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2022, quelles attentes pour les professionnels du droit ?
Parution : mardi 1er mars 2022
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Dans le cadre de notre "Calendrier de l’Après 2022" nous avions pris contacts avec des professionnels du Droit pour qu’ils partagent avec nous leurs impressions, ce qui les avait marqués sur l’année 2021 et leurs attentes pour les mois à venir.
Découvrez leurs réponses.

Marie-Josèphe Laurent, nouvelle bâtonnière du barreau de Lyon depuis le 1er janvier 2022.

Avez-vous noté un point positif et un autre un peu moins positif sur votre profession et le Droit que vous voudriez mettre en avant ?

L’élément qui m’a marquée est la mobilisation spontanée et quasi générale des Magistrats et des Greffiers.

« L’élément qui m’a marquée et que je souhaite souligner, c’est la mobilisation spontanée et quasi générale des Magistrats et des Greffiers pour dénoncer ouvertement dans une tribune le manque criant de moyens de la Justice en France (La tribune des magistrats, publiée le 23 novembre 2021 dans Le Monde et signée par 6 000 magistrats sur près de 9 000 que compte la profession).
Ce mouvement sans précédent a fait émerger par la voix même des magistrats et des greffiers cette insuffisance de moyens de la Justice, état de fait que les avocats dénoncent depuis des décennies sans résultats. Contrairement à ce qu’a dit le ministre de la Justice, je ne pense pas que ce mouvement soit politisé, c’est un cri d’alarme. Pourquoi intervient-il en 2021 seulement ? Le suicide de cette jeune magistrate fût l’évènement déclenchant. J’espère qu’il y aura des suites concrètes.

Le point négatif est selon moi que l’augmentation du budget de la justice est essentiellement dirigée vers l’administration pénitentiaire. Or c’est l’institution judiciaire dans son ensemble qui devrait bénéficier de cette hausse budgétaire. »

Quel serait votre souhait pour le Droit et ses métiers pour cette année 2022 ?

« Que les réformes visant à pallier le manque de moyens de la justice par des expédients pour réduire l’accès à la justice cessent. Je m’explique, c’est un constat commun que font les avocats et magistrats, nous avons le sentiment qu’au lieu de donner des moyens humains et techniques pour l’accès au droit, les différents gouvernements font des réformes qui visent sans le dire évidemment à rendre plus difficiles le recours au juge. Des réformes trop nombreuses, faites sans anticipation et sans que les professionnels puissent préparer leurs mises en place, ce qui génère un sentiment d’insécurité juridique. Je souhaite sincèrement que le rythme de ces réformes ralentisse pour nous permettre, magistrats, greffiers et auxiliaires de justice de les assimiler et les mettre pleinement en place pour améliorer le fonctionnement de la Justice au service de nos concitoyens. »


Mustapha Mekki, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne, Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne, Directeur général de l’Institut national des formations notariales (INFN).

Avez-vous noté un point positif et un autre plus négatif sur la profession de Notaire et le Droit et que vous voudriez mettre en avant ?

Faire de l’intensification des risques une opportunité pour apprendre à mieux garantir.

« L’année Covid a mis en exergue les risques auxquels toute profession en général et celle du notariat en particulier peuvent être confrontés. Les risques sont principalement nés de ces périodes de confinements partiels et de couvre-feu qui ont obligé les études à s’adapter en temps réel, venant bouleverser tant la relation avec les clients que le déroulé des stages suivis par nos étudiants. Cependant, le notariat a su faire de cette intensification des risques, liée à la crise covid, une opportunité pour apprendre à mieux garantir, "quoi qu’il en coûte", la continuité du service public de la sécurité juridique et, pour l’INFN, à mieux assurer la continuité pédagogique au profit des étudiants. »

Quel serait votre souhait pour le Droit et ses métiers pour 2022 ?

« Le souhait serait de poursuivre et de renforcer la collaboration entre toutes les parties prenantes de la profession. Cette collaboration entre les instances représentatives, l’Institut national des formations notariales, les études notariales et tous les partenaires du notariat, est la clef de voûte d’une profession plus forte au service de l’intérêt général. Cette dynamique collective doit permettre de renforcer les bases fondamentales du notariat, lui permettant ainsi de surmonter toutes les crises, qu’elle soient sanitaires, économiques ou sociales. C’est dans l’écoute et le dialogue que doivent se construire l’avenir du service public notarial et la raison d’être de la profession. »


Thomas Pêcheur, Huissier de Justice à Levallois-Perret.

Avez-vous noté un point positif, sur votre profession et le Droit en général en 2021, que vous voudriez mettre en avant ?

Se moderniser et maintenir une consistance Humaine à nos métiers.

« Le 17.12.2021, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision n°2021-830 sur la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire et conclu à sa conformité totale à la Constitution. La continuité (enfin) des mesures législatives prises depuis la loi Béteille du 22.12.2010, soit dix années, donne l’autorisation d’accès aux boites aux lettres des immeubles aux huissiers/commissaires de justice dans le cadre de leur mission.
Ouf ! Une avancée pour la sécurité juridique du citoyen, et surtout une plus grande célérité dans la délivrance des actes, et donc des procédures. »

Un autre point un peu moins positif ?

« L’autre point un peu moins positif, est la diminution et la lenteur dans certains départements du nombre de concours de force publique octroyé pour expulser si aucune solution de relogement n’est proposée à l’occupant sans droit ni titre.
Cela engendre deux conséquences :
D’un point de vue global : Le risque de mise en cause de la responsabilité de l’Etat, et donc une condamnation qui sera payée au final par le contribuable.
D’un point de vue particulier : Les difficultés pour le propriétaire, qui peut être lui aussi sujet à des problèmes financiers, se retrouvant face à un crédit, ou des charges de copropriété qu’il ne peut régler. Une procédure d’expulsion peut durer dix mois parfois, un an et demi souvent. Faites le calcul. »

Quel serait votre souhait pour le Droit et ses métiers pour 2022 ?

« L’Humain. Toutes les sciences sociales, et par accessoire tous les métiers du droit, ont pour point central l’Humain, avec son expertise, sa sensibilité, son empathie, et sa logique propre. Toutefois dans une société qui bouge, qui évolue, qui se modernise, les sciences sociales et les métiers du droit doivent suivre le pas de la technologie.
Il est vital de se moderniser, mais il est primordial de maintenir une consistance Humaine à nos métiers. »


Pascal Montfort, Chef de pôle Justice et libertés auprès du Défenseur des droits.

Un point positif et un point négatif de votre année professionnelle que vous souhaiteriez évoquer avec nos lecteurs ?

« La crise a montré que la justice et le droit restent des repères pour le vivre ensemble.

Le Droit est un formidable outil de dialogue et d’inclusion.

L’open data ouvre des perspectives nouvelles. La transparence sur les sources du droit va permettre de sécuriser les situations, d’étendre le règlement des litiges par le droit et d’offrir la possibilité à chacun d’entre nous de trouver des solutions juridiques plus aisément. Pour les professionnels du droit, cette évolution constitue un redoutable défi qualitatif. Comme avec doctissimo sur le diagnostic des médecins, la motivation et l’explication des argumentations juridiques pourront être remises en cause à chaque instant, obligeant ainsi les professionnels à se réinventer pour mieux expliquer et mieux accompagner.

Le monde judiciaire se redresse tant bien que mal de la crise covid qui a éprouvé les organisations ainsi que les femmes et les hommes qui les font fonctionner. Réguler sans trop contraindre en temps réel s’est avéré, en l’état du droit, une chose peu aisée et le recours aux états d’urgence une facilité piégeuse. Alors que le besoin d’une réponse de l’Etat a été forte pour se rassurer, l’inflation, la soudaineté et l’incertitude de la loi ont été des syndromes de la crise. Le droit n’a pas toujours contribué à la sérénité. »

Quel serait votre souhait pour le Droit pour 2022 ?

« Que le droit soit pris au sérieux, il est un formidable outil de dialogue et d’inclusion.

Trouver une réponse au malaise de la justice est une nécessité, en autre en trouvant des pistes pour une meilleure diffusion et une mise en œuvre du droit plus accomplie dans le quotidien. La meilleure façon de promouvoir l’Etat de droit dans un contexte de remise en question fréquente est de permettre à chacun, en dehors des tribunaux, d’apporter des solutions en droit à ses problèmes avec la certitude qu’un juge peut intervenir si nécessaire pour assurer la bonne application du droit. »


Pierre Berlioz, Agrégé des Facultés de droit, professeur à l’université Paris Descartes, ancien Directeur de l’EFB Paris.

Que la Justice dans toutes ses dimensions soit enfin une grande cause nationale.

« Le point qui me paraît le plus marquant en 2021 est le cri d’alarme unitaire lancé en cette fin d’année sur le fonctionnement de la Justice. C’est à la fois négatif, parce que c’est une lumière crue portée sur son état et le manque de considération dont elle fait l’objet, et positif, car cet appel pourrait être l’électrochoc nécessaire à provoquer la mise en place des mesures de fond et de long terme qui lui sont indispensables.
Aussi je ne peux que souhaiter pour 2022 - et même la décennie - que la Justice dans toutes ses dimensions soit enfin une grande cause nationale. »


Propos recueillis par la Rédaction du Village de la Justice.