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Affaire des présumés faux meubles de Jean Prouvé : le marchand d’art est relaxé. Par Béatrice Cohen, Avocat.
Parution : mardi 18 janvier 2022
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Décembre 2021, la fin d’année est marquée par le terme d’une longue procédure judiciaire qui a fait trembler le marché de l’art.

Menée à l’encontre du marchand d’art parisien Eric Touchaleaume, soupçonné d’avoir vendu en 2008 de faux meubles du designer Jean Prouvé à ses anciens associés, le tribunal correction de Paris l’a relaxé des infractions pour lesquelles il était poursuivi, à savoir « faux et usage de faux », « contrefaçon d’œuvres », « tromperie sur les qualités essentielles d’une marchandise ».

A travers cette procédure a rejailli l’épineuse question d’authenticité d’une œuvre d’art.

Pour mémoire, en 2008 Eric Touchaleaume, marchand d’art spécialiste du mobilier des années 50 et passionné du mobilier de l’innovant designer Jean Prouvé, met en vente au sein de la maison Artcurial une partie de sa collection. Au cours de la vente, les marchands Philippe Jousse, François Laffanour et Patrick Seguin se rendent acquéreur de trois pièces du designer, parmi elles le siège « Kangourou », pour un montant de 213.000 euros.

Suite à la vente le doute qui naît sur leur authenticité est suivi d’une plainte qui entraîne l’ouverture d’une information judiciaire. Tandis que les expertises se suivent et que les meubles sont déclarés faussement attribués à Jean Prouvé, le marchand défend son innocence.

Les documents présentés au catalogue s’avèrent en outre être des faux, la photographie un photomontage et une lettre écrite postérieurement à la mort de l’artiste. Rappelons que le faux est « toute altération frauduleuse de la vérité » selon l’article 441-1 du Code Pénal ; l’usage de faux étant caractérisé dès lors qu’il y a utilisation des documents frauduleux en toute connaissance de cause afin « d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques ».

La sanction est de 3 ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende.

Néanmoins, la relaxe est totale. Le fournisseur Ad Abdelhakim Bouadi, poursuivi pour complicité, est également relaxé. Le tribunal correctionnel estime qu’il n’était pas établi que les œuvres n’étaient pas authentiques, de sorte qu’aucune atteinte aux droits d’auteurs ne saurait être caractérisée.

S’agissant des documents pour lesquels ne réside aucun doute quant à leur falsification, le tribunal ne qualifie néanmoins pas les infractions de faux et usage de faux, n’ayant pas pu établir la connaissance par le marchand et son fournisseur de leur origine frauduleuse.

Le jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Paris en date du 17 décembre 2021 a mis en lumière l’absence de culpabilité du marchand d’art mais également la difficulté d’établir la provenance et de prouver l’authenticité d’une œuvre à laquelle doit faire face les acteurs du marché. L’importante cote de l’artiste explique, à n’en pas douter, la recrudescence des litiges quant à l’authenticité des œuvres achetées sur le marché de l’art.

De nombreux litiges relatifs à l’authenticité des œuvres d’art se retrouvent devant les juridictions civiles. Dans une autre affaire Prouvé (l’affaire de la table Compas dont le plateau n’était pas en chêne comme mentionné dans le catalogue et avait subi des restaurations), la Cour de Cassation a rappelé dans un arrêt du 21 octobre 2020 la difficulté de prouver une erreur sur les qualités substantielles s’agissant de l’authenticité d’une œuvre d’art [1].

La Cour rappelle l’importance des mentions au catalogue de ventes aux enchères tout en appréciant le caractère déterminant de celles-ci « au regard des qualités substantielles de la chose attendues par l’acquéreur » en l’espèce

« la cour d’appel a souverainement déduit que n’était pas rapportée la preuve que l’erreur sur le bois constituant le plateau aurait déterminé le consentement de l’acquéreur et que les restaurations, avérées ou non, auraient altéré, dans son esprit, la substance de l’objet ».

Suivant le raisonnement de la Cour, la table étant une authentique table compas de Jean Prouvé bien que des restaurations aient eu lieu sur le plateau, qui n’était pas en bois massif, en raison de la dimension utilitaire de l’œuvre, l’acheteur ne pouvait se prévaloir d’une erreur sur les qualités essentielles du bien puisque celui-ci souhaitait avant tout posséder une table du designer...

La recrudescence de ces affaires risque de renforcer la méfiance des collectionneurs.

Maître Béatrice Cohen www.bbcavocats.com

[1Civ. 1ere, 21 octobre 2020, n°19-15.415.