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Rémunération variable : l’employeur doit établir que les objectifs étaient réalisables (c. cass. 15/12/21). Par Frédéric Chhum, Avocat et Annaelle Zerbib, Juriste.
Parution : lundi 17 janvier 2022
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Dans un arrêt du 15 décembre 2021 (n°19-20.978), la Cour de cassation affirme que c’est à l’employeur de prouver que les objectifs fixés au salarié au titre de la rémunération variable étaient réalisables.

1) Faits et procédure.

M. C a été engagé par la société Vestner France en qualité de responsable régional des ventes à compter du 1er septembre 2013.

Sa rémunération comprenait une partie fixe et une partie variable.

Le 22 février 2016, il a saisi la juridiction prud’homale de demandes relatives tant à l’exécution qu’à la rupture du contrat de travail.

Par jugement du 20 février 2020, la société Vestner France a été placée en liquidation judiciaire et M. F a été désigné en qualité de liquidateur.

2) L’employeur doit établir que les objectifs fixés sont réalisables.

a) Moyen de la société.

L’employeur fait grief à l’arrêt, en premier lieu, d’infirmer le jugement en ce qu’il a dit que la prise d’acte du salarié produisait les effets d’une démission, débouté le salarié de toutes ses demandes indemnitaires à ce titre, en ce qu’il a condamné ce dernier à payer à l’employeur certaines sommes à titre de dommages-intérêts pour inexécution du préavis et en application de l’article 700 du Code de procédure civile, en ce qu’il a encore débouté le salarié de sa demande en paiement d’un rappel de rémunération variable et l’a condamné aux dépens.

En second lieu, de le condamner à verser au salarié certaines sommes à titre de rappel de salaire sur la rémunération variable pour les exercices 2013, 2014 et 2015, outre les congés payés afférents, à titre de dommages-intérêts en réparation de la perte injustifiée de son emploi, d’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, ainsi qu’au titre de l’indemnité de licenciement et de l’indemnité compensatrice de congés payés, enfin de le condamner aux dépens de première instance et d’appel, à la remise des documents de fin de contrat et bulletins de paie et au remboursement des indemnités chômage aux organismes concernés.

De ce fait l’employeur argue d’une part du fait que pèse sur le salarié la charge de prouver le caractère irréaliste des objectifs fixés d’un commun accord avec son employeur.

En reprochant à l’employeur de ne fournir aucun élément de nature à déterminer si les objectifs de l’année 2013 étaient réalisables, la Cour d’appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l’article 1315 devenu 1353 du Code civil.

D’autre part, que le contrat est la loi des parties.

En l’espèce, le contrat de travail conclu le 3 juillet 2013 entre M. C et la société Vestner France, prévoyait en son paragraphe 4 intitulé « rémunération » que « le salarié bénéficie d’un intéressement sur les ventes réalisées, suivant le schéma décrit en annexe », cette annexe définissant les modalités de la part variable de la rémunération ainsi que les objectifs à atteindre pour l’année 2013, sans qu’à aucun moment, il ne soit précisé que ces objectifs devaient être annuellement fixés tant dans leur quantum ou dans leur nature.

Il résultait donc clairement du contrat de travail du salarié que les objectifs fixés n’étaient pas discutés chaque année et qu’ils étaient de facto maintenus, faute d’un autre accord entre les parties.

En retenant que si la formule décrite dans l’annexe 1 du contrat de travail était reconductible d’une année sur l’autre, les objectifs chiffrés qui y étaient mentionnés ne concernaient que la seule année 2013, sans tacite reconduction possible et en reprochant à l’employeur de ne pas avoir fixé d’objectifs ni pour l’année 2014, ni pour l’année 2015, la Cour d’appel a dénaturé le contrat de travail et, partant, a violé l’article 1134 devenu les articles 1103 et 1104 du Code civil.

b) Motivation de la Cour de cassation.

Dans son arrêt du 15 décembre 2021 (n°19-20.978), la chambre sociale rejette le pourvoi de l’employeur en affirmant qu’aux termes de l’article 1315, devenu 1353, du Code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

Ainsi, la Cour d’appel, qui a constaté que l’employeur ne produisait aucun élément de nature à établir que les objectifs qu’il avait fixés au salarié pour l’année 2013 étaient réalisables, a, sans inverser la charge de la preuve, décidé à bon droit que la rémunération variable au titre de cet exercice était due.

Procédant ensuite à l’interprétation, exclusive de dénaturation, du contrat de travail, rendue nécessaire par l’ambiguïté de ses termes, la Cour d’appel a estimé que les objectifs avaient été fixés dans l’annexe 1 au contrat de travail, pour la seule année 2013, sans reconduction possible pour les années suivantes.

Par suite, la Cour d’appel, qui a constaté que les manquements de l’employeur pendant plusieurs années, avaient privé le salarié de sa rémunération variable contractuelle, a pu en déduire, sans procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que ces manquements avaient empêché la poursuite du contrat de travail.

c) Analyse.

Il est admis qu’une clause du contrat de travail peut prévoir une variation de la rémunération du salarié dès lors qu’elle est fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l’employeur, ne fait pas porter le risque d’entreprise sur le salarié et n’a pas pour effet de réduire la rémunération en-dessous des minimas légaux et conventionnels (Cass. soc., 2 juill. 2002, n°00-13.111).

Hors ces conditions de validité, lorsqu’une prime d’objectifs est fixée unilatéralement par l’employeur, les objectifs conditionnant le versement d’une telle rémunération variable peuvent être modifiés sans l’accord du salarié dès lors qu’ils sont réalisables et qu’ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d’exercice [1].

Ici, la question qui se posait était celle de savoir sur qui pesait la charge de la preuve du caractère réalisable des objectifs.

Utilisant les règles de preuve de l’article 1315, devenu 1353 du Code civil, la chambre sociale fait peser cette charge sur l’employeur.

En effet, cet article dispose que celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver et celui qui s’en prétend libéré doit justifier du paiement ou du fait ayant causé l’extinction de l’obligation.

En l’espèce, c’est donc à l’employeur de prouver que les objectifs étaient réalisables.

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Sources.

Cass. Soc., 15 décembre 2021, n°19-20.978.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[1Cass. soc., 2 mars 2011, n°08-44.977.