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Permis de construire et nouvel acquéreur : les faux-amis. Par Antoine Louche, Avocat.
Parution : mardi 4 janvier 2022
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Si dans la quasi-totalité des cas l’acquéreur potentiel d’un bien immobilier se renseigne sur les caractéristiques de ce dernier et notamment des droits à construire liés à cette propriété, le périmètre de cette analyse est toutefois souvent trop réduit. Il convient en effet de s’intéresser à l’environnement immédiat du bien.

Concrètement cela implique notamment de déterminer si des projets sont envisagés ou déjà autorisés sur les parcelles voisines.

Une toute récente décision du Conseil d’Etat est venue rappeler, de manière indirecte, la nécessité de se livrer à une telle analyse.

En effet, depuis 2013, sauf pour l’Etat, les collectivités locales ou leurs groupements et les associations, toute personne souhaitant contester au contentieux un permis de construire, de démolir, d’aménager ou une déclaration préalable doit justifier de son intérêt à agir, à peine d’irrecevabilité de son recours. Par faciliter de langage, nous n’évoquerons plus que le cas du permis de construire.

Concrètement, le demandeur doit apporter au juge des éléments permettant de laisser supposer que le projet litigieux est de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son propre bien. Il s’agit bien souvent de perte ou de création de vues, de perte d’ensoleillement ou encore d’une création ou augmentation du trafic routier dans les environs du projet.

Très rapidement, la jurisprudence a reconnu au voisin immédiat du projet, une présomption d’intérêt à agir, au regard de sa situation particulière par rapport au projet [1].

Bien qu’il s’agisse d’une présomption simple, qui peut donc être contestée notamment par le porteur de projet, le voisin immédiat se verra dans les faits reconnaître, dans la très grande majorité des cas, un intérêt à agir à contester le permis.

Rappelons que disposer d’un intérêt à agir contre un permis autorise uniquement à le contester et ne garantit nullement que ce dernier sera annulé par le juge.

Pourtant, la réforme de 2013 et les réformes suivantes ont toutefois précisé les modalités dans lesquelles l’intérêt à agir des demandeurs doit être analysé. A ce titre, un nouvel article L600-1-3 du Code de l’urbanisme a fixé le principe suivant :

« sauf circonstance particulières, l’intérêt à agir du demandeur s’apprécie à la date d’affichage en mairie du dépôt de la demande ».

Cette restriction chronologique n’est pas sans incidence pour le requérant et notamment lorsque ce dernier est récemment devenu voisin ou riverain du projet.

Dans l’espèce soumise au Conseil d’Etat, il ressortait des pièces du dossier que la société requérante était devenue propriétaire du terrain au titre duquel elle justifiait de son intérêt à agir contre le permis de construire postérieurement à la délivrance du permis.

Par principe, cette société ne disposait donc effectivement pas d’un intérêt à agir en application de l’article L600-1-3 précité du Code de l’urbanisme, sauf à pouvoir justifier de circonstances particulières.

L’intérêt de la décision commentée porte précisément sur ce point.

Le Conseil a en effet considéré que les arguments avancés par la société requérante pour tenter de justifier de circonstances particulières de nature à lui permettre de se voir reconnaître un intérêt à agir étaient insuffisants.

Cette société avait soutenu d’une part, que son recours n’avait pour seul but que de mener à bien son propre projet et de préserver ses intérêts, à l’exclusion de toute intention malveillante.

Très directement, cette argumentation tendait plus selon nous à soutenir que le recours n’était pas abusif. Or, il est constant qu’il convient de distinguer recours abusif et recours irrecevable.

D’autre part, la société requérante soutenait que le bénéficiaire du permis « aurait entretenu la confusion en continuant à afficher sur son terrain des autorisations caduques ou retirées ». Cet argument a également été écarté et rejeté par le Conseil d’Etat qui a estimé que ces éléments ne sauraient avoir le caractère de circonstances particulières au sens de l’article L600-1-3 du Code de l’urbanisme.

Cette décision illustre le caractère quasi-exceptionnel attaché à cette notion de circonstances particulières qui ne devraient, au regard de son caractère dérogatoire, trouver à s’appliquer que de manière particulièrement ponctuelle.

Références : CE, 13 décembre 2021, Société Océan’s Dream Resort, n°450241 ; CE, 13 avril 2016, Bartolomei, n° 389798.

Antoine Louche, Avocat associé chez Altius Avocats www.altiusavocats.fr

[1Voir CE, 13 avril 2016, Bartolomei, n° 389798.

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