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L’obéissance hiérarchique dans l’administration : un impératif statutaire. Par Marc Lecacheux, Avocat.
Parution : lundi 31 janvier 2022
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Comme le souhaitait Mr Anicet Le Pors, à l’époque ministre de la Fonction publique, lors des discussions sur la loi de 1983, l’agent public devait devenir un fonctionnaire-citoyen titulaire de droits et de devoirs.

I) L’obéissance hiérarchique : une obligation totémique pour chaque agent public.

De prime abord, rappelons que les fonctionnaires titulaires sont placés dans une situations statutaires c’est-à-dire légales et règlementaires [1] et sont donc soumis aux droits et obligations désormais définit dans ce nouveau code.

Le devoir d’obéissance hiérarchique est l’une de ces obligations primordiales.

Ceci s’explique par le fait que ce statut est déterminé de manière unilatérale par les autorités publiques donc par l’Etat.

De même, les agents contractuels (CDD et CDI) sont soumis à cette obligation comme le précise l’article L2 du code puisqu’ils participent à des missions de service public.

Ainsi, les agents publics (titulaires et agents contractuels) des trois fonctions publiques sont astreints à une obligation d’obéissance hiérarchique.

Pour mémoire, ce principe d’obéissance hiérarchique avait déjà été reconnu comme un Principe Général du Droit (PGD) par le Conseil d’Etat dans les années 50 [2].

C’est dans ce contexte juridique que le contenu du pouvoir hiérarchique a été précisé [3] portant droits et obligations des fonctionnaires, modifié par [4].

« Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l’exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public.
Il n’est dégagé d’aucune des responsabilités qui lui incombent par la responsabilité propre de ses subordonnés
 ».

Dès lors, tout refus d’obéissance hiérarchique peut être comme une faute passible de sanctions disciplinaires.

A ce titre, rappelons nous qu’aux termes de l’article 29 de la même Loi :

« Toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ».

La jurisprudence est venue préciser que le non- respect de cette obéissance hiérarchique constituait indubitablement une faute justifiant des sanctions disciplinaires :

« Il résulte de ce qui précède que Mme A…a refusé d’exécuter une tâche conformément aux instructions de son supérieur hiérarchique et a refusé de se rendre à une convocation de ce dernier.
La matérialité des faits est établie et en estimant qu’ils constituaient une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire, l’autorité investie du pouvoir disciplinaire ne les a pas inexactement qualifiés
 » [5].

La Loi de 2016 portant déontologie dans la fonction publique et la récente édiction du Code général de la fonction publique sont venue formaliser les droit et obligations de ce fonctionnaire-citoyens [6].

Dans le cadre de ses devoirs, Il est une vérité d’évidence que de dire que chaque agent public est astreint à une obligation d’obéissance hiérarchique.

A ce titre, il est généralement admis que la question du rapport à la hiérarchie est souvent un des critères d’évaluation, lors de l’entretien d’évaluation, non seulement des stagiaires mais aussi des agents publics titulaires.

Néanmoins, l’exercice de l’autorité hiérarchique est-elle sans limites ? peut-elle être une source de préjudice pour l’agent public ?

Un arrêt récent du Conseil d’Etat nous donne la réponse à ces deux questions et pose les limites à une judiciarisation incontrôlée de l’activité quotidienne des agents publics.

Au préalable, Il conviendra de revenir sur la définition de l’obéissance hiérarchique comme une obligation totémique pour chaque agent public (I) tout en posant les limites récemment admises par la jurisprudence (II)

Autre exemple récent, cette tentative collective de « résistance pédagogique » faite en 2009 par des professeurs des écoles contre la réforme Darcos jugée absurde a été considérée comme un refus d’obéissance caractérisé.

Ce principe est désormais a été repris in extenso et codifié à l’article L121-10 [7] du Code Général de la fonction publique :

« L’agent public doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ».

Enfin, concluons notre propos en évoquant le statut des lanceurs d’alertes [8] de conflit d’intérêts.

Le texte précise que l’agent public doit obligatoirement et préalablement signaler, de manière vaine, à son supérieur hiérarchique les faits à l’origine du conflit d’intérêt [9].

« Un agent public qui souhaite signaler un conflit d’intérêts doit avoir préalablement alerté en vain l’une des autorités hiérarchiques dont il relève.
Il peut également témoigner de tels faits auprès du référent déontologue prévu à l’article L124-2
 ».

Ces dispositions venant évidemment consolider ce principe d’obéissance hiérarchique.

II) Les limites posées par la Loi et la jurisprudence administrative.

II-1) les limites traditionnelles : Le harcèlement moral et sexuel.

En effet, comme il vient d’être rappelé, chaque agent public titulaire ou contractuel est tenu de se conformer aux ordres qu’il reçoit de son supérieur hiérarchique sauf cas d’ordre manifestement illégal et compromettant gravement un intérêt public [10], notion floue et vague issue d’une très ancienne jurisprudence [11].

Ce principe est désormais énoncé à l’article L 121-10 [12] du Code Général de la fonction publique :

« L’agent public doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ».

Pour un exemple récent d’un ordre illégal : faute personnelle des agents de la cellule élyséenne [13].

Il convient d’observer que les deux conditions sont cumulatives et non pas alternatives ce qui implique un encadrement rigoureux de l’admission juridique de la désobéissance par a un agent public.

Ainsi, une simple illégalité dans les horaires de travail est insuffisante pour justifier une désobéissance d’un agent public :

« Considérant qu’à supposer même que les horaires du service où travaillait la requérante auraient été contraires à la réglementation en vigueur, la requérante, en refusant de s’y conformer, a commis une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire ; que, dès lors, elle ne saurait utilement se prévaloir à l’appui de sa requête de la prétendue irrégularité des horaires du service » [14].

De même précisons qu’un fonctionnaire n’a pas la possibilité de se soustraire à un ordre ou une directive parce qu’il n’était pas d’accord avec elle [15].

Récemment, le Conseil a réaffirmé cette condition cumulative pour que l’agent puisse se prévaloir de ce droit [16].

En outre, rappelons que l’article 122-4 du Code pénal exonère l’agent public de sa responsabilité pénale si l’agent exécute l’ordre de son supérieur hiérarchique sauf si l’ordre est manifestement illégal comme le rappel un arrêt fort ancien :

« Un ordre illégal ne peut soustraire un inculpé à sa responsabilité personnelle » [17].

Notons enfin une dernière exception existe à cette obligation d’obéissance, c’est l’utilisation du droit de retrait par l’agent [18] qui est lui aussi soumis à des conditions strictes pour que ce dernier puisse s’en prévaloir (voir notre article).

II-2) une limite jurisprudentielle : l’exercice normale du pouvoir hiérarchique.

Dans un arrêt récent le Conseil a posé ce principe que « l’exercice normale du pouvoir hiérarchique ne constitue pas un accident de service » [19].

On comprend que le juge doit laisser à l’administration une liberté d’action nécessaire à l’exercice des missions de contrôle et de notations de ses agents.

Par conséquent, le juge administratif, ne doit pas être l’arbitre quotidien des ordres et instructions données aux agents pour l’exercice des missions de service public (de minimis non curat preator).

Il est certes vrai qu’il intervenait, depuis longtemps, dans l’appréciation de la notation des agents publics (devenue une évaluation professionnelle annuelle, L521-1 et suivant du Code général de la fonction publique).

Cependant, gardons à l’esprit que toute autorité se doit de poser des limites à son pouvoir sinon elle devient totalitaire.

C’est ainsi que diriger des hommes et des femmes ce n’est pas les asservir au nom de l’intérêt général et du service public.

Le dialogue constructif ne doit-il prévaloir sur la confrontation permanente et les rapports de forces systématiques ?

Comme le précise C. Vigouroux Conseiller d’Etat dans un ouvrage faisant autorité : « L’autorité perd le sens quand elle est absolue. Elle peut imposer par la force et la menace. Mais l’autorité se nie si elle oublie ses limites (…) » [20].

C’est dans ce cadre, que le Conseil d’Etat a posé, depuis longtemps, les limites de l’exercice de l’autorité hiérarchique : c’est de l’exercice anormale de l’autorité hiérarchique.

C’est tout d’abord, les deux limites classiques que sont le harcèlement moral (avec la variante de la mise au placard) et sexuel.

Dans le premier cas, le harcèlement moral définit, pour la première fois [21] applicable aux agents contractuels :

Qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

« Pour être qualifiés de harcèlement moral, des faits excéder les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique.
Dès lors, qu’elle n’excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l’intérêt du service, en raison d’une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n’est pas constitutive de harcèlement moral
 » [22].

Les éléments constitutifs du harcèlement moral sont donc les suivants :
- Des agissements répétés,
- Une dégradation des conditions de travail,
- Une atteinte à ses droits et à sa dignité, altérer sa santé physique et mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Cet attendu de principe avait déjà été affirmé, par le Conseil dans deux arrêts remarqués à l’époque [23].

Concernant le harcèlement sexuel, celui-ci est pénalement sanctionné par l’article 222-33 du CP et l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983.

Ce principe de prohibition de tout harcèlement moral ou sexuel à l’égard d’un agent est désormais consacré par les articles L133-1 à L133-3 du Code général de la fonction publique.

Dans ces deux cas de figures d’abus de l’autorité hiérarchique, les agents publics peuvent évidemment bénéficier de la protection fonctionnelle [24].

Par ailleurs, l’agent reconnu responsable de harcèlement moral ou sexuel peut être sanctionné non seulement sur le plan pénal, civil et disciplinaire.

Ce comportement abusif peut être aussi considéré, dans certaines circonstances, comme un accident de service.

On se rappellera cette affaire emblématique du siècle dernier où le Conseil avait reconnu une dépression, à la suite d’une mise au placard prolongée, comme imputable au service [25].

Cette jurisprudence a été récemment confirmée.

En effet, le Conseil d’Etat précisant qu’une dépression peut être reconnue comme liés aux fonctions et imputable au service en l’absence de volonté de l’employeur en l’absence de volonté de l’employeur de porter atteinte à ses droits ou à la santé de l’agent [26].

Néanmoins, la haute juridiction est claire, elle utilise d’ailleurs l’impératif : le pouvoir hiérarchique ne peut en aucun cas constituer un accident de service.

Ainsi, les rapports hiérarchiques normaux mais mal vécue par un agent ne peuvent constituer un accident de service.

Le cas d’espèce est éclairant à ce sujet, Mme A adjoint administratif 1ère classe avait été recrutée en 2014 au service logistique de la marine de Brest, le 10 février 2015 elle est reçue par son supérieur pour son entretien annuel d’évaluation professionnelle.

Le lendemain, elle fait appel à son médecin de famille pour un arrêt de travail pour trouble anxio-dépressif majeur réactionnel et sollicite en vain l’imputabilité au service de cet arrêt de travail.

« Constitue un accident de service, pour l’application des dispositions précitées, un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l’occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci. Sauf à ce qu’il soit établi qu’il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien, notamment d’évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service, quels que soient les effets qu’il a pu produire sur l’agent ».

Dès lors, si dans certaines circonstances (ex : harcèlement morale caractérisé) un syndrome dépressif peut constituer un accident de service, la haute juridiction administrative nous rappelle que l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, aussi traumatisant soit-il, ne pourra jamais constituer un accident de service.

En conclusion : L’obligation d’obéissance hiérarchique s’impose à tout agent public sous d’exceptions limitativement énumérées et strictement encadrées.

Toutefois, cette obéissance n’est pas sans limites, et tout abus de droit qui excède l’exercice normale du pouvoir hiérarchique peut donner lieu à des sanctions pour le ou les auteurs des faits.

Marc Lecacheux, Avocat.

[1Article L1 du Code Général de la Fonction Publique.

[2CE 30 juin 1950 Sieur Quéralt n°99882.

[3Par l’ancien article 28 de la Loi « Le Pors » n° 83-634 du 13 juillet 1983.

[4La loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

[5CAA de bordeaux 3 octobre 2017 16BX01830.

[6Ordonnance n°2021-1574 du 24 novembre 2021.

[7Ordonnance 2021-1574 du 21 novembre 2021.

[8Loi 2016 -1691 du 9 décembre 2016 dite loi sapins2.

[9Article L135-3 du Code général de la fonction publique.

[10Ex : CE 5 décembre 2011 n°347039.

[11CE 10 nov. 1944 Langneur.

[12Ordonnance 2021-1574 du 21 novembre 2021.

[13Crim 30 sept 2008 n°07-82.249.

[14CE 27 mars 1987 n°54574.

[15CE 1er juin 1994 n°150870 CH Valmont.

[16Conseil d’État, 4ème et 5ème sous-sections réunies, 11/02/2015, 369378.

[17Cass Cr février 1855.

[18Voir l’article L4132-1 du Code du Travail.

[19CE 21 septembre 2021 n°440983.

[20Déontologie des fonctions publiques Dalloz- réf 2013/20014 P331.

[21Par la Loi 2002-73 du 17 janvier 2002 créant l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983.

[22CE 30 décembre 2011 n°332366).

[23CE 24 novembre 2006 n° 256313, CAA de Nancy n°06NC01324.

[24Article 11 de la loi de 1983, articles L134-1 à L 134-12 du Code Général de la fonction publique.

[25Conseil d’Etat, 9 / 8 SSR, du 14 juin 1995, 143428, inédit au recueil Lebon.

[26CE 13 mars 2019 n°407795.

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