Village de la Justice www.village-justice.com

Rappels sur les droits des passagers en cas de grève perturbant le transport aérien. Par Par Anaïs Escudié et Guilhem Della Malva, Juristes.
Parution : vendredi 21 janvier 2022
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/rappels-sur-les-droits-des-passagers-cas-greve-perturbant-transport-aerien,41371.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Comme le démontre l’actualité, le transport aérien est régulièrement perturbé par des actions syndicales en tout genre : grève des contrôleurs, grève des bagagistes, grève des pilotes… Ces évènements ont une chose en commun : ils peuvent provoquer retards et annulations pour les passagers. Cependant, tous n’ont parfois pas les mêmes conséquences sur les droits des passagers.

Certains droits ne sont pas affectés par la nature de la grève en cause.

Depuis 2004, l’Union Européenne a considérablement amélioré la protection des droits des passagers aériens à l’aide d’un texte majeur : le règlement européen n°261/2004 du 11 février 2004. Celui-ci prévoit d’importantes dispositions en faveur des passagers.

Ainsi, quelle que soit la nature de la perturbation affectant le vol que doivent ou devaient prendre les passagers, ceux-ci bénéficieront des droits suivants :

En cas de retard :
- L’article 6, 1. opère un renvoi vers l’article 9, 1. A) qui dispose que les passagers doivent se voir proposer la possibilité de se rafraichir et de se restaurer ;
- L’article 6, 1. iii) dispose qu’en cas de retard supérieur à 5 heures, le passager peut choisir d’annuler sa réservation et d’être remboursé du prix des billets, conformément au choix proposé à l’article 8, 1.

En pratique, en cas de retard jusqu’au lendemain, si les passagers choisissent de maintenir leur réservation : la nuit d’hôtel et le transport de l’aéroport jusqu’à l’hôtel sont à la charge de chaque compagnies et ce conformément aux dispositions de l’article 9, 1. b) et c).

En cas d’annulation :

- L’article 5 dispose, par renvoi à l’article 9, 1. a) que les passagers doivent se voir proposer des rafraichissements et la prise en charge des frais de restauration ;

- L’article 5 renvoie également à l’article 8, 1. qui donne au passager choix entre un remboursement du vol et un réacheminement vers sa destination ;

- Enfin, par renvoi à l’article 9, 1. b) il est donné aux passagers le droit de bénéficier de la prise en charge de la ou des nuits d’hôtel ainsi que le transport entre l’aéroport et l’hôtel dans le cas le passager aurait accepté un vol de réacheminement le lendemain, ou resterait en attente d’un siège disponible sur un prochain vol.

Il arrive que les compagnies ne proposent pas d’elles-mêmes des bons pour se restaurer, ou de nuit à l’hôtel. Dans ce cas, les passagers sont invités à bien conserver les factures prouvant qu’ils auraient eux-mêmes dû payer pour les services détaillés ci-dessus. Ils pourront ensuite en demander le remboursement à leur compagnie aérienne. Les passagers devraient cependant noter les compagnies ne rembourseront en pratique que le strict nécessaire : dommage pour ceux qui penseraient profiter d’un étoilé aux dépends de leur transporteur !

Le droit à l’indemnisation dépend de la nature de la grève.

C’est le point majeur du règlement européen : ainsi qu’en disposent l’article 5 et l’article 7, les passagers peuvent exiger une indemnisation forfaitaire qui doit compenser le préjudice subi par le passager en cas d’annulation. Depuis une jurisprudence Sturgeon contre Condor Flugdienst GmbH” (C-402/07) du 19 novembre 2009, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a même ouvert ce droit aux passagers dont le retardé est supérieur à 3 heures !

Attention cependant : l’article 5, 3. dispose que le transporteur est exempté de cette obligation d’indemnisation du passager s’il est en mesure de prouver que la perturbation du vol est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.

La CJUE a eu de nombreuses fois l’occasion de définir plus précisément ces circonstances extraordinaires. Ainsi, l’événement perturbateur doit être inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné, et il doit échapper à la maîtrise effective de celui-ci (voir les arrêts du 22 décembre 2008, Wallentin-Hermann, du 17 septembre 2015 Van der Lans, ainsi que du 11 juin 2020, Transportes Aéros Portugueses).

Du fait de cette importante limite apportée par le règlement et sa jurisprudence, il est important de distinguer les grèves en deux grandes catégories :
- Les grèves dont la compagnie peut être considérée responsable et sur lesquelles elle peut influer : il s’agit des actions de son personnel : pilote, stewards/hôtesses, bagagistes de la compagnie, et autres salariés ;
- Les grèves sur lesquels elle ne peut pas influer : actions des contrôleurs aériens et personnel de l’aéroport notamment.

Dans le cas des vols annulés ou retardés du fait des mouvements de grève de la première catégorie, la compagnie est en principe obligée d’indemniser les passagers. Ces évènements ne correspondent en effet pas à la définition de circonstance telle qu’apportée par la jurisprudence. Il est toutefois intéressant de noter que la CJUE ne semble pas distinguer que

la grève du personnel salarié d’une compagnie ait été accompagnée d’un préavis ou non.

Ainsi, dans un arrêt du 23 mars 2021, les juges de la plus haute instance européenne avaient déterminé qu’une grève organisée par un syndicat de compagnie aérienne, notamment pour obtenir une augmentation, n’est pas une circonstance extraordinaire. Dans un arrêt du 17 avril 2018 « Krüsemann », la troisième chambre de la CJUE a ainsi affirmé qu’une grève sauvage, qui consistait en l’absence spontanée et massive des salariés en réaction à une annonce surprise de restructuration par ses dirigeants, ne consistait pas en une circonstance extraordinaire.

Dans le cas des vols perturbés par des grèves relevant de la deuxième catégorie cependant, la compagnie est en droit de ne pas indemniser les passagers : ces évènements ne sont pas considérés comme faisant partie de l’activité normale de la compagnie mise en cause (il faut entendre par ici toute activité qui fait partie de la gestion d’une compagnie par ses dirigeants : une restructuration en fait par exemple partie), et celle-ci n’est pas en mesure d’agir sur ces perturbations.

Des jurisprudences à venir viendront très probablement préciser encore les types de grèves susceptibles d’exonérer ou non les compagnies d’indemniser les passagers, eut égard à l’importance accordée par la CJUE au contexte des faits entourant ces actions.

Anaïs Escudié, Présidente de RetardVol et Guilhem Della Malva, Juriste