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Indication géographique « Linge basque » : il ne fait pas bon laver son linge en public. Par Cécile Guyot, Avocate.
Parution : jeudi 13 janvier 2022
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Par une décision du 12 octobre 2021 (n°20/04960), la Cour d’appel de Bordeaux a eu à se pencher sur le recours formé par une société à l’encontre de l’homologation rendue par le directeur général de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) s’agissant de l’indication géographique « Linge basque ».

Quel contexte ?

Une demande d’homologation relative à l’indication géographique (IG) « Linge basque » n°IG 20-001 a été déposée, en 2020, par le Syndicat des Tisseurs du Linge Basque d’Origine.

Le 13 novembre 2020, l’INPI a homologué le cahier des charges [1] correspondant et déclaré le syndicat précité organisme de défense et de gestion des produits sous l’IG concernée.

La société Les Tissages de Saint Jean de Luz a formé un recours à l’encontre de la décision d’homologation rendue par le directeur général de l’INPI, sollicitant ainsi son annulation, considérant notamment que :
- le produit concerné (linge basque) ne revêtirait en réalité aucune caractéristique propre à la zone géographique considérée ;
- les opérateurs du syndicat (Tissage Loutet, Tissages Lartigue et Lartigue 1910) ne seraient pas représentatifs et ne feraient finalement que tenter, via cette demande d’homologation d’une IG, à constituer un monopole excluant les autres opérateurs concurrents du même domaine, portant ainsi atteinte au droit de la concurrence.

Quels textes ?

Il ressort de l’article L721-2 du Code de la propriété intellectuelle qu’une IG est

« la dénomination d’une zone géographique ou d’un lieu déterminé servant à désigner un produit […] qui en est originaire et qui possède une qualité déterminée, une réputation ou d’autres caractéristiques qui peuvent être attribuées essentiellement à cette origine géographique […] ».

Le cahier des charges correspondant doit ainsi, selon l’article L721-7 du même code, détailler précisément la zone géographique concernée et préciser les caractéristiques du produit qui peuvent être essentiellement attribuées à cette dernière et ce qui permettra de faire le lien entre les deux.

L’INPI doit par ailleurs, outre la réalisation d’un enquête publique notamment, s’assurer que le cahier des charges est déposé par un organisme de défense et de gestion de l’IG dont les opérateurs sont représentatifs.

Quelle solution ?

Sur les caractéristiques propres à la zone géographique considérée, il convient en premier lieu de rappeler que le cahier des charges de l’IG « Linge basque » évoquait l’aire géographique suivante ainsi exprimée : le Pays Basque et le Béarn français, anciennes Basses-Pyrénées.

Or, la société Les Tissages de Saint Jean de Luz considérait que les caractéristiques invoquées dans ledit cahier des charges, à savoir notamment le savoir-faire des tisserands ou encore la robustesse et l’authenticité du linge basque, ne pouvaient être rattachées uniquement à l’aire géographique en cause.

Elle soulignait par ailleurs que « la culture du lin, présente historiquement dans le Sud-Ouest » évoquée dans le cahier des charges ne pouvait être invoquée puisqu’ayant disparu de la zone concernée et que, quoiqu’il en soit, d’autres acteurs pouvaient également s’en prévaloir.

La Cour, sur ce point, a commencé par rappeler qu’aux termes d’une décision de la Cour de cassation du 14 avril 2021 portant sur la Porcelaine de Limoges, ayant fait jurisprudence en la matière, il n’est pas nécessaire de démontrer que le savoir-faire traditionnel permettant d’arriver au produit couvert par l’IG n’existe nulle part ailleurs.

Dès lors, elle en a conclu que le fait que d’autres tisserands puissent fabriquer des produits équivalents ne permettait pas de remettre en cause la « spécificité naturelle » des produits en cause, pas plus que le fait que la culture du lin n’existe, à proprement parler, plus dans la zone concernée.

Le même raisonnement devait être appliqué, selon les juges du fond, aux autres caractéristiques spécifiques attribuées au linge basque, à savoir notamment son authenticité, sa robustesse et le savoir-faire de ses tisserands, étant précisé que la reconnaissance des ces dernières était avérée.

Pour en arriver à cette solution, les juges ont étudié avec une particulière attention le cahier des charges tel que rédigé. Ainsi, à titre d’exemple sur la reconnaissance du savoir-faire des tisserands visés, la Cour a ainsi indiqué qu’il ressortait

« du cahier des charges (pages 14 à 23) et des productions du syndicat, que la culture du lin dans le Béarn et le pays basque dès le 19ème siècle a favorisé l’installation d’ateliers de tissages familiaux dans la région, destinés d’abord aux besoins agricoles puis essentiellement au linge de maison et de table, ces ateliers se mécanisant au 20ème siècle grâce au développement du réseau hydroélectrique dans la région, pour connaître leur apogée pendant les « trente glorieuses » avec l’utilisation du coton en remplacement du lin et la diversification des produits caractérisés par des couleurs et dessins originaux ».

La juridiction d’appel a achevé sur ce point en soulignant que l’octroi de l’IG est en sus bel et bien soumis à la réalisation sur le territoire concerné de toutes les étapes de fabrication du linge.

Dès lors, pas de nullité de la décision d’homologation du directeur général de l’INPI de ce premier chef.

Ensuite, sur l’absence de représentativité des opérateurs du syndicat, la société Les Tissages de Saint Jean de Luz soutenait principalement que les opérateurs membres du syndicat ne soumettaient leur demande d’homologation qu’aux fins de l’exclure de son propre marché.

Or, sur ce point, les juges du fond ont souligné que toute personne remplissant les conditions du cahier des charges devenait automatiquement adhérente du syndicat, pointant au passage que la société demanderesse pourrait parfaitement en devenir adhérente pour autant qu’elle relocalise ses étapes de production dans le Pays Basque ou le Béarn français.

Il a par ailleurs été retenu que les opérateurs du syndicats représentaient les opérateurs majeurs du marché et qu’au moment de l’enquête publique, la société Les Tissages de Saint Jean de Luz n’avait exprimé aucune velléité.

Que retenir ?

Il peut être retenu de cette décision que la meilleure manière de ne pas être confronté à des difficultés, dans le cadre de l’homologation de son IG par l’INPI, est d’apporter un soin tout particulier à la rédaction de son cahier des charges et de veiller à bien étayer en quoi les caractéristiques du produit sous IG sont attribuées essentiellement à son origine géographique ou encore ce qui fait que les opérateurs de l’organisme de défense et de gestion dudit produit sont représentatifs.

En effet, la Cour a ici puisé de manière substantielle dans le cahier des charges de l’IG « Linges basque » pour rejeter le recours formé à l’encontre de la décision d’homologation rendue par le directeur général de l’INPI.

Cécile Guyot Avocate Solvoxia Avocats (www.solvoxia-avocats.com)