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Le double contrôle des prises de participation dans une exploitation agricole. Par Alexandre Guillois, Avocat.
Parution : mercredi 19 janvier 2022
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Par un arrêt rendu le 30 novembre 2021, le Conseil d’Etat a rappelé qu’une prise de participation dans une société agricole pouvait être soumise au contrôle des structures si elle s’accompagne d’une participation effective.

Par ailleurs, la Loi du 23 décembre 2021 Sempastous instaure un contrôle spécifique des sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole.

Pour rappel, par la loi d’orientation agricole du 9 juillet 1999, le législateur avait souhaité soumettre sous certaines conditions une telle opération au contrôle des structures.

L’article L. 331-2 4° du Code rural précisait qu’une prise de participation financière majoritaire au capital d’une exploitation était soumise au régime de l’autorisation préalable :

Sont soumises à autorisation préalable les opérations suivantes :

4° Hormis la seule participation financière au capital d’une exploitation, toute participation dans une exploitation agricole, soit directe, en tant que membre, associé ou usufruitier de droits sociaux, soit par personne morale interposée, de toute personne physique ou morale, dès lors qu’elle participe déjà en qualité d’exploitant à une autre exploitation agricole, ainsi que toute modification dans la répartition des parts ou actions d’une telle personne morale qui a pour effet de faire franchir à l’un des membres, seul ou avec son conjoint et ses ayants droit, le seuil de 50 % du capital.

La Loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006 avait retiré de la liste des opérations soumises à autorisation au titre du contrôle des structures ces modifications dans la répartition des parts ou actions des sociétés à objet agricole.

Dans la Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014, le législateur a souhaité soumettre l’ensemble des prises de participation au contrôle des structures.

Cependant, par une décision en date du 9 octobre 2014, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnelles les dispositions de la loi d’avenir du 13 octobre 2014 en ce qui concerne le 2° de l’article L. 331-1-1 du Code rural et de la pêche maritime au motif qu’elle ne réservait pas la qualification d’agrandissement aux opérations sociétaires conduisant à une participation significative dans une autre exploitation agricole.

« 37. Considérant toutefois, que les dispositions du 2° de l’article L. 331-1-1 du Code rural et de la pêche maritime qualifient d’agrandissement d’exploitation agricole toute prise de participation, quelle que soit son importance ; qu’en ne réservant pas cette qualification aux prises de participation conduisant à une participation significative dans une autre exploitation agricole, ces dispositions ont porté au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi ; que, par suite, dans ce 2°, les mots : « ou de prendre, directement ou indirectement, participation dans une autre exploitation agricole » doivent être déclarés contraires à la Constitution » ;

Le législateur n’était pas intervenu pour reprendre ces dispositions et en préciser l’étendu.

Pour pallier à la carence du législateur, le pouvoir réglementaire a souhaité encadrer ce contrôle au travers de la notion de participation effective.

Le pouvoir réglementaire s’est rattachée aux dispositions non censurées de l’article L. 331-1-1 du Code rural et de la pêche maritime sur la définition d’agrandissement ou de réunion d’exploitations qui précisent que la mise à disposition de biens d’un associé exploitant lors de son entrée dans une personne morale est également considérée comme un agrandissement ou une réunion d’exploitations au bénéfice de cette personne morale pour encadrer ce contrôle par la définition de la notion « d’associé exploitant ».

En ce sens, l’article R. 331-1 du Code ruralprécise qu’une personne associée d’une société à objet agricole est regardée comme mettant en valeur les unités de production de cette société si elle participe aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l’importance de ces unités de production.

Dans un arrêt du 31 mars 2017, le conseil d’Etat, saisi d’un contrôle de légalité sur ces dispositions, a considéré qu’elles n’étaient pas illégales puisqu’elle n’avait pas pour effet de soumettre une simple prise de participation financière (non significative) dans une exploitation au contrôle des structures.

Que ces dispositions, qui se bornent à préciser à quelles conditions l’associé d’une société à objet agricole peut être regardé comme mettant en valeur les unités de production de la société, n’ont ni pour objet ni pour effet de soumettre au contrôle des structures une simple prise de participation financière dans une exploitation ; que le moyen tiré de ce que ces dispositions réglementaires méconnaîtraient la définition de l’agrandissement d’exploitation qui figure au 2° de l’article L. 331-1-1 cité ci-dessus doit, par suite, être écarté ;

A l’occasion de recours contentieux contre des mesures de police prises au titre du contrôle des structures, le conseil d’Etat a récemment eu l’occasion de rappeler que dans ce contexte législatif et réglementaire une participation financière dans une exploitation doit être prise en compte dans le cadre de ce contrôle si elle s’accompagne d’une participation effective à l’exploitation.

Tout d’abord, dans un arrêt en date du 2 juillet 2021, le conseil d’Etat a confirmé le raisonnement des juges de la Cour administrative d’appel de Nantes sur le fait que la superficie totale de mise en valeur d’une terre par un exploitant pouvait inclure les unités de production d’une personne associée à une société à objet agricole dès lors qu’elle participe effectivement aux travaux.

Ensuite, dans un arrêt en date du 30 novembre 2021, le conseil d’Etat a confirmé le raisonnement de ces mêmes juges sur le fait qu’une prise de participation financière qui s’accompagne d’une participation effective à l’exploitation est soumise au régime d’autorisation ou de déclaration préalable prévu par les dispositions de l’article L. 331-2 du Code rural et de la pêche maritime.

Les conclusions du rapporteur public dans cette dernière affaire apportent des précisions sur la vérification de cette participation effective.

Ce dernier indique qu’une prise de participation majoritaire est nécessairement le signe d’une participation effective.

En outre, la qualité « d’associé exploitant » dans les statuts de la société est un autre indice de cette participation effective.

Par ailleurs, par LOI n° 2021-1756 du 23 décembre 2021 portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires(dite Loi Sempastous), le législateur a souhaité instaurer un nouveau régime spécifique de contrôle des sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole sous l’autorité du préfet du département.

Le législateur complète le code rural et de la pêche maritime avec les articles L333-1 et suivants qui posent les bases de ce nouveau régime dont les modalités d’application restent à définir par décret en Conseil d’Etat et au niveau local par les préfets de régions.

L’entrée en vigueur de ce nouveau régime est prévue au plus tard au 1er novembre 2022.

L’article L333-2 I prévoit que la prise de contrôle d’une société possédant ou exploitant des biens immobiliers à usage ou à vocation agricole, réalisée par une personne physique ou morale qui détient déjà, directement ou indirectement, en propriété ou en jouissance, des biens de même nature dont la superficie totale excède un seuil d’agrandissement significatif ou qui, une fois réalisée la prise de contrôle, détiendrait une superficie totale excédant un seuil à définir par les préfets de régions est soumise à l’autorisation préalable du préfet du département.

A l’occasion de ce nouveau contrôle, le préfet du département examinera avec le concours de la SAFER si l’opération n’est pas de nature à porter atteinte aux objectifs fixés par l’article L331-1 du Code rural et de la pêche maritime, à savoir favoriser l’installation d’agriculteurs, la consolidation d’exploitations agricoles et le renouvellement des générations agricoles en luttant contre la concentration excessive des terres et leur accaparement.

Alexandre Guillois Avocat au Barreau de Saint-Brieuc.