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Le système carcéral en Suède, un modèle à suivre. Par Stéphanie Olson, Avocat.
Parution : mercredi 19 janvier 2022
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Alors que notre taux de population carcérale a encore augmenté, en Suède on ferme des prisons.
En France, nous sommes à 113% d’occupation des établissements pénitentiaires.
Dans les maisons d’arrêt, où sont incarcérés les détenus en attente de leur jugement, ou ceux condamnés à de courtes peines, nous sommes à un taux de 132%
Nous lisons dans les actualités toujours la même chose : deux, trois, quatre personnes entassées par cellule, des cellules pour rappel de 9 m2 en moyenne.
37 établissements pénitentiaires français ont été considérés comme exposant les personnes détenues à des traitements inhumains ou dégradants par les Juges Français ou Européens.
En Suède, il y a 58 prisonniers pour 100 000 habitants, contre 103 pour 100 000 en France.
En France, 80% des détenus sortent de prison sans suivi. Au contraire, la Suède a mis en place la libération conditionnelle automatique aux deux tiers de la peine.
En Suède le taux de récidive est deux fois moins élevé qu’en France et pour cause...

La prison ferme est le dernier recours en Suède

La population pénale est condamnée en dernier recours à des peines de prison ferme.

Le placement sous liberté surveillée, le travail d’utilité publique et les obligations de soins sont prononcées pour ¾ des peines.

Il y a environ 14 000 condamnés en Suède placés sous le régime du bracelet électronique, que ce soit au titre de la détention provisoire ou en tant que condamné définitif.

Tous les condamnés sont suivis par un agent de probation qui leur donne le soutien nécessaire pour faciliter leur réinsertion.

Il existe également en Suède un important dispositif associatif pour la réinsertion des prisonniers, ce qui en France reste encore rare.

L’obligation de soins est très souvent prononcée et s’adresse principalement aux toxicomanes sévèrement dépendants.

La Suède a compris depuis plus de 10 ans, que le lien entre toxicomanie et délinquance est clairement établi.

Au lieu de les placer en prison, la Suède a fait le choix délibéré de les placer sous liberté surveillée, avec l’obligation de se soigner dans un centre de désintoxication.

Le suivi par l’agent de probation est très étroit, car il appelle au minimum toutes les semaines le condamné pour le motiver et pour lui rappeler la nécessité de se soigner.

S’ajoute très souvent à l’obligation de soins, le travail d’utilité publique (notre Travail d’intérêt Général). Il s’agit d’un travail obligatoire et non rémunéré. Le condamné travaille pour des associations caritatives ou pour l’état. (De 40H à 240H maximum). Peuvent se rajouter également des peines d’amende.

Ainsi, un trafiquant de drogue au lieu de purger par exemple, 2 ans de prison - comme cela pourrait être le cas en France - va en Suède effectuer des heures de travail d’intérêt public, va être obligé de se soigner, va payer éventuellement une amende et va devoir rendre des comptes toutes les semaines à son agent de probation. Il est dehors, mais il paye sa dette à la société en travaillant, et il se soigne en même temps.

L’objectif étant évidemment d’éviter la récidive. Cette peine semble utile au condamné tout comme à la société qui ne verra pas un délinquant recommencer quelques mois ou quelques années après les mêmes méfaits.

La surveillance à distance, une vraie alternative à la prison

La surveillance à distance avec bracelet électronique est une solution souvent adoptée par les tribunaux suédois. Toute personne condamnée à six mois maximum d’emprisonnement peut demander à purger sa peine sous bracelet électronique à son domicile. Il est surveillé à distance 24H/24 et 7J/7.

L’administration qui s’occupe de l’exécution de la peine sous bracelet peut controler aussi souvent qu’elle le souhaite et régulièrement sa sobriété vis-à-vis de l’alcool ou des stupéfiants (la peine est alors assortie d’un suivi médical obligatoire). Le bracelet électronique est très souvent utilisé pour les délits de conduite en état alcoolique ou sous stupéfiants.

En France, nous avons encore des personnes condamnées à de la prison ferme pour ce type de délit.

En Suède, on ne condamne à de la prison ferme que les délits les plus graves ou les crimes, mais on part du principe que la délinquance engendre la délinquance.

Or, la prison est l’école de la délinquance. Tout le monde le sait, profanes et professionnels confondus. Quand on sort de prison, on connait toutes les magouilles, les moyens de faire de l’argent sale, tous les filons.

Si on sort sans formation, sans travail, sans logement, sans repère, sans suivi, le risque de récidive augmente d’autant plus.

Pourtant nous avons déjà le dispositif nécessaire pour prononcer des peines alternatives.

Et là est la source du problème, que fait-on de nos prisonniers en France ? Comment la Suède gère une incarcération et en quoi est ce très différent de notre système ?

Le traitement des prisonniers en France

Notre code de procédure pénale nous dit ceci :

Article 707 II du Code de Procédure Pénale :

- Le régime d’exécution des peines privatives et restrictives de liberté vise à préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne condamnée afin de lui permettre d’agir en personne responsable, respectueuse des règles et des intérêts de la société et d’éviter la commission de nouvelles infractions. Ce régime est adapté au fur et à mesure de l’exécution de la peine, en fonction de l’évolution de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale de la personne condamnée, qui font l’objet d’évaluations régulières.

La théorie est belle, la réalité beaucoup moins.

Le détenu condamné à une " courte" peine ne pourra pas travailler en détention, ni suivre une formation. Il ne pourra pas non plus soigner ses éventuelles addictions ou régler ses problèmes psychologiques.

En France, il est très difficile pour un prisonnier d’accéder au travail ou à la formation. Idem pour les soins. La majorité des détenus sont sur liste d’attente et n’ont pas accès aux activités. La majeure partie de leur journée ils la passent en cellule. Le repas est également servi en cellule et la seule "sortie" est la promenade (1H par jour).

L’ennui mène à des tensions et à force de tourner comme des lions en cage, beaucoup finissent par exploser. Cela crée des conditions difficiles pour les prisonniers comme pour les surveillants, qui ont du mal à gérer la population pénale.

La prison en Suède : Le travail mène à la dignité et à la réhabilitation

Quand on est en prison en Suède, on n’est pas au" Club Med", comme diraient certains, mais on a le droit à des conditions de détention dignes : cellule de 15m2 moderne et propre, eau chaude. On peut voir le ciel dehors, pas de barreau ou de grillage aux fenêtres. Car comme le soulignait déjà Valéry Giscard d’Estaing à l’issue d’une visite de prison en 1974, "la prison, c’est la privation de la liberté d’aller et venir, et rien d’autre".

Tous les détenus suédois, doivent être actifs, c’est-à-dire, travailler ou suivre une formation, au minimum 6H par jour. Cela est valable pour tous les prisonniers qu’ils soient dans des prisons de niveau de sécurité 1 ou 2 ou 3.

Les détenus qui n’ont aucun diplome prennent des cours de suédois ou apprennent à lire et à écrire.

Pour ceux qui ont arrêté leurs études en chemin, ils peuvent reprendre des cours à l’université à distance. Les toxicomanes sont soignés, c’est même une obligation. Des dépistages sont effectués régulièrement. Les personnes atteintes de troubles psychologiques sont suivies dès le premier jour par des psychologues et ou des psychiatres.

Ceux qui ne peuvent pas faire trop d’efforts physiques pour des raisons médicales peuvent aider avec d’autres activités (classement ou saisie informatique par exemple)

On ne les laisse jamais oisifs, quand ils ne travaillent pas en atelier ou en cuisine, ils ont des cours de sport, de yoga et même de méditation. Ils peuvent parfois sortir pour des activités en plein air et aider les agriculteurs des environs ou autres travaux manuels. Ils suivent des ateliers de bricolage, de mécanique, de cuisine, de théâtre, de lecture, de philosophie. Ils peuvent pratiquer leur religion comme bon leur semble.

En général, la journée est découpée en trois  : travail ou formation de 8H à 15H avec une pause déjeuner d’1H. A partir de 15H jusqu’à 18H ils sont en activités. Les prisonniers en arrivant en prison doivent choisir au minimum 3 activités (sportives ou culturelles peu importe). Tous les soirs, ils ont le droit de téléphoner à leurs familles et leurs proches dans leur chambre. Le week-end des visites familiales sont mises en place pour que les détenus voient leurs enfants dans un cadre humain et adapté. Des parloirs spécifiques ont été construits pour cela. Idem pour les visites conjugales.

L’objectif est que les prisonniers restent ancrés dans la réalité et puissent continuer à avoir un lien familial. Ce qui est également une arme contre la récidive.

Les prisons ouvertes : une autre conception de la détention

En Suède, il existe trois niveaux de sécurité des prisons.

Le niveau 1 sont des prisons fermées et sécuritaires pour les détenus les plus lourdement condamnés ou dangereux.
Le niveau 3 représente les prisons ouvertes. 16 des 47 prisons en Suède sont de ce type. Cela représente donc 1/3 des prisons suédoises.

Dans ce type de prison, les condamnés peuvent se déplacer en toute liberté la journée dans la prison et ses espaces extérieurs. La nuit ils sont confinés dans l’aile où se trouve leur cellule (d’ailleurs en Suède on dit " chambre " pas cellule). Il n’y a pas de miradors ou de barreaux.

Les détenus ont la clé de leur chambre. Ils ont un accès libre à la TV, aux douches et à une cuisine commune. Il y a aussi des balcons pour les fumeurs.

Le week-end ils peuvent voir leur famille de manière illimitée (toute la journée s’ils le souhaitent sauf le soir bien sur)

Chaque prisonnier est pris en charge par un surveillant référent qui devra le suivre dans son quotidien. L’objectif étant de créer du lien et d’humaniser les relations entre surveillant et détenu.

Le surveillant est responsabilisé et respecté. Il n’est pas là que pour " surveiller " ou punir. Il accompagne le prisonnier dans sa vie quotidienne. Il est son "coach" en quelque sorte.

Ce système existe dans d’autres pays comme, entre autres, le Danemark ou la Norvège. La France démarre également timidement avec deux prisons ouvertes à ce jour.

Si cela se concrétise il semblerait que le gouvernement souhaiterait ouvrir 18 nouveaux centres pénitentiaires de réinsertion. Ces centres seraient des prisons ouvertes sans grillage ou barreaux non plus.

Les prisonniers auraient l’obligation de travailler 7H par jour, et auraient en charge la cuisine et la propreté de la prison. Une prison à la Suédoise, qui a pour objectif la réhabilitation, et aussi, ne nous leurrons pas, une baisse significative des couts puisqu’une prison ouverte coute 30% moins cher qu’une prison " classique".

A suivre donc ...

Stéphanie Olson Avocat au Barreau de Paris 17, rue de Chéroy 75017 Paris olson.avocat@gmail.com