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[Tribune] Faut-il poursuivre des non vaccinés ayant contaminé des vaccinés ?
Parution : mardi 18 janvier 2022
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La Tribune publiée le 10 janvier sur le site du Parisien, par David Smadja, professeur en hématologie et Benjamin Fellous, avocat au barreau de Paris [1] relayée par de nombreux médias, comporte des propositions qui méritent examen.

Le pass sanitaire a créé une inégalité de traitement importante entre vaccinés et non vaccinés. Le pass vaccinal, s’il est validé par le Conseil Constitutionnel, la rend plus lourde en refusant la possibilité, pour les non vaccinés, de faire des tests.

Ce que souhaitent les auteurs de cette tribune, c’est aller encore plus loin, à savoir, non seulement imposer l’obligation vaccinale, mais également pénaliser la contamination des personnes vaccinées par les personnes non vaccinées.

Ce qui interpelle en premier lieu, c’est l’analogie effectuée avec les personnes porteuses du VIH qui, en pleine conscience, dissimulent leur état de santé, ont des rapports sexuels non protégés et contaminent leur partenaire. .

Il paraît scientifiquement contestable de comparer le COVID avec le Sida.

Récemment, le journal Libération [2] indiquait que la létalité du virus, en baisse par rapport à 2020, ne serait à ce jour que de 0,42 %.

L’Agence Nationale Santé Publique France, reconnaît que la moyenne d’âge des morts du COVID s’établit à [81 ans (âge moyen) et 84 ans (âge médian) [3], ce qui correspond à peu près à l’espérance de vie à l’heure actuelle.

Surtout, le SIDA est une maladie sexuellement transmissible qui permet, assez aisément, d’identifier la ou les personnes qui ont été à l’origine de la contamination.

Rien de comparable avec le citoyen porteur du COVID qui, par sa simple respiration, contamine involontairement l’un de ses semblables.

Ce qui interpelle en deuxième lieu, c’est la proposition de supprimer le critère intentionnel du délit d’administration de substances nuisibles.

Ce critère est régulièrement rappelé par la Chambre Criminelle.

Ainsi, seule la contamination volontaire du virus du SIDA par des relations sexuelles non protégées est susceptible de rentrer dans cette qualification [4]

Supprimer ce critère pour permettre d’incriminer des non vaccinés ayant transmis le virus du COVID serait risquer d’ouvrir une boîte de Pandore.

Il est impossible, juridiquement, de réserver la pénalisation de la transmission d’un virus au seul COVID 19.

Dès lors, la proposition des auteurs de la Tribune de supprimer le caractère intentionnel de ce délit conduirait à poursuivre toutes les personnes non à jour de leurs vaccins, contaminant involontairement leurs semblables, et ce pour l’ensemble des maladies infectieuses.

On mesure le risque de pénalisation à outrance qui s’ensuivrait.

Ce qui pose question, en troisième lieu, c’est la mise en œuvre concrète d’une telle réforme pour des maladies infectieuses se répandant par voie aérienne.

Alors que le variant Omicron est extrêmement contagieux et se transmet par des supports très variés, comment concevoir d’incriminer une personne en indiquant qu’elle serait seule responsable de la contamination d’une autre ?

Une personne peut être contagieuse avant l’apparition des symptômes. Comment déterminer si elle était porteuse de la maladie ? A partir de quelle date ?

Comment apporter une quelconque preuve de sa culpabilité, de son innocence ?

De surcroît, pour engager la responsabilité pénale, il ne suffirait pas de démontrer que la personne non vaccinée en a contaminé une autre. Il faudrait également démontrer que cette contamination est la cause directe d’un COVID long, d’une forme grave ou d’un décès.

Or, le variant Omicron est le variant le moins dangereux de tous les variants. Il est courant d’être contaminé sans être malade. Le risque d’un COVID long est faible. Le risque d’une forme grave est encore plus faible. Le risque d’un décès est extrêmement faible.

Ainsi, même dans l’hypothèse d’une contamination effective, la mort ou l’infirmité n’est susceptible de survenir que du fait d’autres facteurs déterminants : absence de traitement précoces, comorbidités, prise en charge hospitalière trop tardive, voire même effets secondaires dus aux vaccins etc.

Dans ce contexte, il paraît particulièrement délicat de démontrer que les personnes à l’origine de la contamination auraient causé le risque le plus grave.

On mesure, à nouveau, toute la difficulté probatoire.

Le risque existe que, pour satisfaire les ressentiments populaires, le juge pénal à la faveur d’une loi de circonstance, soit poussé à tordre le cou à l’exigence de démontrer l’existence d’un lien « direct et immédiat » entre la faute et le préjudice.

Notre conception de la justice en serait singulièrement affaiblie.

Ce qui interpelle en quatrième lieu, c’est la volonté de soumettre les seuls non vaccinés à ces poursuites pénales.

Depuis des années, le Conseil Constitutionnel rappelle que, lorsque le législateur déroge au principe d’égalité, il ne doit le faire que pour des raisons d’intérêt général lorsque la différence de traitement qui en résulte est en rapport direct avec l’objet qui l’établit.

Or, à supposer même qu’une qualification délictuelle soit possible, quel intérêt général y aurait-il à soumettre les seuls non vaccinés à de telles poursuites ?

Chacun sait que les personnes vaccinées transmettent le virus dans des proportions de plus en plus semblables aux personnes non vaccinées.

Une étude publiée par le Lancet le 29 octobre dernier [5], révèle que le taux de contamination dans un même foyer est de 25 % chez les doublement vaccinés contre uniquement 38 % chez les non vaccinés.

De surcroît, parce qu’elles ne sont plus tenues de se faire tester, les personnes vaccinées se retrouvent en situation de contaminer leurs semblables pendant une plus longue période que les non vaccinés.

Dans ce contexte, on ne peut donc pas comparer, comme le fait la Tribune, la situation des vaccinés à des personnes séropositives qui ont mis un préservatif pour ne pas contaminer leurs partenaires : sans les gestes barrières et sans des tests réguliers, le vaccin ne suffit pas à protéger son voisin.

Certains soignants vaccinés déclarés positifs au COVID peuvent continuer de travailler, dans certaines conditions dans les hôpitaux.

Pourquoi permettrait-on à un patient d’attaquer un non vacciné, tout en refusant qu’il poursuive en justice le soignant qui l’aurait contaminé à l’hôpital ?

Sixièmement, l’idée d’instaurer une responsabilité pénale des non vaccinés au bénéfice des vaccinés est contraire au principe même de la vaccination.

Si des personnes vaccinées contractent des formes graves, pourquoi faudrait-il incriminer les personnes non vaccinées ?

Si les vaccins étaient pleinement efficaces, les personnes vaccinées n’auraient ni risques de formes graves, ni risque de décéder.

Les mesures pénales proposées dans la Tribune risquent de constituer un moyen de diversion habile pour que l’Etat et les laboratoires se dédouanent de leurs responsabilités juridiques et politiques.

Septièmement, cette responsabilité pénale ne se conçoit que dans le cas d’une obligation vaccinale qui n’est toujours pas effective aujourd’hui en France.

Aujourd’hui et même après l’entrée en vigueur du pass vaccinale, les personnes non vaccinées ne peuvent être pénalement poursuivies du fait du non respect d’une obligation vaccinale qui n’existe pas dans les faits.

A ce titre, l’arrêt du Conseil d’Etat du 6 mai 2019 cité par la Tribune est loin d’être univoque : pour que l’obligation vaccinale soit conforme à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, il faut, rappelle le Conseil d’Etat, qu’il existe un rapport suffisamment favorable entre la contrainte et le risque présentés par la vaccination et le bénéfice attendu.

Le bénéfice attendu dépend de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l’efficacité du vaccin.

Aujourd’hui, il est certain que le vaccin n’est plus efficace passé seulement quelques mois, à tel point que le gouvernement prévoit bientôt l’administration d’une quatrième dose.

Les effets secondaires n’ont pas été « rarissimes », mais d’une fréquence suffisamment élevée pour que plusieurs pays aient suspendu pendant plusieurs mois les vaccins Astrazeneca et Moderna du fait des risques de myocardites et de péricardites et que plusieurs sportifs connus aient été contraints d’interrompre leur saison.

Selon le dernier point de situation sur la surveillance des vaccins contre le COVID [6] (ANSM), le nombre d’effets indésirables n’est pas « rarissime » mais en augmentation constante (128.766 cas au total au 30 décembre 2021). La proportion de cas graves, tous vaccins confondus (Pfizer, Moderna, Astrazeneca, Janssen), est de 24 % (soit 30.904 personnes).

La situation actuelle est assez éloignée de celle que tranchait le Conseil d’État le 6 mai 2019. A cette époque, le Conseil d’État relevait que les 11 pathologies concernées étaient graves, que les vaccins présentaient une très grande efficacité, allant jusqu’à 100 % pour certaines maladies, et que leurs effets indésirables étaient limités au regard de leur efficacité et des bénéfices attendus.

Pour conclure, le chiffre de 80 % des patients non vaccinés actuellement en réanimation brandi par la Tribune comme une réalité implacable doit être relativisé.

Comme le relève Libération [7], il est le résultat d’une enquête flash réalisée par la SFARS pour la seule journée du 28 décembre dernier, auprès d’un tiers uniquement des services de réanimation.

Les personnes non vaccinées ne sont d’ailleurs pas responsables de la politique sanitaire menée depuis de nombreuses années par l’Etat, laquelle aggrave la situation actuelle [8].

Le Doyen Jean Carbonnier appelait avec sagesse à ne pas légiférer sous le coup de l’émotion.

Dans ces circonstances, alors que le pass vaccinal conduit à une restriction sans précédent de nos libertés, plus que jamais, le gouvernement doit savoir raison garder.

Hubert VEAUVY, avocat au barreau de Nantes Thomas BENAGES, avocat au barreau de Clermont Ferrand Joëlle VERBRUGGE, avocat au barreau de Bayonne Laetitia RIGAULT, avocat au barreau de Saint Denis de la Réunion Stéphanie CHRETIEN, avocat au barreau de Paris Marc GOTTI, juriste

[6Publié le 7 janvier 2022 par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament.

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