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[Dossier] Ecrits judiciaires : Restez concis, s’il vous plaît ! Interview de Benoit Henry, Avocat.
Parution : jeudi 10 février 2022
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Benoit Henry est avocat (au Barreau de Paris), spécialiste de la procédure civile. Ses articles sous forme de "guide pratique" à l’usage de ses confrères pour améliorer leurs conclusions font de lui un interlocuteur de choix sur la question.
Quand structurer ses écritures devient une nécessité : voici son analyse et sa proposition de plan type de présentation des conclusions.

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Une proposition de réforme de la DACS du 27 août 2021 préconisait « la structuration des écritures des avocats » par l’insertion, avant le dispositif, d’une synthèse des moyens invoqués dans la discussion. Elle limite la taille de cette synthèse à un maximum de 10% des conclusions dans la limite de 1 000 mots.

Benoit Henry

L’importance des réactions suscitées par cette proposition est à la hauteur des bouleversements qu’ils se proposent d’apporter à la procédure civile.

Tous ne sont pas visibles à la première lecture.

Si la procédure va être bouleversée, que dire de nos pratiques qui devront rapidement s’adapter au risque de voir pénaliser de façon irréversible nos clients.

La procédure civile étant transversale à tous les domaines du droit privé, il est essentiel d’alerter l’ensemble des praticiens sur les risques encourus.

Ils devront définir les méthodes les plus appropriées pour éviter les écueils qu’une fois encore la Chancellerie place sur le chemin de la formalisation accrue de structuration des écritures en matière civile.

"Structurer ses écritures est une nécessité. Imposer un plan type est une vertu structurante."

Dans nos enseignements, devra être intégrée cette dimension de la synthèse des moyens.

Structurer ses écritures est une nécessité.
Imposer un plan type est une vertu structurante.

C’était vrai hier, cela l’est encore plus aujourd’hui, même si les contraintes de temps, les moyens défaillants, l’engorgement des Tribunaux, semblent en apparence militer pour la disparition du plaideur.

Faudra t-il tenir compte des seuls mots de la discussion ou de l’acte dans son ensemble pour apprécier la taille des écritures ?
Sans aller jusqu’à compter les mots que les avocats ont le droit d’écrire, comment faire pour les contentieux complexes où ce cadre risque de se révéler insuffisant ?

Comment sélectionner ce qui mérite de figurer dans la synthèse ?

Une ébauche de réponse pourra être avancée à l’issue de cette réflexion.

Le droit positif et les perspectives d’évolution.

Le droit positif.

Devant le Tribunal judiciaire, les conclusions sont régies par l’article 768 du Code de Procédure Civile.
Cette disposition permet d’imposer trois exigences :
- Pour chaque prétention, les conclusions doivent indiquer les pièces invoquées et leur numérotation.
- Les moyens nouveaux invoqués dans des conclusions en réplique doivent être mis en évidence dans la discussion.
- Les conclusions doivent être récapitulatives.

La structuration des conclusions soumises au juge améliore le respect du contradictoire et la clarté des débats.

En effet, mieux présentées et plus synthétiques les écritures permettent aux avocats des parties d’apporter une réponse plus claire à des moyens mieux identifiés.

La structuration des conclusions améliore le respect du contradictoire et la clarté des débats.

Cette structuration des écritures conduit, par voie de conséquence, à un gain de temps pour le juge qui appréhendera plus facilement les faits sur lesquels les parties s’accordent et les moyens au soutien de leurs prétentions.

Les perspectives d’évolution : encadrer la structuration des écritures.

Il pourrait être prévu que les conclusions récapitulatives comprennent avant le dispositif, une synthèse des moyens invoqués avec l’indication des pièces afférentes.

Il est envisagé également d’assortir d’une sanction les conclusions non conformes. En procédure écrite ordinaire, la lecture combinée des articles 768 et 780 du Code de Procédure Civile permettrait au juge de la mise en état d’enjoindre à l’avocat de régulariser ses conclusions en conformité.

S’il n’apparait pas opportun de prévoir une sanction procédurale particulière en cas d’absence de synthèse de moyens dans les conclusions. Il est toutefois envisagé de reproduire ce qui existe déjà pour le dispositif, à savoir que le Tribunal n’est valablement saisi que des moyens développés dans la discussion et récapitulés dans la synthèse.

Le Plan Type de présentation d’une synthèse des moyens invoqués dans la discussion.

Les praticiens devront définir les méthodes les plus appropriées pour éviter les écueils qu’une fois encore la Chancellerie place sur le chemin de la formalisation accrue de structuration des écritures en matière civile.

Structurer les conclusions est une nécessité.

Elles doivent être rédigées, elles sont obligatoires dans les procédures écrites devant le Tribunal judiciaire ou la Cour d’Appel.

Après l’acte introductif d’instance, les conclusions qui ne sont pas des correspondances constituent des actes essentiels de la procédure civile.

Elles expriment en s’appuyant sur des moyens de fait et des moyens de droit, les demandes des parties auxquelles le juge devra répondre.

Elles ont notamment pour but d’emporter la conviction du juge et obtenir gain de cause pour le justiciable.

Le juge va découvrir le litige à travers l’écrit de l’avocat.Des conclusions qui comprennent une démonstration claire, efficace et concise permettent une meilleure appréhension du litige.

L’avocat doit ainsi veiller à la présentation de ses conclusions, à la qualité rédactionnelle et à la qualité du raisonnement juridique [1].

Imposer un plan-type est une vertu structurante.

Ce guide de bonnes pratiques établit des règles communes sans que cette démarche puisse être considérée comme une obligation, un plan cadre ou un plan type permettant l’application des recommandations ainsi dégagées.
Cette démarche vise également à l’harmonisation des écritures et des jugements.

Conseils pratiques en 10 points.

La rédaction doit être claire, concise et éviter les répétitions et redites inutiles.

1) Des conclusions paginées.

- Il est conseillé de rédiger les conclusions avec une police à caractère neutre, de taille 12 ou 13 afin d’en faciliter la lecture.
- L’emploi des majuscules doit se faire avec modération.
- Le style à l’image de l’ensemble des juridictions qui abandonnent la rédaction en « attend », le style direct, davantage compréhensible pour le justiciable est à privilégier.
- Le vocabulaire pour une meilleure compréhension par le justiciable les termes anciens pourraient être utilement remplacés par des termes modernes.
- Depuis la circulaire du Premier ministre du 21 février 2012 (n°5575 SG), il est recommandé de ne plus utiliser la dénomination « Mademoiselle ». Les femmes doivent être indistinctement désignées par « Madame ».
- L’usage des acronymes et des abréviations est à proscrire afin de rendre plus compréhensibles les éléments de discussion.
- Les citations de textes sont présentées entre guillemets ou en italique.

2) Un exposé distinct des faits et de la procédure, et la présentation des chefs critiqués.

Il est conseillé de procéder à un rappel chronologique des faits et de la procédure.
Il convient de n’exposer que les faits opérants pour la résolution du litige.
Après l’examen des exposés de chacune des parties, le juge ne retiendra que les faits constants.
Les éléments procéduraux, tels une ordonnance de référé ou un jugement avant dire droit seront mentionnés.
 
Il est conseillé par ailleurs d’énoncer les chefs critiqués.
Il est rappelé que les exceptions de procédure seront d’abord soulevées, à peine d’irrecevabilité, puis les fins de non-recevoir et enfin les prétentions au fond.
Pour formaliser une prétention, il est conseillé de mettre en place un syllogisme, un raisonnement logique.
 
3) Une discussion des prétentions et des moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée.

La notion de prétention au fond correspond à ce qui est sollicité en demande ou en défense.
La notion de moyens de fait est constituée par les éléments de fait sur lesquels la partie fonde sa prétention, le moyen de droit étant la règle de droit invoquée à l’appui de la prétention.
Pour chaque prétention, il est conseillé d’articuler les moyens de fait et de droit au soutien de la prétention.
 
4) L’indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation.
A chaque affirmation factuelle sur laquelle repose une prétention doit correspondre au moins une pièce qui sera numérotée et chaque pièce invoquée sera numérotée.

5) La présentation distincte des moyens nouveaux.

Au fil des échanges des conclusions, les moyens nouveaux seront identifiés distinctement par un trait en marge dans la discussion.
 
6) Le principe de concentration des moyens dégagé par la jurisprudence.

Il incombe aux parties depuis l’arrêt Cesareo [2], demandeur ou défendeur de concentrer dès l’instance relative à la première demande, l’ensemble de leur moyens à l’appui de leurs prétentions. Le principe de concentration des moyens, tel que défini par l’arrêt Cesareo oblige le plaideur à présenter au cours du même procès (Tribunal Judiciaire et Cour d’Appel) tous les fondements juridiques de nature à justifier sa demande. A défaut, la sanction est l’irrecevabilité de la demande car le principe de l’autorité de la chose jugée s’oppose à l’introduction d’une instance entre les mêmes parties tendant au même objet mais avec des moyens différents.

7) Le recours avant le dispositif d’une synthèse des moyens invoqués dans la discussion.

Sans aller jusqu’à compter les mots, la synthèse doit uniquement récapituler les moyens émis dans le cadre de la discussion, elle ne contient que les moyens de fait ou de droit, aucune demande. Il est conseillé de reporter tous les moyens précédemment exposés dans le cadre de la discussion dans l’ordre de présentation car le juge ne statue que sur les moyens énoncés à la synthèse.

A défaut de moyens énoncés à la synthèse, le juge n’a pas à statuer, quand bien même les moyens de fait et de droit auraient été longuement développés dans le corps des conclusions ou que les moyens oubliés ont été présentés dans la synthèse des précédentes écritures sur lesquelles le juge ne statuera pas. Les conclusions récapitulatives comprennent avant le dispositif, une synthèse des moyens invoqués avec l’indication des pièces afférentes. Seuls les moyens énoncés dans la synthèse sont formulés.

8) Un dispositif récapitulant les prétentions émises dans le cadre de la discussion.

Le dispositif doit uniquement récapituler les prétentions émises dans le cadre de la discussion. Il ne contient que les demandes, aucun moyen de fait ou de droit.
Il est conseillé de reporter toutes les prétentions précédemment exposées dans le cadre de la discussion dans l’ordre de présentation car le juge ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.
A défaut de prétentions énoncées au dispositif, le juge n’a pas à statuer quand bien même les moyens de fait et de droit auraient été longuement développés dans le corps des conclusions ou que les prétentions oubliées ont été présentées dans le dispositif des précédentes écritures sur lesquelles le juge ne statuera pas.
Les demandes de « donner acte, rappeler, constater » ne sont pas des prétentions.
Seules les prétentions « confirmer réformer condamner ordonner » énoncées dans le dispositif sont formulées.
 
9) La signature des conclusions.

Les articles 961 et 766 du Code de Procédure Civile disposent que les conclusions des parties sont signées par leur avocat et notifiées dans la forme des notifications entre avocats.
Cette signature est toutefois inutile lorsque la notification des conclusions se fait par le système de communication relevant du RPVA puisque le troisième alinéa de l’article 748-3 du même code énonce que : « les avis électroniques de réception ou de mise à disposition tiennent lieu de visa, cachet et signature ou autre mention de réception qui sont apposés sur l’acte ou sa copie lorsque ces formalités sont prévues par le présent code ».

10) Le dossier unique de pièces et le bordereau énumérant les pièces annexées aux conclusions.

Il sera joint aux conclusions un bordereau de pièces uniques énumérant les pièces qui ont été citées et numérotées dans le cadre de la discussion justifiant des prétentions.
Les pièces sont numérotées dans l’ordre où elles sont invoquées dans les conclusions.
Le juge et les parties bénéficient d’un dossier unique comportant une nomenclature harmonisée constant en première instance et en appel.

Références :
- Proposition de Réforme « Encadrer les conclusions d’avocat » de la DACS du 27 août 2021 ;
- Décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile 
Actualités Procédure Civile - Les décrets Magendie : 100 ans déjà !
L’essentiel, à l’aube de ce vingt-deuxième siècle, qu’il nous soit permis de rendre hommage à une réforme essentielle qui signait définitivement la disparition du plaideur. Les décrets Magendie : 100 ans déjà ! Libres propos Stéphane CECCALDI- Gazette du Palais édition Professionnelle
N°262 et 263 Vendredi 19 et Samedi 20 Septembre 2014. Libres propos Stéphane CECCALDI- Gazette du Palais édition Professionnelle
N°262 et 263 Vendredi 19 et Samedi 20 Septembre 2014.

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Interview de Benoit Henry par Nathalie Hantz, Rédaction du Village de la Justice.

[1Sur la question B Henry, voir le Village de la Justice : Guide des bonnes pratiques plan-type de présentation des écritures en appel, 6 septembre 2019 ; V. le Village de la Justice : Guide des bonnes pratiques Plan-type des pièces à produire par type de contentieux en appel, 10 septembre 2019 ; V. le Village de la Justice : Guide pratique du décret d’application du 11 décembre 219 : quels actes et pièces à produire devant le Tribunal judiciaire par type de contentieux, 13 février 2020

[2Cassation Plénière 7 juillet 2006 n°04-10.672 : Juris data n°2006-034519 ; JCP G 200, I,10070