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Pacte Dutreil : nouvelle mise à jour de la doctrine administrative. Par Sarah Maubert Mendez, Avocat.
Parution : vendredi 14 janvier 2022
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Le 6 avril 2021, une mise à jour du BOFIP relatif au Pacte Dutreil, mise en consultation publique, avait laissé planer de sérieux doutes sur l’avenir et la facilité d’application d’un régime fiscal censé faciliter la transmission d’entreprise. Le 21 décembre 2021, l’administration fiscale a publié une seconde et dernière mise à jour de sa doctrine relative au Pacte Dutreil.

Un soulagement général chez les praticiens qui craignaient, depuis la mise à jour estivale du BOFIP, de se trouver face à des impasses dans la mise en œuvre pratique de l’article 787 B du Code Général des Impôts.

Le dispositif du Pacte Dutreil permet de faciliter la transmission des entreprises, par voie de donation ou de succession, en diminuant de manière significative l’assiette transmise. Le bénéfice du Pacte entraîne une réduction de 75% de l’assiette transmise, à combiner avec une donation démembrée ou avec une réduction de droits de 50% si la transmission se fait en pleine propriété avant le 70ème anniversaire du donateur. Une aubaine donc.

Pour bénéficier de ce dispositif, les chefs d’entreprise doivent procéder à la signature d’un “pacte”, sous forme d’un premier engagement, dit collectif ou unilatéral de conservation, d’une durée minimum de deux ans. Pour signer cet engagement, il est nécessaire de disposer d’au moins 34% du capital d’une société dite “opérationnelle”.

Ce pourcentage peut être détenu seul ou à plusieurs, aussi les minoritaires peuvent toujours se joindre aux pactes conclus par les associés majoritaires si leur bonne entente le leur permet. La condition tenant à l’activité de la société cible exclut de facto la possibilité de réaliser un engagement “Dutreil” sur les holdings dites “passives”. Une tolérance existe pour les holdings qualifiées d’animatrices. Au cours de l’année 2021, la jurisprudence est d’ailleurs venue souligner l’importance de la réalité du caractère animateur d’une holding cible du Pacte Dutreil, cette animation devant être effective, justifiable et ce tout au long de la durée des engagements de conservation.

Une autre condition est indispensable à la bonne mise en œuvre du Pacte Dutreil : l’un des signataires de ce premier engagement doit exercer des fonctions de direction au sein de la structure opérationnelle. C’est notamment les commentaires relatifs à cette condition issus de la mise à jour de la doctrine administrative qui inquiétaient les praticiens.

Grâce au Pacte, et pendant toute la durée de l’engagement collectif de conservation, les signataires peuvent réaliser des transmissions à leurs ayant droits en bénéficiant de l’assiette réduite. Ces derniers prennent alors un second engagement, dit individuel, de conservation, d’une durée de quatre ans.

Jusqu’à la fin des engagements de conservation, les titres ne peuvent être aliénés d’aucune manière, sous peine de perdre le bénéfice du régime de faveur. Une petite exception existe toutefois pendant la durée de l’engagement collectif, entre signataires du pacte.

La mise à jour d’avril dernier avait inquiété les praticiens à plusieurs niveaux.

Le point le plus problématique concernait l’exercice des fonctions de direction par l’un des signataires de l’engagement collectif ou unilatéral. La rédaction mise en consultation publique rendait nécessaire que le signataire soit encore soumis à l’engagement collectif tout au long de l’exercice de ses fonctions de direction. Cette rédaction rendait nécessaire un allongement de la durée de l’engagement collectif suite à la transmission, d’au moins trois années suite à la transmission, dans les situations où aucun des donataires ne pouvait remplir la condition des fonctions de direction.

La [nouvelle rédaction publiée le 21 décembre [1] est venue clarifier ce point et expose désormais que pendant la durée des engagements, la fonction de direction doit être effectivement exercée par

l’un des associés signataires de l’engagement unilatéral ou collectif de conservation des titres de la société (...), y compris, par tolérance, lorsque cet associé a, depuis la signature de cet engagement, transmis tous les titres qui y sont soumis”.

Le chef d’entreprise pourra désormais transmettre la totalité de ses participationssans prolonger l’engagement collectif dans le cas où ses enfants ne peuvent exercer l’une des fonctions de direction éligible. La transmission pourra être engagée alors même que les enfants sont mineurs ou n’ont pas vocation à exercer la fonction de direction requise. Cette modification paraît bien plus conforme à l’esprit du texte puisqu’il facilite les transmissions quel que soit leur contexte.

Ceci étant, les praticiens s’interrogent aujourd’hui sur la pérennité du régime.

Toucher à ce régime reviendrait pourtant à fermer les yeux sur les bénéfices que ce dispositif entraîne notamment au regard de notre économie. Il permet en effet d’anticiper et d’assurer la pérennité d’entreprises familiales qui auraient pu disparaître suite au décès de leurs dirigeants. Le Conseil d’Analyse Économique a pourtant récemment évoqué la suppression du dispositif au bénéfice de mécanismes de facilité de paiement. Les praticiens ne peuvent que s’en étonner, et d’autant plus quand on connaît la difficulté de mise en œuvre du régime du “différé-fractionné”, les services refusant que les contribuables proposent les nantissements de titres de la cible du Dutreil comme garanties.

D’un autre côté, des parlementaires ont déposé le 21 décembre 2021 une proposition de loi visant à étendre à trois niveaux l’interposition possible en matière de Pacte Dutreil dans le cas où l’une des holdings intermédiée hébergerait de l’actionnariat salarié.

Après une année 2021 riche en Dutreil, et en ces temps de campagne présidentielle, à l’heure où les sujets fiscaux divisent les différents candidats, nul doute que les droits de mutation à titre gratuit ne manqueront pas de s’inviter dans les débats.

Sarah Maubert Mendez Avocat Fiscaliste