décision de distribuer des bénéfices et la fixation du montant des distributions est à la discrétion du trustee, soit la société Boston Trust, dont il ne résulte pas de l’instruction qu’elle serait contrôlée par M. F... et sa famille. Les requérants ne sauraient par suite être regardés comme détenant des droits financiers dans les trusts [...] et sont par suite fondés à soutenir que [...] les dispositions du 1 de l’article 123 bis du Code général des impôts ne leur sont pas applicables au motif qu’ils détiendraient de tels droits ».

Elle déduit logiquement qu’un trust irrévocable et discrétionnaire ne peut, de par ces attributs, appartenir aux bénéficiaires, qui ne disposent d’aucuns droits de vote ou droits financiers, la distribution des revenus n’incombant qu’à la décision discrétionnaire du trustee.

Par conséquent, dans un souci d’harmonisation, l’article 133 du PLF pour 2022 prévoit de transposer la réserve d’interprétation dégagée par l’arrêt du Conseil constitutionnel en matière d’ISF dans le 4 ter de l’article 123 bis du CGI en matière d’IR :

« La condition de détention de 10% prévue au [1er alinéa] est présumée satisfaite :
- a) Par le constituant ou le bénéficiaire réputé constituant d’un trust, au sens de l’article 792‑0 bis. La preuve contraire ne saurait résulter uniquement du caractère irrévocable du trust et du pouvoir discrétionnaire de gestion de son administrateur ;
- b) Ou par la personne physique qui a transféré des biens ou droits à une entité juridique située dans un État ou un territoire non coopératif, au sens de l’article 238‑0 A
 ».

Cette codification complète ainsi les dispositifs législatifs anti-abus en matière de fiscalité des trusts. Désormais, la nature irrévocable et discrétionnaire de trusts ne suffit plus pour contourner la présomption de détention de 10% afin d’éviter l’imposition au titre des revenus de capitaux mobiliers, mais ne constitue plus qu’une partie insuffisante d’un faisceau d’indices.

Ainsi, suite à la neutralisation jurisprudentielle des trusts irrévocables et discrétionnaires en matière d’ISF, le PLF pour 2022 poursuit le programme français de lutte contre l’évasion fiscale en neutralisant à son tour ces trusts en matière d’imposition des revenus de capitaux mobiliers, armant l’Administration fiscale pour mener à bien cet objectif crucial.

Elliot Bramham, Planificateur financier et Thomas Galicher, Juriste.

[1PLF n°4482 pour 2022, article 133, texte définitif provisoire établi à l’Assemblée nationale.

[2TGI Nanterre, 4 mai 2004, n° 03/09350.

[3Cass. Com., 31 mars 2009, n° 07-20.219.

[4Décision QPC, 15 décembre 2017, n° 2017-679.

[5CAA de Paris, 2e ch., 24 juin 2020, n°19PA00458.

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