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Confirmation de l’application du délai butoir à la garantie des vices cachés. Par Camille Guilbert-Objilère, Avocate.
Parution : vendredi 28 janvier 2022
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Un arrêt rendu par la 3ème Chambre Civile de la Cour de Cassation le 8 Décembre 2021 (n° 20-21439) vient confirmer l’arrêt antérieur rendu par la même Chambre le 1er Octobre 2020 (n° 19-16.986) : l’acquéreur a deux ans pour agir contre le vendeur, ce délai étant enserré dans le délai butoir de 20 ans à compter de la vente (délai vicennal).

La 3ème Chambre Civile est une formation spécialisée de la Cour de Cassation qui tranche notamment les litiges de propriété immobilière, construction, copropriété etc...

Les décisions rendues par cette formation revêtent donc une importance accrue, notamment pour les praticiens du droit immobilier.

Une récente décision rendue le 8 Décembre 2021 par la 3ème Chambre Civile de la Cour de Cassation mérite d’être mise en lumière tant elle modifie l’issue de certaines procédures en cours ou à venir.

En l’espèce, des acquéreurs se plaignaient de vices cachés affectant une charpente ainsi que les tuiles de leur maison.

L’action en justice avait été entreprise plus de 5 ans après la vente de la maison, mais bien dans les deux ans suivant la découverte du vice.

Se posait la question de savoir si l’action en garantie des vices cachés initiée au visa de l’article 1648 du Code Civil était prescrite ou bien recevable.

Rappelons que l’article 1648 prévoit que

« L’action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l’acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.

Dans le cas prévu par l’article 1642-1, l’action doit être introduite, à peine de forclusion, dans l’année qui suit la date à laquelle le vendeur peut être déchargé des vices ou des défauts de conformité apparents ».

La 3ème Chambre Civile de la Cour de Cassation confirme l’arrêt rendu par la même Chambre le 1er Octobre 2020.

Elle estime sans aucune ambiguïté que le point de départ de la prescription extinctive du droit à garantie est fixé au moment de la vente et que seul le délai butoir prévu par l’article 2232 du Code Civil de vingt ans s’applique.

L’article 2232 du Code Civil prévoit que « Le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit.

Le premier alinéa n’est pas applicable dans les cas mentionnés aux articles 2226, 2226-1, 2227, 2233 et 2236, au premier alinéa de l’article 2241 et à l’article 2244. Il ne s’applique pas non plus aux actions relatives à l’état des personnes ».

Ainsi, la 3ème Chambre Civile refuse d’encadrer l’action en garantie des vices cachés dans un délai de 5 ans suivant la vente.

Pourtant telle était l’analyse de la 1ère Chambre Civile dans un arrêt rendu le 6 Juin 2018 (n° 17-17438) confirmé par un arrêt du 8 Avril 2021 (n° 20-13493).

La Chambre Commerciale de la Cour de Cassation avait rejoint cette analyse suivant un arrêt du 16 Janvier 2019 (n° 17-21477).

La position de la 3ème Chambre Civile semble pourtant périlleuse puisqu’en définitive, le juge pourrait être saisi d’une action relative aux vices cachés pendant .... 20 ans.

Néanmoins, cette solution est cohérente et bienvenue dans la mesure où le délai vicennal prévu par l’article 2232 du Code Civil se substitue au délai de droit commun [1].

L’article L110-4 du Code de Commerce prévoit que

« I.- Les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.
II.- Sont prescrites toutes actions en paiement :
1° Pour nourriture fournie aux matelots par l’ordre du capitaine, un an après la livraison ;
2° Pour fourniture de matériaux et autres choses nécessaires aux constructions, équipements et avitaillements du navire, un an après ces fournitures faites ;
3° Pour ouvrages faits, un an après la réception des ouvrages
 ».

Seul le délai butoir compte.

Cette solution présente pourtant l’avantage de permettre au vendeur la mise en œuvre d’une action récursoire contre les fabricants augmentant ainsi les chances d’indemnisation de l’acquéreur.

Néanmoins, une telle divergence d’interprétation entre la 1ère Chambre Civile et la 3ème Chambre Civile de la Cour de Cassation nuit à la sécurité juridique de sorte qu’il serait plus qu’opportun qu’une décision d’ Assemblée plénière puisse enfin permettre une harmonisation des solutions.

Se pose également la question des actions en garantie des vices cachés concernant des biens meubles tels que des véhicules.

En toute logique, cette jurisprudence doit s’appliquer tant aux actions mobilières qu’immobilières.

L’ensemble de ces interrogations démontrent que l’action en garantie des vices cachés est un mécanisme autonome et vivant lequel doit cependant respecter les principes fondamentaux de la prescription.

Camille Guilbert-Objilère, Avocate Barreau de Rennes

[1Prévus par les articles 1648 du Code Civil ainsi que article L110-4 du Code de Commerce.