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Google Adwords : la contrefaçon de liens commerciaux soumise à la CJCE par la Cour de cassation, par Cendrine Claviez, Avocat, avec la participation d’Elodie Plard
Parution : mardi 2 septembre 2008
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La jurisprudence française ne sait plus sur quel pied danser s’agissant des liens commerciaux et attend que la CJCE lui donne le rythme.

L’évolution jurisprudentielle semble bien aller vers la condamnation des prestataires proposant des liens commerciaux reproduisant une marque sur le fondement de la contrefaçon (Tribunaux de grande instance de Nanterre et de Lyon, Cour d’appel de Paris Section A et B, Cour d’appel d’Aix-en-Provence, sauf la troisième chambre du Tribunal de grande instance de Paris). La Cour de cassation, face à cette envolée jurisprudentielle, a tout de même freiné cette valse à mille temps en posant l’ultime question préjudicielle à la CJCE, à savoir : quelle est la responsabilité du prestataire qui propose un service de référencement payant sur internet ?

Suite et fin de la saga des liens commerciaux ?

Petit rappel contextuel : Les sociétés Google Inc. et Google France proposent aux sociétés qui le souhaitent un service dénommé Adwords leur permettant, moyennant la réservation de mots-clés, de faire apparaître de manière privilégiée, sous la rubrique liens commerciaux, les coordonnées de leur site en marge des résultats d’une recherche sur internet, en cas de concordance entre ces mots et ceux contenus dans la requête adressée par un internaute au moteur de recherche. L’ordre des réponses peut donc être « faussé » par un accord commercial préalable entre le moteur de recherche et l’entreprise vers laquelle l’internaute se trouve orienté de préférence aux autres.

Or, le choix de ces mots-clés sur la base de calculs statistiques peut conduire à retenir des termes couverts par un droit de marque ou déjà utilisés à titre de nom commercial. En soi, la pratique est donc problématique mais elle devient répréhensible lorsque le mot-clé correspondant à une marque ou un nom commercial renvoie vers le site d’une société concurrente.

La saga des liens commerciaux, une pièce en quatre actes :

Premier acte, avant 2006 :

À l’origine, les juges du fond ont retenu directement la responsabilité de Google en tant que contrefacteur.

Deuxième acte, de 2006 à 2007 :

Puis, la qualité de contrefacteur a été réservée à l’entreprise bénéficiaire du renvoi effectué à partir d’un mot-clé correspondant à la marque d’autrui. Les juges ont estimé que seule cette entreprise fait véritablement « usage » de la marque ; Google se contentant de lui proposer de l’associer à cette marque utilisée comme mot-clé (TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 12 juill. 2006, Gifam c/ Google France : Juris-Data n° 2006-315047).

Toutefois, la responsabilité du moteur de recherche est, quant à elle, engagée sur le terrain de la faute civile délictuelle car, « dès lors que la société Google propose comme mots-clés des signes et en fait un usage commercial, elle se doit de vérifier qu’ils ne sont pas objets de droits privatifs et si tel est le cas, vis-à-vis des titulaires de ceux-ci, de vérifier que ces annonceurs sont bien autorisés à les utiliser » (TGI Paris, jugement du 13 févr. 2007, M. C. c/ Google France : RLDI 2007/25, n° 816). Google a dénoncé le caractère disproportionné d’une telle obligation de vérification car ces mots-clés sont générés automatiquement sur la base de critères statistiques. Mais les juges ont écarté l’argument au motif que Google aurait dû prévoir « un contrôle préalable ». Une décision a ainsi relevé que les sociétés Google sont « à même de concevoir et de développer des moyens techniques de nature à éviter les actes illicites qui leur sont imputés » (CA Paris, arrêt du 28 juin 2006, Google France et a. c/ Louis Vuitton Malletier : Juris-Data n° 2006-315042). Mais cette sévérité s’oppose à la nuance posée, par un autre arrêt, selon lequel « l’usage du mot-clé pour offrir des services authentiques ne porte pas atteinte à la fonction essentielle de la marque dès lors qu’il a précisément pour objet de permettre à l’internaute d’identifier l’origine des services » (CA Versailles, arrêt du 2 nov. 2006, sté Overture c/ sté Accor : RLDI 2006/22, n° 692).

Troisième acte, le revirement de 2007 à 2008 :

Les juridictions du fond condamnent le moteur de recherches Google, sur le fondement de la contrefaçon. Jugeant que les sociétés Google ont un rôle actif dans le choix des mots-clés, il considère que c’est Google qui est responsable de ce choix (CA d’Aix-en-Provence, arrêt du 6 décembre 2007 TWD Industries c/ Google). Les juridictions estiment que Google ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité en invoquant son impossibilité matérielle de vérifier l’utilisation des mots-clés ou en se réfugiant derrière l’affichage de mises en garde. Ainsi, « l’usage des marques que réalise, avec profit, Google dans la vie des affaires constitue une contrefaçon ». (CA de Paris, arrêt du 1er février 2008 Gifam c/Google, TGI de Lyon, jugement du 13 mars 2008 Rentabiliweb c/Google)

Quatrième acte, le frein de la Cour de cassation qui préfère s’en remettre à l’interprétation de la Cour de justice des communautés européennes

Google a-t-il commis des actes de contrefaçon en proposant, dans le cadre de son service Adwords, des termes reproduisant des marques dans sa liste de mots clés ? La Cour de cassation ne répond pas à la question.

Dans les trois arrêts rendus le 20 mai 2008 portant sur les affaires Bourses des vols, Vuitton et Eurochallenges, elle s’en remet à la CJCE pour l’éclairer sur l’interprétation de textes communautaires en la matière. Ainsi, la Cour de cassation l’interroge sur la responsabilité du prestataire qui propose un service de référencement payant sur internet.

En attendant les réponses de la CJCE, voici dans le tableau ci-dessous (à télécharger), un rappel synthétique des dernières décisions en matière de liens commerciaux.

Maître Cendrine Claviez, Avocat, Spécialisée en Propriété Intellectuelle

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Avec la participation d’Elodie Plard

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