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Contrats de vente d’équidé : attention à la cohérence des obligations. Par Guillaume Ghestem, Avocat et Victoria Dreze, Juriste.
Parution : lundi 17 janvier 2022
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Revenons sur la décision du 16 décembre 2021 de la Cour d’appel de Dijon qui prononce la nullité d’un contrat de vente d’équidé de 450 000 euros.

Alors que la loi dite « Dombreval » est venue mettre un terme à l’application de la garantie légale de conformité dans les cessions d’animaux domestiques, dont les équidés font partis, les contentieux autours des cessions d’équidés continuent d’affluer devant les tribunaux judiciaires. Retour sur l’une des décisions de la fin d’année 2021, l’arrêt rendu le 16 décembre par la 2ème chambre civile de la Cour d’appel de Dijon (n°19/01958).

I. Les faits.

Monsieur X est actionnaire au sein d’une structure équestre exerçant une activité d’élevage de chevaux destinés à la compétition de saut d’obstacles. A titre personnel, il est également propriétaire de plusieurs équidés, mis en pension et entrainés au sein de la structure dans laquelle il est actionnaire.

Le 1er janvier 2016, Monsieur X a conclu un « contrat de vente », sur un formulaire pré-imprimé et remplit de manière manuscrite, avec les époux Y pour une jument. Le prix était de 450 000 euros.

Le même jour, les parties ont signés un document intitulé « reconnaissance de dettes » correspondant au montant de la cessions. Ce document prévoyait également que les acquéreurs avaient la propriété de la jument objet de la cession pour la compétition mais que le cédant restait propriétaire de l’élevage après la compétition et que durant la période dite de compétition, le cédant pouvait effectuer des transferts d’embryon de la jument.

II. La procédure.

Le 19 janvier 2017, le cédant a assigné les acquéreurs devant le Tribunal de grande instance de Dijon en paiement du prix de cession, étant déduit la somme de 30 000 euros déjà payés par les acquéreurs, et de la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.

Pour leur défense, les acquéreurs ont formé une demande reconventionnelle sollicitant l’annulation (et à titre subsidiaire la résolution) du contrat de vente et de la reconnaissance de dettes sur le fondement de l’absence d’objet. En effet, les acquéreurs expliquent qu’ils pensaient avoir acquis la pleine et entière propriété du bien, ce qui ne serait pas le cas au regard de la reconnaissance de dette. Les acquéreurs ont également requis la condamnation du cédant à leur verser diverses sommes, notamment au titre des frais d’entretien et de conservation de la jument objet du contrat.

Par jugement du 23 septembre 2019, le Tribunal de grande instance de Dijon a jugé que les contrats, de vente et la reconnaissance de dettes, ne laissaient aucun doute quant à leur nature. Par conséquent, les demandes des acquéreurs visant à obtenir la nullité des contrats susmentionnés ont été écartées. Le Tribunal a, en conséquence, notamment :
- Débouté les acquéreurs de leurs moyens et demandes reconventionnelles ;
- Condamné les acquéreurs au paiement de la somme de 420 000 euros, outre les intérêts au taux légal à compter de l’assignation.

Le 23 décembre 2019, les acquéreurs ont interjeté appel de cette décision.

III. La décision de la Cour d’appel concernant la nullité des contrats.

La Cour d’appel souligne immédiatement que le « contrat de vente » est en réalité un formulaire pré-imprimé complété de manière manuscrite avec la désignation de l’équidé cédé, le prix de cession, la précision que la visite d’achat est à la charge des acquéreurs et que le vendeur conserve la propriété de l’équidé jusqu’au paiement intégral du prix.

Au sujet de ce contrat, la Cour souligne que son libellé est dépourvu d’ambiguïté et qu’il doit emporter transfert de la propriété de la chose vendue ainsi que des droits qui y sont attachés au profit des acquéreurs.

Passé ce rappel, la Cour s’attarde plus amplement sur la reconnaissance de dettes.

Dans un premier temps, elle relève les erreurs/coquilles dans l’orthographe du nom des acquéreurs, ce qui laisserait penser, selon elle, que le cédant est le rédacteur de cette reconnaissance.

Dans un second temps, elle estime que ce document vient jeter le trouble sur l’objet de ce contrat. En effet, pour la Cour, la signature d’une reconnaissance de dettes est inopportune dès lors que l’obligation de paiement du prix résulte du contrat de vente en lui-même.

Ces constats fait, la Cour s’attarde sur la lettre de la reconnaissance de dettes, notamment le paragraphe indiquant que :

- M. et Mme Y ont la propriété de la jument pour la compétition ;
- Monsieur X reste propriétaire de l’élevage post-compétition ;
- Durant la période de compétition, Monsieur X pourra faire effectuer des transferts d’embryon de la jument.

La Cour en conclu que ce document n’a de reconnaissance de dettes que le libellé. Elle constate que ce contrat à pour véritable objet de préciser les obligations et les droits respectifs des parties au contrat de cession conclu le même jour.

Ces obligations et droits ayant pour conséquences directes de limiter la propriété des acquéreurs à la carrière sportive de la jument, sous réserve du maintien des droits du cédant sur les embryons de cette dernière, la Cour en déduit que ce contrat est contraire au principe selon lequel le propriétaire d’un animal doit pouvoir librement jouir de celui-ci et des produits qui en sont issus.

Partant de cette déduction, la Cour démontre que le « contrat de vente et la reconnaissance de dettes », qui forment un ensemble contractuel unique, sont contradictoires et incompatibles. Ces contrariétés entre les deux contrats conduisent la Cour d’appel de Dijon a soulevé l’ambiguïté évidente de l’objet du contrat et, par conséquent, l’absence d’accord sur l’objet justifiant ainsi la nullité de l’ensemble contractuel.

Le cédant a donc été condamné à restituer aux acquéreurs la somme de 30 000 euros qu’ils ont versé en exécution du contrat annulé.

La Cour d’appel de Dijon juge, par le présent arrêt, que le contrat de vente peut être composé de plusieurs documents et que l’incompatibilité entre les obligations et droits issus de ces documents peuvent conduire à l’annulation de l’ensemble contractuel pour défaut d’objet.

Il convient toutefois de souligner que la Cour fait application des Codes du droit de la consommation en qualifiant le cédant de « professionnel » et les acquéreurs de « profanes ». Le défaut d’objet, et donc la nullité, repose ainsi sur le fait que les acquéreurs n’avaient pas de connaissance précise sur l’objet du contrat et qu’ils ne pouvaient en conséquence pas donner leur accord sur cet objet.

Il est également intéressant de noter que la Cour refuse l’indemnisation des acquéreurs concernant les frais de conservation, d’entretien et de pension de la jument. La Cour estime que les acquéreurs n’apportent pas la preuve de la réalité des sommes demandées. Il est donc nécessaire de veiller à se ménager la preuve des frais engagés lorsqu’on est gardien d’un équidé.

Pour finir, la Cour tire les conséquences de la nullité des contrats pour débouter les acquéreurs de leurs demandes fondées sur la responsabilité contractuelle du cédant. En effet, les contrats étant annulés, il n’est plus possible d’agir en responsabilité contractuelle.

Cette décision de la Cour d’appel de Dijon démontre et rappelle qu’il est primordial de prêter une attention particulière à la rédaction des contrats de cession et, en cas de pluralité de documents formant un ensemble contractuel, la compatibilité de ces derniers entre eux.

Pour limiter les risques, il est vivement conseillé de se faire assister dans la rédaction de tels contrats, d’autant plus quand les sommes deviennent importantes.

Guillaume Ghestem, Avocat et Victoria Dreze, Juriste. Barreau de Lille Pôle droit du sport Cabinet d\'Avocats Essentiel A