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Les dons de documents des bibliothèques. Par Rikki Bendahi, Juriste.
Parution : vendredi 21 janvier 2022
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Le nouvel article L3212-4 du Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) créé par la loi n°2021-1717 du 21 décembre 2021 relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique apporte deux nouveautés importantes et attendues sur les cessions des fonds documentaires des bibliothèques publiques.

Ces nouveautés concernent, d’une part, la possibilité pour l’État et les collectivité territoriale de céder à titre gratuit les documents appartenant à leurs bibliothèques, et, d’autre part, la possibilité offerte aux bénéficiaires de ces dons de céder ces biens à titre onéreux sans encourir de sanction.

Nous rappellerons tout d’abord ce que recoupe le principe d’interdiction des libéralités de la part des personnes publiques (A), avant d’évoquer les quelques exceptions réglementaires à ce principe existantes à ce jour (B), pour enfin, aborder le don des documents des bibliothèques (C).

I - En rappel : le principe d’interdiction des libéralités par les personnes publiques.

Le principe d’interdiction des libéralités par les personnes publiques a été rappelé à de nombreuses reprises. Il postule qu’une personne publique ne peut octroyer un avantage à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé. Cette interdiction n’est pas absolue et connaît une exception générale. Ainsi, la personne publique pourra octroyer un avantage à une personne privée si cela est justifié par des motifs d’intérêt général et s’il y’a des contreparties suffisantes.

L’article L3211-18 du Code général de la propriété des personnes publiques interdit les aliénations du domaine de l’État à titre gratuit ou à un prix inférieur à leur valeur vénale. Cette interdiction vaut également pour les collectivités et va au-delà du simple domaine mobilier et s’applique à tous les domaines par simple mimétisme.

Ainsi, « une personne publique ne peut légalement louer un bien à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé pour un loyer inférieur à la valeur locative de ce bien, sauf si cette location est justifiée par des motifs d’intérêt général et comporte des contreparties suffisantes » [1]. Cette interdiction est traditionnelle en droit public. On peut citer en cela l’arrêt du Conseil d’État du 17 mars 1893 (Chemins de fer de l’est). Il s’agit d’une règle d’ordre public sanctionnée d’office par le juge.

Dans un autre domaine, le juge a pu rappeler dans une décision rendue le 22 juin 2012

« qu’en vertu de l’interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités, un contrat administratif ne peut légalement prévoir une indemnité de résiliation ou de non-renouvellement qui serait, au détriment de la personne publique, manifestement disproportionnée au montant du préjudice subi par le cocontractant du fait de cette résiliation ou de ce non-renouvellement » [2].

Egalement, en matière de cession immobilière, le Conseil d’État, dans une décision du 3 novembre 1997, a précisé que

« la cession par une commune d’un terrain à une entreprise pour un prix inférieur à sa valeur ne saurait être regardée comme méconnaissant le principe selon lequel une collectivité publique ne peut pas céder un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé lorsque la cession est justifiée par des motifs d’intérêt général, et comporte des contreparties suffisantes » [3].

De tout ce qui précède, il faut retenir que, dans le cadre d’un échange entre une personne publique et une personne poursuivant des fins d’intérêt privé, la balance ne doit pas être en défaveur de la personne publique. Il doit y avoir une équivalence entre ce que donne la collectivité et ce qu’elle reçoit. Le prix payé pour un immeuble doit correspondre à la valeur de cet immeuble. Si la personne publique octroie un avantage, celui-ci devra être contrebalancé par l’existence, d’une part, d’un motif d’intérêt général (la collectivité n’intervient que pour l’intérêt général), et, d’autre part, de contreparties suffisantes, sous l’œil vigilant du juge.

II - Des exceptions réglementaires limitées : l’article L3212-2 du CGPPP.

L’article L3212-2 du Code général de la propriété des personnes publiques prévoient plusieurs exceptions à l’interdiction de cession à titre gratuit des biens de l’État, et donc des collectivités territoriales. Sans reprendre tous les cas prévus par l’article L3212-2, voici les situations les plus courantes, s’agissant de biens mobiliers et de matériels informatiques.

A - Cessions de biens meubles aux associations.

L’article L3212-2 offre la possibilité à l’État et aux collectivités de céder gratuitement les biens meubles dont la valeur unitaire n’excède pas 300 euros à des fondations ou à des associations relevant de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association et dont les ressources sont affectées à des œuvres d’assistance, notamment à la redistribution gratuite de biens meubles aux personnes les plus défavorisées.

B - Cessions de matériels informatiques aux associations.

L’article L3212-2 offre également la possibilité à l’État et aux collectivités de céder gratuitement les matériels informatiques dont les services n’ont plus l’emploi et dont la valeur unitaire n’excède pas 300 euros aux associations de parents d’élèves, aux associations de soutien scolaire, aux associations reconnues d’utilité publique, aux organismes de réutilisation et de réemploi agréés « entreprise solidaire d’utilité sociale » et aux associations d’étudiants.

C - Cessions de matériels informatiques aux agents.

Enfin, l’article L3212-2 offre la possibilité à l’État et aux collectivités de céder gratuitement les matériels informatiques et les logiciels nécessaires à leur utilisation, dont les services n’ont plus l’emploi et dont la valeur unitaire n’excède pas 300 euros, aux personnels des administrations concernées.

Dans tous les cas, les bénéficiaires des cessions ne peuvent à leur tour céder ces biens sous peine d’être exclus du dispositif. Dans le second cas, l’usage est par ailleurs limité exclusivement dans le cadre de l’objet social des associations. Une distinction est clairement posée entre les biens mobiliers et le matériel informatique. D’où il convient de comprendre que le matériel informatique ne pourra être assimilé à un bien mobilier dans ce cas de figure des cessions à titre gratuit.

Jusqu’au 23 décembre 2021, ce principe d’interdiction des libéralités ne connaissait pas d’autres exceptions réglementaires, et il en est une qui était fortement attendue, notamment des juristes des collectivités territoriales qui jouaient les empêcheurs de tourner en rond à force de dire qu’il était interdit à la collectivité de donner gratuitement des livres.

III - Cession des documents des bibliothèques.

Beaucoup de collectivités propriétaires de bibliothèques ne savaient pas comment gérer leurs fonds documentaires devenus inutiles, obsolètes, ou tout simplement prenant trop de place pour continuer à être conservés du fait du renouvellement des collections. L’une des solutions est le pilon, la destruction pure et simple des collections inutiles. Certaines bibliothèques ont trouvé une solution alternative au travers de ventes annuelles. Une grande brocante est organisée et les citoyens peuvent venir acheter à 1, 2 ou 3 euros des livres usagers, mais encore en bon état.

Cette pratique trop récente n’était pas suffisante pour vider les fonds documentaires.
Le législateur les a entendus, les a écoutés, et surtout a répondu à leurs attentes.

Ainsi, le nouvel article L3212-4 du Code général de la propriété des personnes publiques permet le don de fonds documentaires des bibliothèques de l’État et des collectivités territoriales à des fondations, associations ou organismes de l’économie solidaire. Surtout, il permet que ces derniers puissent à leur tour céder ces fonds mais à titre onéreux. Nous ne nous attarderons pas sur la qualité du propriétaire, s’agissant de personnes publiques.

A - Les « documents » concernés.

Les objets concernés par la possibilité de don sont « les documents appartenant aux bibliothèques ». Le terme de « documents », sciemment entendu comme très large, permet d’appréhender tous les types de documents détenus par les bibliothèques, sans distinguer entre les documents écrits (livres), les documents sonores (CD ou cassettes audio), ou encore les documents vidéos (CD vidéos, cassettes VHS, et même betamax).

Il aurait été plus simple et plus judicieux d’évoquer les fonds documentaires de bibliothèques au sens large, cela n’aurait ainsi pas pu prêter à confusion.

B - Organismes bénéficiaires des dons.

Les structures concernées sont les fondations, certaines associations relevant de la loi du 1er juillet 1901 sur le contrat d’association, et enfin certaines organisations. Elles ont en commun de poursuivre un but d’intérêt général.

1. Les fondations.

Toutes les fondations sont concernées par le don. En effet, selon l’article 18 de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat, la fondation est créée suite à l’affectation irrévocable de biens, droits ou ressources à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général et à but non lucratif. Contrairement à une association qui peut n’avoir aucun bien et aucun intérêt général à défendre, et contrairement à une société commerciale dont l’objet premier est le profit, la fondation œuvre obligatoirement dans un but d’intérêt général. En cela, elle se rapproche d’une personne publique.

2. Les associations.

Ensuite, les associations pouvant bénéficier des dons sont celles, d’une part, relevant de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association et, d’autre part, mentionnées au a du 1 de l’article 238 bis du Code général des impôts et dont les ressources sont affectées à des œuvres d’assistance (orphelinats, sociétés de sauvetage,...). Ces associations sont des œuvres ou des organismes d’intérêt général ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises. Les activités d’assistance s’entendent des activités de secours à destination de personnes se trouvant dans des situations de détresse et de misère, en leur venant en aide pour leurs besoins indispensables. En outre, ces associations sont habilitées à délivrer des reçus de dons ouvrant droit à une réduction d’impôt. À nouveau, l’intérêt général de l’action de l’association est mis en avant. L’association n’est pas tournée vers la satisfaction d’intérêts particuliers.

3. Certaines organisations.

Enfin, les documents peuvent être cédés gratuitement aux organisations mentionnées au II de l’article 1er de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire. Dans ce cadre, nous retrouvons :
a) Les personnes morales de droit privé constituées sous la forme de coopératives, de mutuelles ou d’unions relevant du Code de la mutualité ou de sociétés d’assurance mutuelles relevant du Code des assurances, de fondations ou d’associations régies par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ou, le cas échéant, par le Code civil local applicable aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ;
b) Les sociétés commerciales qui, aux termes de leurs statuts, remplissent les conditions suivantes :
- Elles respectent les conditions fixées au I de l’article visé (celles de l’économie solidaire) ;
- Elles recherchent une utilité sociale au sens de l’article 2 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire ;
- Elles appliquent les principes de gestion suivants (rappelés succinctement) :
- i. Le prélèvement d’une fraction, au moins égale à 20% des bénéfices de l’exercice, affecté à la constitution d’une réserve statutaire obligatoire, dite « fonds de développement » ;
- ii. Le prélèvement d’une fraction, au moins égale à 50% des bénéfices de l’exercice, affecté au report bénéficiaire ainsi qu’aux réserves obligatoires ;
- iii. L’interdiction pour la société d’amortir le capital et de procéder à une réduction du capital non motivée par des pertes.

De manière synthétique, les personnes morales pouvant bénéficier de dons et pouvant céder à titre onéreux les biens reçus œuvrent toutes dans un but d’intérêt général. Le législateur a entendu et enfin répondu aux attentes des bibliothécaires publics en mal libéralité. Le lecteur se reportera utilement aux articles concernés pour obtenir des détails complémentaires sur les cas visés.

Rikki Bendahi. Juriste

[1CE du 28 septembre 2021, n°431625, CCAS de Pauillac.

[2CE, 22 juin 2012, n°348676, Chambre de commerce et d’industrie de Montpellier.

[3CE,3 novembre 1997, n° 169473, Commune de Fougerolles.