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Quelques précisions sur les objectifs du CNSPFV. Par Vincent Ricouleau, Professeur de Droit.
Parution : mercredi 2 février 2022
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Le décret n° 2022-87 du 28 janvier 2022 donne au Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV), cinq autres années pour mener à bien ses missions bien complexes. C’est l’occasion de présenter ce centre, qui ne dispose pas de beaucoup de moyens face à un Comité Consultatif National d’Ethique, aux allures de rouleau compresseur, empiétant nécessairement sur son périmètre.

Compte tenu des sujets à traiter, le partenariat tant avec les usagers qu’avec les sociétés savantes de médecine et autres s’avère stratégique. Les bilans qui suivront la Covid-19 réservent probablement bien des surprises et polémiques. A suivre donc pour savoir si le CNSPFV trouvera une place et se fera entendre.

Le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) est un organisme rattaché au ministère des Solidarités et de la Santé. Il a été créé par décret n°2016-5 du 5 janvier 2016 pour 5 ans, remplaçant l’Observatoire national de la fin de vie (ONFV), créé par le décret 2010-158 du 19 février 2010.

Les missions du CNSPFV ont été prolongées jusqu’au 31 décembre 2021, par l’article 5 du décret n°2021-114 du 2 février 2021. Le décret n° 2022-87 du 28 janvier 2022 permet à son tour, à ce centre de continuer à fonctionner, pour une durée de cinq ans. Les actions à mener sont à très long terme. Probablement que le gouvernement réfléchit sur l’évolution du statut d’un tel centre, les enjeux des missions étant tels que le renouvellement tous les cinq ans n’a rien d’une bonne gouvernance.

Il va sans dire que pour ce centre, nombre de questions restent extrêmement complexes à mener, comme accompagner et dialoguer autour de la fin de vie, aider les proches, cerner l’obstination déraisonnable, vérifier la procédure collégiale, s’assurer des bonnes conditions de l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation artificielles, de la mise en place de la sédation profonde et continue jusqu’au décès, de débattre sur l’euthanasie passive ou active, de mettre en place le suicide assisté, d’améliorer les soins palliatifs pour les enfants et on en passe.

La pandémie de la Covid-19 a créé aussi une polémique, sur la prise en charge médicale notamment des personnes âgées, dont nombre sont mortes à leur domicile ou dans des EHPAD. D’une manière générale, les personnes âgées pourraient être beaucoup mieux traitées et accompagnées à la fin de leur vie.

Mais quelle est la force de frappe du CNSPFV ? Les missions du CNSPFV sont relatives au recueil de données, au développement des expertises et à l’information de la population et des professionnels, concernant les soins palliatifs et la fin de vie. Le décret nous dit aussi qu’il recentre ses missions et en révise sa gouvernance dans un but de clarification, d’actualisation et d’élargissement de la représentation des usagers en santé.

Centre de ressources, observatoire capable de faire des expertises, centre de références, centre de dialogue et d’espace de débat, les objectifs sont ambitieux et tant mieux.

Le CNSPFV est représenté par son président, nommé par arrêté du ministre chargé de la santé pour une durée de cinq ans. Le Conseil d’Orientation Stratégique (COS) comprend, outre son président, des membres, nommés par arrêté ministériel du 27 juillet 2016.

L’histoire du CNSPFV est pour le moment courte.

Véronique Fournier, médecin de santé publique et cardiologue, nommée présidente en avril 2016, membre du COS depuis juillet 2016, quitte la présidence en septembre 2020. René Robert, réanimateur au CHU de Poitiers, vice-président du COS, assure alors la présidence par intérim.

Sarah Dauchy, psychiatre, cheffe de service du département des soins de supports (DISSPO) et de l’unité de psychooncologie (UPO), de l’hôpital Gustave Roussy, à Villejuif, est nommée présidente du COS par arrêté du ministre des Solidarités et de la Santé du 27 janvier 2021.

La commission d’expertise, mentionnée à l’article 3, comprend, son président, 28 membres dont pour l’Etat, le directeur général de la santé ou son représentant, le directeur général de l’offre de soins ou son représentant, le directeur général de la cohésion sociale ou son représentant, le directeur de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques ou son représentant, des représentants des usagers et des principales sociétés des spécialités médicales. Ces dernières jouent évidemment un rôle extrêmement important.

En 2020, il est noté sur le site du CNSPFV que le Conseil d’Orientation Stratégique s’est réuni une fois.

Les effectifs du Centre ne sont pas bien lourds. Une équipe pluridisciplinaire est composée de 12 personnes, professionnels de santé, chargés d’études, chercheurs en sciences humaines et sociales, spécialistes en communication et documentation.

Parmi les réalisations, notons la publication de la deuxième édition d’un Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie, la réalisation d’un MOOC, une brochure intitulée « Penser ensemble l’obstination déraisonnable ».

Depuis 2019, le Centre mène une réflexion pluridisciplinaire pour évaluer les conditions de prise en charge actuelles, de la sclérose latérale amyotrophique (SLA), plus connue sous l’appellation de la maladie de Charcot.

Rappelons que les maladies neuro-dégénératives font l’objet de recherches efficaces mais plongent encore une partie des malades dans des fins de vie particulièrement terribles.

Le CNSPFV a enquêté fin 2019, pour vérifier les moyens précis dédiés aux soins palliatifs en France en matière de structures et de ressources humaines. Ce serait la première enquête nationale sur ce sujet. Mieux vaut tard que jamais. Les résultats ont été publiés fin 2020.

En 2020, le Centre a publié également les résultats d’une enquête, conduite en 2019, sur la sédation profonde et continue jusqu’au décès.

En 2020, le Centre a initié des ateliers de travail afin d’élaborer des outils pédagogiques autour de deux dispositifs : les directives anticipées et la personne de confiance.

Le site nous rappelle que

« le Centre a pour vocation première d’informer tous les publics, en tant qu’organisme national chargé par le ministère des Solidarités et de la Santé de diffuser les connaissances sur la démarche palliative et sur la fin de vie, notamment la promotion des dispositifs issus de la loi Claeys-Leonetti de 2016. Des sondages sont réalisés régulièrement pour mesurer l’évolution de la connaissance - et l’appropriation - autour de ces dispositifs ».

Le Centre a aussi mis en place une plateforme téléphonique, permettant une écoute.

Une base de données Palli@Doc enrichit un centre de documentation virtuel sous le nom de VigiPallia.

Le rapport de l’année 2020 comporte une annexe sur la composition du groupe de travail sur l’obstination déraisonnable, une annexe sur la composition du groupe de travail sur la prise en charge des patients atteints de sclérose latérale amyotrophique et une annexe sur la composition du groupe dédié aux directives anticipées et à la personne de confiance.

En attendant le rapport de 2021, quelques chiffres !

Nous n’avons pas le rapport d’activités de 2021.

Mais celui de 2020, page 5, nous dit qu’en 2019, la France compte près de 7 500 lits hospitaliers de soins palliatifs, soit 2% des lits hospitaliers (Médecine, chirurgie, obstétrique -MCO- Soins de suite et de réadaptation -SSR- et Unités de soins de longue durée -USLD-). Nous avons 1 880 lits répartis dans 164 unités de soins palliatifs, 5 618 lits identifiés au sein de services confrontés à des décès fréquents, répartis dans 901 établissements. Il existe 428 équipes mobiles de soins palliatifs. Il y a 2,8 lits d’unités de soins palliatifs (USP)pour 100 000 habitants 8,4 lits identifiés soins palliatifs (LISP) pour 100 000 habitants. 26 départements ne disposent pas d’USP.

Bien sûr, nul besoin de préciser qu’on peut parfaire ce tableau quelque peu inquiétant.

CNSPFV et CCNE : même combat ?

Toutefois, le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie a pour concurrent direct et partenaire incontournable, le Comité consultatif national d’éthique, avec une mission non cantonnée à ce domaine, certes.

Celui-ci travaille beaucoup sur la fin de vie et les soins palliatifs si on fait une liste des principaux travaux sur la question.

Fin 2009, le CNCE a ainsi rédigé un Avis sur les questions éthiques liées au développement et au financement des soins palliatifs. En 2012, le rapport de la Commission de réflexion sur la fin de vie en France, « Penser solidairement la fin de vie » est publié. En 2013, l’Avis 121 « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir » présente la position du CCNE sur les évolutions de la loi et des pratiques au cours des dix dernières années au sujet des droits des personnes malades et des personnes en fin de vie et le rapport de la Commission Sicard. En 2014, les Observations du CCNE, concernant Vincent Lambert, ont été formulées le 5 mai 2014 à l’attention du Conseil d’Etat. Le 16 novembre 2020, le CCNE répond à une saisine du ministre des solidarités et de la santé sur les enjeux éthiques de la prise en charge et de l’accès aux soins pour tous en situation de forte tension, liée à l’épidémie de Covid-19. Le 7 juillet 2021, l’Avis 136 traite des enjeux éthiques relatifs au consentement dans le soin tandis que l’Avis 137 traite de la problématique de l’éthique de la santé publique.

Le 25 juin 2021, le CCNE se saisit officiellement de la question de la fin de vie.

Il constitue alors un groupe de travail, composé par trois membres du CCNE : Régis Aubry (Département Douleur - Soins Palliatifs et service de gériatrie, président de l’observatoire national de la fin de vie de 2010 à 2015), Alain Claeys (bioéthique) et Florence Gruat (Membre du Département de recherche en éthique médicale Inserm, notamment).

Je cite le CCNE :

« Les différentes formes de la consultation nationale organisées par le CCNE lors des États généraux de la bioéthique en 2018 ont abouti au constat qu’en France on meurt mal et qu’il était nécessaire de progresser pour que l’offre de soins palliatifs et d’accompagnement de la fin de vie soit optimisée sur l’ensemble du territoire. L’avis 129 du Comité publié à l’issue de cette consultation, dont l’objectif était de contribuer à la révision de la loi de bioéthique, a souligné quelques paradoxes. Par exemple, d’indéniables avancées techniques de la médecine pouvaient parfois engendrer des situations de survie qui n’étaient que souffrance, posant ainsi la question du sens de la vie à la fin de celle-ci. Si le CCNE est arrivé à la conclusion qu’il n’était pas nécessaire de modifier la loi existante sur la fin de vie (loi de 2016), il a néanmoins souligné l’impérieuse nécessité qu’elle soit mieux connue, mieux appliquée et qu’elle s’accompagne de moyens nouveaux capables d’aboutir à un vrai développement des soins palliatifs dans notre pays »

.

On espère que les deux organismes collaboreront et se complèteront. Pour le moment, on ne note pas de déclaration commune. Les sociétés de médecine font de toute façon le lien, proposant les mêmes recommandations.

HAS et Midazolam.

Ce qui est important aussi, c’est connaître les progrès concernant les médicaments utilisés lors de l’accompagnement vers la fin de vie et leurs conditions d’utilisation. On imagine le CNSPFV travailler sur ces questions et créer un comité ad hoc, par exemple.

La HAS a publié, le 11 février 2020, un avis sur la sédation profonde jusqu’au décès avec la décision collégiale ainsi qu’un avis sur le Midazolam Mylan le 22 novembre 2021.

Elle a donné un avis favorable au remboursement en ville et à l’hôpital dans l’indication de sédation en unité de soins palliatifs. Midazolam Mylan est remboursable en ville uniquement dans cette indication.

Rappelons qu’il existe deux catégories de pratiques sédatives :

D’une part les sédations proportionnées, c’est-à-dire, de profondeur et de durée proportionnelles au soulagement du symptôme. Certaines situations de détresse vitale exigent ainsi un soulagement urgent (syndrome d’asphyxie, hémorragie grave par exemple).

D’autre part, les sédations profondes et continues provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès (SPCMD).

Les SPCMD, provoquant une altération de la conscience, maintenue jusqu’au décès, doivent atteindre un certain niveau de profondeur de la sédation (Richmond Agitation - Sedation Scale), quels que soient les besoins liés à la souffrance du patient.

Dans ce contexte, les traitements de maintien artificiel en vie, dont la nutrition et l’hydratation, doivent être arrêtés.

Les indications, le processus de décision, l’organisation, l’évaluation et la surveillance d’une SPCMD, sont précisés dans le guide du parcours de soins de la HAS.

L’obligation collégiale est maintenue en pratique ambulatoire, ce qui est très important à signaler. Il n’y a pas d’exception.

Toutefois, notons que la Commission de la transparence considère que le Midazolam apporte une amélioration mineure du service médical rendu (ASMR IV) dans la stratégie de prise en charge de la sédation en soins palliatifs.

Les arrêtés du 14 juin et du 15 décembre 2021.

L’utilisation du Midazolam a été précisée par un arrêté du 14 juin 2021, « portant application d’une partie de la réglementation des stupéfiants aux médicaments à usage humain composés de midazolam, administrés par voie injectable ». Des conditions particulières de prescription et de délivrance, en raison d’un risque de pharmacodépendance, d’abus et d’usage détourné sont mises en place. La délivrance doit être fractionnée. Les fractions doivent correspondre à des durées maximales de traitement de sept jours.

La deuxième partie de l’arrêté du 15 décembre 2021 modifiant la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l’usage des collectivités et divers services publics, prévoit une extension d’indication du Midazolam pour la sédation en soins palliatifs, en distinguant la sédation proportionnée et la sédation profonde et continue.

Reste à évaluer sur le terrain ces nouvelles dispositions.

En 2019, l’OMS a publié des lignes directrices sur la prise en charge pharmacologique et radiothérapeutique de la douleur cancéreuse chez l’adulte et l’adolescent. L’OMS a publié aussi le premier Atlas mondial répertoriant les besoins non satisfaits en soins palliatifs. On se doute des disparités suivant les pays.

Nul besoin de dire que bien des progrès sont à faire en France pour améliorer les soins palliatifs et la fin de la vie, nécessitant des réformes profondes, et surtout beaucoup d’argent. Le plan national 2021-2024 pour le développement des soins palliatifs et l’accompagnement de la fin de vie apportera peut-être des avancées. On verra si les débats pendant la campagne des élections présidentielles abordent cette thématique de la fin de vie. Le jour d’après la Covid-19 pourrait faire état de plus de décès que comptés actuellement, notamment parmi les personnes dépendantes, malades, âgées. Les responsabilités seront difficiles à départager dans la prise en charge des derniers moments.

Mais une chose est certaine, la conjonction de toutes les forces citoyennes, médicales ou non, s’avère incontournable pour avancer en matière de fin de vie et de soins palliatifs. A défaut, le CNSPFV ne pourrait bien rester qu’un service déconcentré ou externalisé d’un ministère déjà bien débordé et vilipendé, face à un CCNE, rouleau compresseur qui détient un certain monopole dans l’écoute d’un pouvoir exécutif, aux abois de tant de défis à relever.

Bibliographie sélective.

- Décret n°2016-5 du 5 janvier 2016 créant le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) /@CNSPFV.
- Décret n°2021-114 du 2 février 2021 renouvelant le CNSPFV.
- Décret n° 2022-87 du 28 janvier 2022 renouvelant le CNSPFV.
- HAS (guide parcours de soins). Comment mettre en œuvre une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès. Février 2018- actualisation janvier 2020.
- HAS (Recommandation de bonnes pratiques). Antalgie des douleurs rebelles et pratiques sédatives chez l’adulte : prise en charge médicamenteuse en situation palliative jusqu’en fin de vie.
- Fiches repères (Société Française Accompagnement soins palliatifs SFAP) 2017
- Recommandations SFAP 2009 / Fiche « questions à se poser avant de mettre en place une sédation en situation palliative » (SFAP).
- Guide d’aide à la décision dans la mise en œuvre d’une sédation pour détresse en phase terminale (SFAP 2014).
- Loi n°99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs.
- Loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
- Circulaire N°DHOS/O2/2008/99 du 25 mars 2008 relative à l’ organisation des soins palliatifs.
- Décret n° 2016-1066 du 3 août 2016 modifiant le Code de déontologie médicale et relatif aux procédures collégiales et au recours à la sédation profonde et continue jusqu’au décès prévus par la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
- Le vadémécum (SFAP) de l’utilisation du Midazolam à visée sédative.
- Arrêté du 14 juin 2021 portant application d’une partie de la réglementation des stupéfiants aux médicaments à usage humain composés de Midazolam, administrés par voie injectable.
- Arrêté du 15 décembre 2021 modifiant la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l’usage des collectivités et divers services publics (Midazolam).
- Commission de la transparence / Avis du 20 octobre 2021 / Midazolam Mylan 1 mg/ml, 5 mg/ml solution injectable ou rectale Extension d’indication Mise à disposition en ville.
- Website du CCNE pour ses rapports et avis.

Vincent Ricouleau Vietnam Québec France Prof droit psychiatrie addiction drogues neurosciences éthique médicale/dipl avocat/DU-DIU Urg Méd Chir Neuro Psychiatrie Facs médecine Versailles Paris 5-6
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