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Inventions et logiciels de non-salariés : les apports de l’ordonnance du 15 décembre 2021. Par Franck Delamer, CPI et Sarah Mauriange, Juriste.
Parution : lundi 7 février 2022
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L’ordonnance n° 2021-1658 du 15 décembre 2021 institue la dévolution automatique à un employeur, personne morale de droit privé ou de droit public, des droits sur le logiciel et/ou l’invention réalisée par une personne employée qui n’est ni salariée, ni agent public.

Ce texte clarifie notamment le régime des logiciels et inventions créés par des stagiaires.

Au plan pratique, pour ce qui concerne les entreprises, la mise en œuvre devra se traduire dans les contrats avec les personnes concernées.

Dans le Code de la propriété intellectuelle, le droit d’auteur et le droit à l’invention appartiennent aux auteurs [1] et aux inventeurs [2] respectivement.

Le législateur a par ailleurs prévu un régime spécifique relatif aux cas où la conception de logiciels et de ces inventions est assurée par des salariés ou par des agents publics.

Dans le cas des inventions brevetables, l’article L611-7 du CPI prévoit d’une part que « Si l’inventeur est un salarié, le droit au titre de propriété industrielle, à défaut de stipulation contractuelle plus favorable au salarié : les inventions faites par le salarié dans l’exécution soit d’un contrat de travail comportant une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives, soit d’études et de recherches qui lui sont explicitement confiées, appartiennent à l’employeur ». Ce sont les inventions dites « de mission ». Dans ce cas, l’employeur a l’obligation de verser au salarié une rémunération supplémentaire.

D’autre part, dans le cas où le salarié n’a pas de mission inventive (inventions dites « hors mission »), l’employeur a la faculté de se faire attribuer la propriété ou la jouissance de l’invention en versant au salarié un juste prix.

Dans le cas des logiciels, l’article L113-9 du CPI dispose que

« Sauf dispositions statutaires ou stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de leur employeur sont dévolus à l’employeur qui est seul habilité à les exercer ».

Le Code de la propriété intellectuelle organise donc la dévolution à l’entreprise ou l’organisme public des droits sur les logiciels ou sur les inventions créées par le salarié ou l’agent public.

Ces textes ne concernaient néanmoins que les salariés et agents publics.

L’affaire « Puech contre CNRS ».

Dans cette affaire, des étudiants d’un laboratoire du CNRS étaient inventeurs de brevets dont le CNRS estimait être l’ayant cause, en application d’une règle définie par le directeur du CNRS.

A l’issue d’une longue procédure judiciaire, le Conseil d’État a, dans un arrêt du 22 février 2010, rappelé que : « il résulte de la combinaison de ces dispositions que la propriété des inventions faites par les étudiants non rémunérés, qui ont la qualité d’usagers du service public, ne saurait être déterminée en application des dispositions de l’article L611-7 du Code de la propriété intellectuelle, lesquelles sont applicables aux seuls salariés et agents publics ; qu’elle relève donc de la règle posée par l’article L611-6 du même code attribuant cette propriété à l’inventeur ou à son ayant cause » et invalidé la règle établie par le Directeur du CNRS.

Par analogie, ce raisonnement pouvait être étendu au régime des droits d’auteur sur les logiciels, lequel ne prévoit une dévolution automatique à l’employeur que pour les personnes ayant un statut de salarié ou d’agent public [3].

Aucun transfert ou aucune dévolution de droits sur les inventions ou les logiciels ne figurant dans le code de la PI, il était jusqu’à présent nécessaire de mettre en place des contrats de cession à l’employeur de droit sur l’invention ou des droits d’auteur sur les logiciels.

Le régime des salariés étendu.

L’ordonnance du 15 décembre 2021 crée donc les articles L113-9-1 et L611-7-1 du CPI qui étendent le régime applicable en matière d’inventions et de logiciel, à savoir la dévolution automatique des droits à l’employeur, aux personnes qui ne relèvent pas des articles L113-9 et L611-7 du CPI.

L’objectif de cette réforme est de mettre un terme aux disparités entre ces catégories de personnes et

« renforce la sécurité juridique de l’ensemble des parties prenantes en clarifiant leurs droits. L’ordonnance permet également d’améliorer le transfert des résultats auxquels ces personnels ont contribué vers des entreprises exploitantes » [4].

Quels personnels et quels employeurs sont concernés ?

Sont concernés les créateurs de logiciels et les inventeurs qui ne sont pas salariés ou agents publics de l’Etat (notamment les stagiaires, doctorants étrangers et professeurs et directeurs émérites [5]) et qui sont accueillis dans le cadre d’une convention par des personnes morales de droit public ou de droit privé réalisant de la recherche.

Bien que cette liste soit non exhaustive, le terme « accueillis dans le cadre d’une convention » laisse à penser que les mandataires sociaux, qui ne sont ni salariés, ni agents publics, sont exclus de cette réforme. Ainsi, ce nouveau régime ne saurait être applicable à un mandataire social tel un président de startup qui prendrait part aux activités inventives de la société.

Par ailleurs, ni l’ordonnance, ni le rapport au Président de la République ne donnent d’indication sur ce que signifiera en pratique « réaliser de la recherche ». Si du côté des personnes morales de droit public, il existe notamment les établissements publics de recherche, qu’en sera-t-il du côté des personnes morales de droit privé ? Une société privée devra-t-elle disposer d’un département recherche et développement ou la mention de mission de recherche dans la convention d’accueil suffira-t-elle ?

Les droits concernés.

Seuls sont concernés par ces textes les logiciels et les inventions brevetables.
Le régime des dessins et modèles ou des droits d’auteurs (hors logiciels) des stagiaires ne change pas du fait de cette ordonnance

Quelles sont les conditions d’application ?

Les conditions pour bénéficier de ce nouveau régime ne sont pas totalement identiques pour les inventions et les logiciels.

Concernant les inventions, le régime est applicable aux personnes physiques dès lors que les deux conditions cumulatives suivantes sont réunies :
- Elles doivent être accueillies dans le cadre d’une convention au sein d’une personne morale de droit privé ou de droit public, réalisant de la recherche ;
- Elles doivent avoir réalisé l’invention dans le cadre d’une mission inventive correspondant à leurs missions effectives ou d’études et de recherches explicitement confiées.

Concernant les logiciels, le régime est applicable aux personnes physiques dès lors que les quatre conditions cumulatives suivantes sont réunies :
- Elles doivent être accueillies dans le cadre d’une convention au sein d’une personne morale de droit privé ou de droit public, réalisant de la recherche ;
- Elles doivent être placées sous l’autorité d’un responsable ;
- Elles doivent percevoir une contrepartie telle une indemnité de stage ;
- Elles doivent créer le logiciel dans le cadre de leur mission ou d’après les instructions de la structure d’accueil.

Quels seront les effets de ce régime ?

Les personnes morales visées ci-dessus bénéficient de la dévolution des droits d’auteurs sur les logiciels (et leur documentation) ou seront les propriétaires des inventions concernées.

Ces personnes morales ont l’obligation de verser à l’inventeur concerné une rémunération supplémentaire (ou un juste prix dans le cas des inventions hors missions attribuables). Un décret en Conseil d’Etat devrait préciser les modalités d’application de cet article L611-7-1 du CPI en ce qui concerne les rémunérations supplémentaires ou le juste prix.

A l’opposé, en matière de logiciels, le texte ne prévoit pas d’obligation de verser une contrepartie supplémentaire.

Quels tribunaux seront compétents en cas de litige ?

Pour les logiciels, le tribunal compétent sera le tribunal judiciaire du siège social de la structure d’accueil.

Dans le cas des inventions brevetables, comme pour le régime des inventions de salariés, les litiges seront la Commission Nationale des Inventions de Salariés (CNIS) ou au tribunal judiciaire.

Entrée en vigueur ?

Ces textes sont entrés en vigueur le 17 décembre 2021. Un décret en Conseil d’Etat fixera certaines modalités d’application de la rémunération supplémentaire ou du juste prix.

Quelles actions mettre en place ?

L’extension de ce régime aux non-salariés impliquera notamment de revoir (i) les politiques de rémunération des inventeurs pour y inclure ces catégories de créateurs ou d’inventeurs et (ii) les contrats avec ceux-ci.

Une attention devra aussi être portée à certaines catégories de créateurs ou inventeurs qui n’entreront pas forcément dans le cadre de ce texte.

Nous restons bien entendu à votre disposition pour vous conseiller et vous apporter toute information complémentaire à ce sujet.

Franck Delamer [->delamer@regimbeau.eu] Conseil en Propriété Intellectuelle, spécialisé en Droit des Contrats Sarah Mauriange [->mauriange@regimbeau.eu] Juriste en Propriété Intellectuelle, spécialisée en Droit des Contrats Regimbeau www.regimbeau.eu

[1Art L113-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI).

[2Art L611-6 du CPI.

[3Par ex Cour de Cassation chambre Criminelle 27 mai 2008 (n° 07-87.253).

[4Compte-rendu du Conseil des ministres du 15 décembre 2021.

[5Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance.