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Licenciement discriminatoire d’un machiniste receveur lié à son état de santé. Par Frédéric Chhum, Avocat et Annaelle Zerbib, Juriste.
Parution : mardi 25 janvier 2022
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Dans un arrêt du 8 septembre 2021 (n° RG 19/02305), la Cour d’appel de Paris juge la révocation du contrat de travail pour faute grave d’un machiniste receveur nulle car discriminatoire en lien avec l’état de santé.
Le machiniste receveur obtient 42.902,91 euros.
L’arrêt est définitif.
CA Paris 8 sept. 2021.

Faits et procédure.

M. X a été engagé par l’Epic Ratp suivant un contrat de travail à durée indéterminée du 13 avril 2004, en qualité d’élève machiniste receveur au département bus.

En janvier 2009, consécutivement à la découverte d’une pathologie, M. X a été contraint de suivre un traitement.

A compter du 4 septembre 2017, à la suite de son arrêt de travail, M. X ne s’est plus présenté sur son lieu de travail.

Le 9 octobre 2017, il a été convoqué à un entretien préalable auquel il ne s’est pas présenté.

Il en a été de même lors de l’audience devant le conseil de discipline.

Le 12 décembre 2017, M. X a été révoqué pour faute grave.

Estimant sa révocation nulle du fait de son caractère discriminatoire, M. X a saisi le Conseil de prud’hommes de Paris le 19 avril 2018, aux fins de solliciter le paiement de diverses sommes.

Par un jugement en date du 27 décembre, le Conseil de prud’hommes a :
- Débouté M. X de l’ensemble de ses prétentions ;
- Condamné le salarié aux dépens de l’instance.

Le 31 janvier 2019, M. X a interjeté appel de cette décision.

Par arrêt contradictoire du 8 septembre 2021, la Cour d’appel de Paris :
- Condamne l’Epic Ratp à verser à M. X les sommes suivantes :
- 7.392,67 euros bruts à titre de rappel de salaires entre le 4 septembre 2017 et le 12 décembre 2017 ;
- 739,26 euros au titre des congés payés afférents ;
- 517,96 euros bruts à titre de rappel de treizième mois pour l’année 2017 ;
- 51,79 euros bruts au titre des congés payés afférents ;
- 1.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour discrimination liée à l’état de santé ;
- 4.928,44 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
- 492,84 euros bruts au titre des congés payés afférents ;
- 10.779,95 euros bruts à titre d’indemnité légale de licenciement ;
- 15.000 euros à titre d’indemnité pour révocation nulle ;
- 2.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile
- Rappelle que les créances salariales sont assorties des intérêts au taux légal à compter de la réception par les intimés de la convocation devant le Conseil de prud’hommes et que les créances indemnitaires ouvrent droit aux mêmes intérêts légaux à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant ;
- Ordonne le remboursement par l’Epic Ratp aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à M. X dans la limite de deux mois ;
- Ordonne la remise par l’employeur d’un bulletin de paie récapitulatif, d’une attestation destinée au Pôle emploi et d’un certificat de travail conformes aux termes du présent arrêt et ce, dans un délai de 2 mois à compter de son prononcé ;
- Déboute M. X du surplus de ses prétentions ;
- Déboute l’Epic Ratp de ses demandes ;
- Condamne l’Epic Ratp aux entiers dépens.

Au total, le machiniste receveur de la Ratp obtient la somme de 42.902,91 euros.

1) Sur la demande d’annulation de la révocation du machiniste receveur : l’Epic Ratp ne justifie pas que sa décision repose sur un élément objectif pertinent, étranger à toute discrimination en lien avec l’état de santé du salarié.

a) Règles applicables.

Aux termes de l’article L1132-1 du Code du travail, aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

L’article L1134-1 du Code du travail prévoit qu’en cas de litige relatif à l’application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels, il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

b) Éléments présentés par le machiniste receveur pour établir la discrimination.

Comme éléments de nature à laisser supposer une discrimination en lien avec le motif prohibé de son état de santé, Monsieur X présente les éléments suivants :
- Le médecin du travail l’a déclaré inapte définitivement à son emploi statutaire de machiniste receveur le 13 janvier 2017 ;
- L’Epic Ratp l’a révoqué pour faute du fait d’une absence non autorisée et injustifiée depuis le 4 septembre 2017, absence qu’il n’avait pas à justifier à raison de son inaptitude à l’emploi statutaire de machiniste receveur.

Ce faisant, Monsieur X présente des éléments de nature à laisser supposer l’existence d’une discrimination en lien avec son état de santé.

La RATP fait valoir que la révocation pour faute grave est justifiée et repose sur un élément objectif étranger à toute discrimination en lien avec son état de santé.

Outre qu’elle invoque le désir exprimé par le salarié de quitter la RATP par le biais d’une rupture conventionnelle, l’absence de réponse du salarié à toutes ses convocations et son déménagement en Vendée, elle explique que Monsieur X était en mi-temps thérapeutique depuis le 3 novembre 2016, qu’il exécutait dans ce cadre une mission au sein du SDL sur la ligne de tramway numéro 1 jusqu’au 19 janvier 2017, date à laquelle il a été de nouveau placé en arrêt maladie.

Elle en déduit que l’avis médical d’inaptitude n’a pu mettre fin à une quelconque suspension du contrat de travail antérieur ni le soustraire à son obligation de poursuivre la mission qui lui avait été confiée, qu’arrêté de nouveau entre le 19 janvier 2017 et le 4 septembre 2017, Monsieur X avait l’obligation de se présenter sur son lieu de travail ou de justifier ses absences au-delà de cette date.

Elle ajoute que l’inaptitude définitive à tout emploi au sein de la régie relève de la seule compétence de la commission médicale, qu’in fine Monsieur X n’a pas fait l’objet d’une telle réforme médicale par la commission idoine, que la décision de refus de la réforme a été confirmée par la commission médicale d’appel du 4 juillet, ce dont il a été informé par un document remis en main propre le 4 juillet 2017 et qu’il verse aux débats.

c) Solution de la Cour d’appel.

Il résulte de la combinaison des articles L1211-1, L1226-2 du Code du travail et 99 du chapitre VII du statut du personnel de l’Epic Ratp prévu par l’article 31 de la loi n°48-506 du 21 mars 1948, que lorsqu’il a été médicalement constaté qu’un salarié se trouve de manière définitive atteint d’une inaptitude physique à occuper son emploi, il appartient à l’employeur de le reclasser dans un autre emploi et, en cas d’impossibilité, de prononcer, dans les conditions prévues pour l’intéressé, la rupture du contrat de travail.

Par ailleurs, le statut du personnel de l’Epic Ratp prévoit 2 types de réformes, la réforme médicale prononcée en cas d’inaptitude à tout emploi à la suite d’un arrêt de travail pour maladie d’au moins 3 mois et la réforme pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Pour qu’un salarié puisse bénéficier d’une réforme médicale ouvrant droit pour l’agent à la perception anticipée de sa pension de retraite mensuelle garantie à vie, 4 conditions cumulatives doivent être réunies :
- L’agent doit avoir fait l’objet d’un congé maladie continu de plus de 3 mois ;
- A la suite de ce congé maladie, il doit avoir été déclaré inapte par le médecin du travail à tout emploi au sein de la Ratp ou du groupe Ratp ;
- L’agent doit avoir saisi la commission médicale avant d’être réformé médicalement ;
- Son inaptitude définitive à tout emploi et sa réforme doivent être validées par la commission médicale.

Dans le cas présent, il est patent que Monsieur X a été déclaré inapte définitif à son emploi statutaire par le médecin du travail le 13 janvier 2017, et que la commission de réforme médicale a, y compris à l’issue d’un recours, refusé sa mise à la réforme médicale.

Pour autant, si les dispositions de l’article 99 du statut de la Ratp, subordonnant le reclassement à la présentation d’une demande par l’intéressé ont pour objet d’interdire à l’employeur d’imposer un tel reclassement, elles ne le dispensent pas d’inviter l’intéressé à formuler une telle demande.

Or, il n’est pas établi que, nonobstant les avis émis par la commission médicale de refus de mise à la réforme médicale, l’Epic Ratp ait expressément invité Monsieur X à formuler une telle demande de reclassement.

Par ailleurs, en application même des dispositions statutaires, l’Epic Ratp ne peut soutenir que la mission temporaire mise en œuvre pendant la durée de l’inaptitude provisoire avait vocation à être poursuivie au-delà du 13 janvier 2017, date à laquelle l’inaptitude définitive à l’emploi statutaire avait été déclarée et ce, nonobstant le fait que le salarié se fut présenté à ce poste temporaire jusqu’au 19 janvier 2017, date à laquelle il a été de nouveau placé en arrêt maladie.

Dans ces conditions, outre que Monsieur X avait envisagé d’exercer une activité propre en Vendée, ce dont l’Epic Ratp ne peut se prévaloir pour anticiper le refus du salarié de former expressément une demande de reclassement à son invitation à le faire, voire son refus éventuel opposé à toute proposition de poste de reclassement, l’abstention du salarié de se présenter le 4 septembre 2017 au poste désigné pour la durée de la mission temporaire dans le cadre de l’inaptitude provisoire et du mi-temps thérapeutique alors mis en place ne peut constituer une faute disciplinaire justifiant le licenciement prononcé.

La Cour d’appel en déduit que l’Epic Ratp ne justifie pas que sa décision repose sur un élément objectif pertinent, étranger à toute discrimination en lien avec l’état de santé du salarié.

La révocation du contrat de travail est dans ces conditions nulle.

Le préjudice résultant de la discrimination en lien avec son état de santé sera justement réparé par l’allocation d’une somme de 1.000 euros.

A lire également : Un machiniste receveur réintégré en appel suite à un licenciement discriminatoire.

2) Sur les conséquences de la nullité de la révocation du machiniste receveur.

La Cour d’appel de Paris affirme que c’est à bon droit que Monsieur X soutient qu’il devait percevoir sa rémunération pour la période du 4 septembre 2017 au 12 décembre 2017 à défaut de proposition expressément formulée par l’Epic Ratp adressée au salarié de lui adresser une demande de reclassement ou à tout le moins d’une proposition de reclassement sur un poste sur lequel il était susceptible de pouvoir être reclassé sous réserve d’un avis du médecin du travail et l’Epic Ratp ne pouvant se prévaloir de la survie du régime de l’inaptitude provisoire au-delà du constat de son inaptitude définitive, nonobstant le fait que Monsieur X a effectivement travaillé jusqu’au 19 janvier 2017.

La cour lui alloue les sommes suivantes :
- 7.392,67 euros bruts à titre de rappel de salaires entre le 4 septembre 2017 et le 12 décembre 2017 ;
- 739,26 euros au titre des congés payés afférents ;
- 517,96 euros bruts à titre de rappel de treizième mois pour l’année 2017 ;
- 51,79 euros bruts au titre des congés payés afférents.

Monsieur X est par ailleurs, fondé à obtenir les indemnités de rupture à savoir une indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents et une indemnité légale de licenciement, soit les sommes suivantes :
- 4.928,44 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
- 492,84 euros bruts au titre des congés payés afférents ;
- 10.779,95 euros bruts à titre d’indemnité légale de licenciement.

Enfin, compte tenu de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, 2.464,22 euros, de son âge, de son ancienneté, remontant au 13 avril 2004, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, la Cour affirme qu’elle est en mesure d’allouer à Monsieur X une somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour révocation nulle et ce, en application des dispositions de l’article L1235-3-1 du Code du travail.

3) Sur les intérêts.

La Cour d’appel de Paris rappelle que les créances salariales sont assorties des intérêts au taux légal à compter de la réception par les intimés de la convocation devant le Conseil de prud’hommes et que les créances indemnitaires ouvrent droit aux mêmes intérêts légaux à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

4) Sur la demande de remise des documents sociaux.

La demande de remise de documents sociaux tels qu’un bulletin de salaire récapitulatif, un certificat de travail et une attestation destinée au Pôle emploi conformes aux termes du présent arrêt est jugé fondée par les juges, qui font droit à cette demande.

Ils considèrent qu’aucune astreinte ne sera toutefois prononcée, aucune circonstance particulière ne le justifiant.

5) Sur l’application des dispositions de l’article L1235-4 du Code du travail.

La Cour d’appel de Paris affirme que l’application des dispositions de l’article L1235-3 du Code du travail implique celle de l’article L1235-4 imposant à l’employeur de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées au salarié dont le licenciement est sans cause réelle et sérieuse dans la limite de six mois.

Le juge doit faire une application d’office de ces dispositions.
L’Epic Ratp sera condamnée au remboursement aux organismes concernés des indemnités versées à M. X dans la limite de deux mois.

6) Sur les dépens et l’application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

La Cour d’appel estime que l’Epic Ratp, qui succombe dans la présente instance, sera débouté de sa demande d’indemnité en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile et condamné aux entiers dépens conformément aux dispositions de l’article 696 du Code de procédure civile.

Des raisons tenant à l’équité commandent d’allouer à Monsieur X une indemnité de 2.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum