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Harcèlement sur Internet : où en est le droit en ce début d’année 2022 ? Par Romain Darriere, Avocat et Henri de Charon, Juriste.
Parution : jeudi 13 janvier 2022
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Selon une étude commandée par la Caisse d’Épargne et divulguée en octobre dernier, près de 20 % des 8 - 18 ans ont déjà été exposés au harcèlement en ligne, des comportements qui toucheraient en majorité les jeunes filles.

Il s’agit ainsi, malheureusement, d’un véritable phénomène de société.

Dès lors, une mise au point sur la réglementation applicable au harcèlement en ligne apparaît plus que jamais d’actualité, en ce début d’année 2022.

I. Harcèlement : de quoi parle-t-on ?

A. Le harcèlement sexuel et le harcèlement moral.

Le Code pénal envisage deux sortes de harcèlement individuel : le harcèlement sexuel et le harcèlement moral.

Le harcèlement sexuel consiste à « imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».

Ce délit est réprimé d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.

Le harcèlement moral consiste quant à lui à imposer à une personne « des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ».

Ce second délit est puni d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.

Dans les deux cas, une seule et même personne peut donc être condamnée pour harcèlement, sous réserve de faire la démonstration du caractère répété de ses propos et/ou comportements répréhensibles.

B. Le harcèlement collectif.

La répression du harcèlement collectif, aussi appelé harcèlement « de meute », constitue une avancée juridique récente portée par la Loi du 3 août 2018 contre les violences sexuelles et sexistes.

Désormais, les délits de harcèlement sexuel ou moral sont également constitués lorsque les propos ou comportements sont imposés à la victime :
- « par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée » ; ou,
- « successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition ».

Le harcèlement est ici caractérisé par les propos ou comportements de plusieurs individus, quand bien même ces propos ou comportements n’auraient pas été réitérés.

C. Le cyber-harcèlement.

Il n’existe pas, à proprement parler, de délit de « cyber-harcèlement ».

Il s’agit en réalité d’un moyen par lequel les actes de harcèlement précités sont commis, élevé en circonstance aggravante par le Code pénal en raison des conséquences importantes liées à son caractère potentiellement viral.

En effet, lorsque les délits de harcèlement sexuel ou moral sont commis par le biais « d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique », la peine encourue est portée à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende.

C’est ce que l’on nomme le cyber-harcèlement. Concernant le harcèlement « en meute », ce délit est le plus souvent commis par le biais d’internet. On parle alors de cyber-harcèlement collectif ou de « raid numérique ».

Si les textes sont clairs et n’appellent que peu de précisions, leur mise en œuvre s’avère quant à plus compliquée, notamment sur le terrain probatoire.

II. Harcèlement en ligne : une charge probatoire potentiellement lourde pour la victime.

La victime de cyber-harcèlement est inévitablement confrontée à deux types deux difficultés probatoires, l’une tenant à la démonstration de son préjudice, l’autre à l’existence des propos ou comportements reprochés.

A. Comment démontrer le préjudice ?

La caractérisation du harcèlement n’est pas tâche aisée.

En effet, en matière de harcèlement moral par exemple, outre le caractère répété ou concerté des comportements ou propos, la victime doit démontrer une dégradation de ses conditions de vie, soit une altération de sa santé physique ou mentale.

La démonstration d’une telle altération implique très généralement la production d’un certificat médical.

Toutefois, dans une décision rendu le 7 juillet 2021 (n° de RG 21004000071) relative à l’affaire « Mila » - cette jeune femme visée par une campagne de cyber-harcèlement et des menaces de mort pour avoir critiqué l’islam sur son compte Instagram - la 10ème chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire de Paris a sensiblement allégé le fardeau de la preuve pour les victimes.

En effet, le tribunal correctionnel a considéré que des propos injurieux ou incitant à porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la victime constituaient nécessairement une dégradation de ses conditions de vie.

Ainsi, en présence d’injures ou de menace de mort, il ne sera en principe plus nécessaire de démontrer en quoi les propos en cause sont de nature à entrainer une dégradation des conditions de vie de la victime, cette dégradation se déduisant, de facto, de la nature même des propos.

En termes de preuve, et même si cette jurisprudence reste à affiner, il s’agit là d’une évolution salutaire pour les victimes puisqu’elle élargie le nombre de cas pouvant être portés en justice.

Précisons à ce sujet, concernant les propos injurieux mentionnés par le Tribunal correctionnel, qu’il faut absolument se garder d’utiliser l’infraction de cyber-harcèlement pour tenter de faire sanctionner des propos injurieux ou diffamatoires puisque la seule évocation, même marginale, d’une atteinte à la réputation, aurait pour conséquence d’entrainer la nullité de l’acte introductif d’instance et le rejet des demandes.

En effet, un tel argumentaire pourrait être considéré comme une tentative de contournement du strict formalisme de la procédure qui doit être observée en droit de la presse.

B. Comment prouver l’existence des propos ou comportements ?

Outre la réalité de son préjudice, la victime devra également démontrer l’existence des propos ou comportements constitutifs de harcèlement.

Or, toute la spécificité du harcèlement en ligne réside dans le dépérissement potentiel des preuves. En effet, l’auteur peut à tout moment supprimer ses propos ou la preuve de son comportement (photographie, vidéo), republier ces contenus, les supprimer à nouveau, etc.

Toute personne exposée à ce type de situation serait tentée d’avoir recours à une simple capture d’écran. Toutefois, si une capture d’écran constitue un commencement de preuve, celle-ci reste néanmoins insuffisante.

L’idéal est la réalisation d’un procès-verbal de constat par huissier, puisque sa force probante est indiscutable.

Mais la problématique de la masse de contenus à constater et de leur volatilité peut se poser, d’autant plus sur internet.

Il s’agit d’une véritable difficulté en pratique.

Si, l’établissement d’un procès-verbal de constat d’huissier est impossible ou que ce dernier ne comprend pas certains propos, il est possible d’avoir recours à d’autres modes de preuve qui constitueront des commencements de preuve par écrit.

Il en va ainsi, par exemple, du site internet www.easyconstat.com.

En effet, dans un arrêt du 16 avril 2021 (n° 18/24048), la Cour d’appel de Paris a jugé que si les constats établis au moyen de ce site n’ont pas la force probante d’un acte dressé par un huissier de justice, ils ont toutefois la valeur « de simples renseignements » qui peuvent être corroborés, par exemple, par un précédent constat d’huissier.

Il en va de même du site internet web.archive.org, lequel permet, via son outil « save page », d’archiver une page internet rapidement afin de permettre une constatation ultérieure par un huissier, un procédé admis en matière de propriété intellectuelle par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 5 juillet 2019 (n° 17/03974).

Ces moyens de preuve rapides peuvent ainsi permettre de figer une situation et apporter un commencement de preuve pour des contenus supplémentaires ou volatiles, au soutien d’un constat d’huissier.

Conclusion.

Les récentes décisions rendues en matière de harcèlement sur Internet et dans le domaine de la preuve devraient permettre aux victimes d’augmenter significativement leur chance d’obtenir gain de cause devant les tribunaux.

D’ailleurs, les condamnations symboliques et de principe semblent se multiplier.

Outre la décision de l’affaire Mila, l’on peut encore citer l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 28 septembre 2021 rendu dans l’affaire du Youtubeur « Marvel Fitness », lequel était poursuivi pour des faits de cyber-harcèlement collectif.

Toujours à titre d’exemple, la 17ème chambre du Tribunal Judiciaire de Paris a condamné le 29 juin 2021, au terme d’une motivation qui doit être saluée (n° RG : 19333000521), un homme à l’origine d’actes de cyber-harcèlement moral via les réseaux sociaux et, notamment, Instagram.

Ainsi, après des années d’errance jurisprudentielle, la justice a manifestement pris le sujet en main et dispose désormais de toutes les armes pour être à la hauteur des enjeux liés au harcèlement sur internet.

Cette prise de conscience était plus que salutaire.

Romain Darriere, Avocat au Barreau de Paris Henri de Charon, Juriste Cabinet d'avocats Romain Darriere www.romain-darriere.fr
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