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Recours contre ordonnance de remise à l’AGRASC d’un bien saisi pour aliénation : collégialité obligatoire. Par Fares Aidel, Avocat.
Parution : mercredi 12 janvier 2022
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Par une récente décision (Cass. Crim. 15 décembre 2021, 21-80.411), la Cour de cassation précise le régime procédural applicable au recours à l’encontre d’une ordonnance de remise à l’AGRASC d’un bien saisi aux fins d’aliénation prise en cours d’information judiciaire. Le Président de la chambre de l’instruction compétente ne saurait en effet, sans excéder ses pouvoirs, statuer seul sur un tel recours.

En l’espèce, un contrôle douanier entraînait la découverte de plusieurs dizaines de kilos d’herbe de cannabis transportés dans un ensemble routier.

Une information judiciaire était ouverte et le conducteur mis en examen des chefs d’acquisition, détention, transport, et importation de produits stupéfiants, et des délits douaniers connexes.

La société propriétaire du chargement de l’ensemble routier déposait une requête en restitution de l’ensemble routier et de son chargement, rejetée par le juge d’instruction puis par le président de la chambre de l’instruction.

Le magistrat instructeur ordonnait ultérieurement la remise à l’AGRASC (Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués) de l’ensemble routier, en vue de son aliénation.

En cours d’information judiciaire, l’article 99-2 du Code de procédure pénale permet en effet au juge d’instruction d’ordonner, sous réserve des droits des tiers, la remise à l’AGRASC d’un bien saisi en vue de son aliénation :
- Lorsque la restitution des biens saisis et dont la conservation n’est plus nécessaire à la manifestation de la vérité s’avère impossible, soit parce que le propriétaire ne peut être identifié, soit parce que le propriétaire ne réclame pas l’objet dans un délai d’un mois à compter d’une mise en demeure adressée à son domicile ;
- Lorsque le maintien de la saisie serait de nature à diminuer la valeur d’un bien dont la conservation n’est plus nécessaire à la manifestation de la vérité et dont la confiscation est prévue par la loi.

En l’espèce, la société propriétaire du bien saisi contestait l’ordonnance de remise à l’AGRASC prise par le juge d’instruction et interjetait appel.

Le président de la chambre de l’instruction de Poitiers s’estimait alors compétent pour statuer seul sur ce recours.

La société requérante saisissait dès lors la chambre criminelle d’un pourvoi soutenant que le président de la chambre de l’instruction ne saurait être compétent pour statuer seul sur l’appel interjeté contre une ordonnance prise sur le fondement de l’article 99-2 du Code de procédure pénale.

La question ne relève pas de l’évidence dans la mesure où l’article 99 du Code de procédure pénale, auquel renvoie spécifiquement l’article 99-2 du même code, prévoit que l’ordonnance par laquelle le juge d’instruction restitue à la victime les objets saisis dont la propriété n’est pas contestée peut être « déférée au président de la chambre de l’instruction ou à la chambre de l’instruction » (alinéa 5).

Par ailleurs, l’article D43-5 du Code de procédure pénale prévoit que le président de la chambre de l’instruction est compétent pour statuer seul sur les recours relatifs à la restitution d’objets placés sous-main de justice ou à la saisie de biens ou droits incorporels.

Dans l’arrêt ici commenté, la chambre criminelle fait toutefois sienne l’analyse de la société requérante et fait droit au pourvoi.

Elle affirme en effet que

« les dispositions des articles 99 et D. 43-5 du Code de procédure pénale (…) ne concernent pas le recours formé contre l’ordonnance prévue par l’article 99-2 du même code ».

De sorte que le président de la chambre de l’instruction ne peut statuer seul sur l’appel de l’ordonnance par laquelle le juge d’instruction a ordonné la remise à l’AGRASC d’un bien meuble placé sous main de justice en vue de son aliénation.

La Cour de cassation estime qu’en statuant seul sur l’appel formé par la société requérante, le président de la chambre de l’instruction avait excédé ses pouvoirs et que sa décision encourait annulation.

Il est ainsi désormais acquis que le recours à l’encontre d’une ordonnance de remise à l’AGRASC pour aliénation d’un bien saisi n’est pas assimilable au recours à l’encontre d’une ordonnance en refus de restitution d’objets saisis.

Une formation collégiale de la juridiction d’appel doit nécessairement se réunir pour statuer quant au premier de ces recours, ce qui n’est le cas pour le second de ces recours que si l’auteur a précisé qu’il saisit la chambre de l’instruction dans sa formation collégiale.

La précision n’est pas anodine dans le cadre d’un contentieux qui ne cesse de se multiplier ces dernières années devant les juridictions d’appel du territoire.

Fares Aidel, Avocat au Barreau de Paris, Ancien Secrétaire de la Conférence Orcades Avocats https://www.orcades-avocats.com/