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[Point de vue] Annexe à la déclaration d’appel : encore une "bonne" raison de ne pas juger. Par Alexandre Salvignol, Avocat.
Parution : vendredi 21 janvier 2022
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Au visa des articles 562 et 901, 4° du CPC, la déclaration d’appel qui ne mentionne pas les chefs de jugement critiqués dans l’acte lui-même mais seulement dans un acte qui lui est annexé, sans démonstration d’un empêchement d’ordre technique, n’emporte pas d’effet dévolutif.
Cass. Civ. 2, 13 janvier 2022, pourvoi n°20-17.516.

La Cour de cassation par son arrêt du 13 janvier 2022 nous souhaite, à nous praticiens mais aussi par-là aux justiciables, des vœux amers… continuant comme elle ne le cesse depuis des années d’interpréter les textes en défaveur de l’aboutissement normal du procès vers lequel les règles de procédures devraient tendre : une décision tranchée au fond.

Selon cet arrêt déjà décrié sur les réseaux sociaux et plus officiellement, la deuxième chambre civile prend position sur la validité d’une déclaration d’appel qui mentionne les chefs de jugement critiqués de la décision de première instance non dans le corps de la déclaration elle-même mais dans une annexe jointe à cette déclaration.

On savait de manière affirmée depuis l’arrêt du 30 janvier 2020 [1] largement commenté [2] que la Cour de cassation sanctionne, sauf appel aux fins d’annulation, l’absence de mention des chefs de jugement critiqués dans une déclaration d’appel tenant l’absence d’effet dévolutif.

Le praticien et le justiciable pouvaient déjà regretter cette lourde sanction alors que les auteurs pouvaient discuter, sans se réjouir, de la différence entre une fin de non-recevoir qui tend à l’irrecevabilité de l’appel et l’absence d’effet dévolutif qui laisse l’appel recevable mais dont les effets sont à terme identiques.

Ici et une nouvelle fois les articles 562 et 901, 4° du CPC sont cités mais la Cour de cassation ajoutera que la déclaration d’appel est « un acte de procédure se suffisant à lui seul » de telle manière que la possibilité d’y annexer les chefs de jugement critiqués ne se justifierait que dans l’hypothèse d’un empêchement technique.

On entendra qu’un « empêchement technique » sera par exemple le manque de caractères autorisés par le sacrosaint RPVA pour intégrer dans l’encart virtuel qui leur est dévolu, l’intégralité des chefs de jugement critiqués…

Ainsi en l’espèce est rejeté le pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon ayant jugé que la déclaration critiquée n’a pas pu emporter d’effet dévolutif faute de démonstration qu’un empêchement technique aura contraint l’appelant de viser les chefs de jugement critiqués dans le « corps » de l’acte.

Il convient de rappeler que l’article 562 du CPC ne vise pas la notion de « déclaration d’appel » mais seulement la mention « d’appel », pour préciser que ce dernier ne « défère à la Cour que les chefs de jugement qu’il critique ».

L’article 901 du même code, qui lui est relatif au contenu de la déclaration d’appel, en son 4° point, nous apprend que l’acte doit contenir à peine de nullité, « les chefs de jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité… ».

On comprend selon ce double visa que la Cour de cassation dispose bien de deux options, l’absence d’effet dévolutif ou la nullité.

Mais alors en s’appuyant sur l’article 901 pour critiquer expressément la forme de la déclaration d’appel qui selon elle est « un acte de procédure qui se suffit à lui-même » on aurait pu s’attendre à ce que la sanction retenue soit la nullité, en l’occurrence de forme, qui implique la démonstration d’un grief.

Selon un principe de cohérence, la Cour de Cassation aurait pu retenir que seule une nullité ne pouvait être engendrée puisqu’elle jugeait par sa même deuxième chambre le 5 décembre 2019 (pourvoi n°18-17.867) que « l’intimé qui reçoit dans les délais prescrit par l’article 905-1 du CPC la signification de la déclaration d’appel dépourvue de l’annexe énonçant les dispositions critiquées du jugement, est mal fondé à soulever la caducité de l’acte d’appel, dont l’éventuelle irrégularité, au regard des dispositions de l’article 901 du même code, est sanctionnée par la nullité ».

La Cour de cassation avait certainement « les coudées franches » pour juger que les moyens annexés suffisaient au respect des articles 562 et 901 du CPC en estimant par exemple que rien n’interdit les annexes ou encore plus simplement en estimant que la sanction serait disproportionnée au regard des impératifs de l’article 6-1 de la CEDH.

Mais quand bien même elle resterait désireuse d’encadrer strictement le contenu d’une déclaration d’appel, Il faut se convaincre que rien ne l’empêchait, sans se désavouer, de distinguer selon que la déclaration ne contient aucun chef de jugement critiqué ou selon qu’ils sont présents mais annexés, quelle qu’en soit la cause, afin de privilégier une solution juste et tout autant si ce n’est mieux fondée en Droit en retenant une nullité de forme.

Mais l’œuvre de destruction du principe de l’accès au juge continue…

Le Professeur François Leborgne, qui lui possède un esprit assez puissant pour comprendre le sens de l’œuvre d’Henry Motulsky écrivait en reprenant lui-même les termes de notre maître à tous s’agissant du rôle du juge civil « que c’est parce qu’il a fonctionnellement pour mission - « une tâche magnifique et redoutable » - de rendre la Justice qu’il ne lui est pas possible de demeurer un spectateur passif, impassible ; il peut et il doit prendre les initiatives propres à donner au litige sa physionomie véritable et sa solution juste. Le procès civil est perçu par Henry Motulsky comme un conflit d’intérêts privés certes, mais aussi et surtout comme le lieu et le moment où doit se réaliser l’idéal de Justice » [3].

Quand on en vient à citer Motulsky, l’heure est grave, mais à un plus humble niveau peut-on surement au moins s’accorder à penser que l’œuvre du juge consiste à rendre, pour la paix et l’ordre social, des décisions au fond, jugées en droit, de manière impartiale et dans un délai raisonnable ; tout ce qui ne servirait pas ce but n’ayant pas lieu d’être.

Il va sans dire que le Droit et plus particulièrement le droit processuel exigent des sanctions qui assurent la bonne tenue du procès, l’égalité des parties devant la Loi et l’efficacité tant des procédures que des décisions. On trouve donc derrière chaque règle et chaque sanction, parfois en « escalier », un grand principe qui les justifient.

Pour autant à lire cet arrêt du 13 janvier 2022, aussi rigoriste que l’on soit, on est bien en peine pour comprendre l’intérêt supérieur de cette position.

Comment peut-on justifier de manière « honnête » à un justiciable qu’il n’aura pas accès au juge au seul motif que les chefs de jugement qu’il critique sont mentionnées dans une pièce jointe à la déclaration d’appel déposée par son conseil et de surcroit oser prétendre que la Justice a été rendue ?

Nous vivons sans aucun doute une période d’une pauvreté juridictionnelle et judiciaire exceptionnelle. Une décennie où la procédure civile glisse irrémédiablement à la dérive, sabotée notamment par un RPVA et des décrets Magendie qui on le sait, mais c’était prédit, ne peuvent justifier la disparition des moyens humains et de la mise en état en elle-même en dépit de leur caractère fondamental.

A l’heure où les auxiliaires de Justices et les justiciables devraient pouvoir compter sur le ressort des plus hauts dignitaires de notre système judiciaire, la Cour de cassation par cet arrêt du 13 janvier 2022 démontre une nouvelle fois, si on en doutait, qu’elle participe très activement au mal-être processuel qui nous afflige.

Alexandre Salvignol Salvignol & Associés Avocat

[1Civ, 2, 30 janvier 2020, FS-P+B+I n° 18-22.528.

[2Notamment obs. R. Laffly Dalloz Actualité, 17 février 2020.

[3Revue juridique de l’Ouest 2015-2 ; Leborgne François. Le Droit selon Henri Motulsky.

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