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L’effet cristallisant du certificat d’urbanisme en cas d’annulation du refus de permis de construire. Par Xavier Heymans, Avocat et Jules Touzet, Juriste.
Parution : mercredi 9 février 2022
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Dans une décision en date du 24 novembre 2021, le Conseil d’Etat est venu préciser sa jurisprudence relative à la cristallisation des règles en vigueur lors de la délivrance d’un certificat d’urbanisme dit opérationnel et le régime d’annulation des refus de permis de construire [1] tout en précisant l’articulation entre ces deux dispositifs.
Commentaire de l’arrêt du Conseil d’Etat, SCI Dai Muraille, 24 novembre 2021 n°437355.

Plus précisément, il fait le choix de renforcer la portée des certificats d’urbanisme en considérant que, même passé le délai de validité de 18 mois, l’effet cristallisant du certificat d’urbanisme reprend toute sa portée en cas d’annulation du refus de permis de construire, initialement déposé dans ce délai.

La décision commentée s’inscrit dans un mouvement de recherche constante de mécanismes protégeant les acteurs de l’immobilier contre « les conséquences excessives de l’instabilité règlementaire propre à l’urbanisme » [2].

Après un bref rappel sur le régime des certificats d’urbanisme (I), nous verrons que le conseil d’Etat réaffirme le principe selon lequel le prononcé d’une injonction de ré-instruction à la suite de l’annulation d’un refus d’autorisation d’urbanisme ne permet pas d’obtenir une autorisation tacite sans confirmation expresse de la demande d’autorisation (II) et juge que l’effet cristallisant du certificat d’urbanisme reprend toute sa portée en cas d’annulation du refus de permis de construire, initialement déposé dans ce délai (III).

Les faits.

En février 2014, la société Dai Muraille obtient un certificat d’urbanisme dit « opérationnel » pour la réalisation d’un ensemble immobilier comprenant 941,95 m2 de surface commerciale et 51 logements. Fin juillet 2014, elle dépose une demande de permis de construire, qui est refusée par le Maire en août 2015.

Le Tribunal de Montreuil à, par la suite, dû connaître de cette affaire à trois reprises.

Le 13 octobre 2016, le Tribunal administratif de Montreuil annule cet arrêté de refus et enjoint au maire de Bagnolet de réexaminer la demande de la société Dai Muraille dans un délai de trois mois. Le maire s’oppose néanmoins encore une fois au projet et refuse de nouveau de délivrer le permis de construire.

Par un deuxième jugement du 18 janvier 2018, le Tribunal administratif annule cet arrêté et juge que la société Dai Muraille est bénéficiaire, depuis le 15 janvier 2017, d’un permis de construire tacite résultant du silence gardé pendant plus de trois mois par l’autorité administrative sur l’injonction prononcée par le Tribunal administratif dans son jugement de 2016.

Ce jugement est devenu définitif, mais le permis tacite a fait l’objet d’une contestation par les riverains du projet. Saisi une troisième fois, le Tribunal administratif annule le permis de construire tacite du 15 janvier 2017 ainsi que la décision de refus du maire de le retirer. Pour arriver à cette solution, la juridiction considère que le pétitionnaire n’a pas pu bénéficier de la cristallisation du certificat d’urbanisme, dès lors que les conclusions à fin d’injonction ont été présentées postérieurement à l’écoulement du délai de dix-huit mois prévu à l’article L410-1 du Code de l’urbanisme.

C’est ce jugement qui fait l’objet de la décision commentée.

I. Bref rappel sur l’application et la portée des articles L600-2 et L410-1 du Code de l’urbanisme.

L’article L600-2 du Code de l’urbanisme permet au demandeur d’une autorisation de construire qui s’est vu opposer un refus et qui a obtenu, par une décision définitive, l’annulation de ce refus de voir sa demande réexaminée au regard des dispositions d’urbanisme en vigueur à la date de ce refus, sous réserve que la confirmation de la demande ou de la déclaration soit effectuée dans les six mois suivant la notification de l’annulation au pétitionnaire.

Les certificats d’urbanisme ont par ailleurs pour vocation de cristalliser le droit applicable à une autorisation d’urbanisme pendant une durée de dix-huit mois [3].

Pour mémoire, le certificat d’urbanisme est un acte d’information préalable permettant aux porteurs de projets de connaître les règles d’urbanisme applicables à un terrain. Il en existe deux types :
- le certificat d’urbanisme de simple information qui indiquera les dispositions d’urbanisme, les limitations administratives au droit de propriété et la liste des taxes et participations applicables au terrain ;
- le certificat d’urbanisme dit « opérationnel » qui en plus des informations données par le CU d’information, spécifie si le terrain peut être utilisé pour la réalisation d’un projet et l’état des équipements publics existants ou prévus (état de viabilité du terrain, desserte par les voies et réseaux d’eau, d’assainissement et d’électricité).

L’article L410-1 précité prévoit que lorsqu’une demande d’autorisation ou une déclaration préalable est déposée dans le délai de dix-huit mois à compter de la délivrance d’un certificat d’urbanisme, les autorités en charge de l’instruction du permis doivent étudier la demande du pétitionnaire à l’aune des dispositions d’urbanisme en vigueur à la date de délivrance de ce document.

II. L’injonction de ré instruction prononcée à la suite de l’annulation d’un refus d’autorisation d’urbanisme ne permet pas d’obtenir une autorisation tacite sans confirmation expresse de la demande d’autorisation.

Le Conseil d’Etat s’est d’abord attelé à clarifier sa jurisprudence relative au régime d’acceptation tacite d’une demande de délivrance d’une autorisation d’urbanisme après l’expiration du délai de trois mois, en application de l’article L600-2.

Lors de la seconde instance devant le Tribunal administratif de Montreuil, le Tribunal se prend les pieds dans le tapis en estimant qu’il n’y avait pas lieu de faire droit aux conclusions à fin d’injonction de réexamen de la demande d’autorisation présentée par la société requérante, dès lors que celle-ci était bénéficiaire, depuis le 15 janvier 2017, d’un permis de construire tacite résultant du silence gardé pendant plus de trois mois sur l’injonction prononcée par le Tribunal administratif dans le premier volet contentieux, en 2016 [4].

Le TA pense pouvoir se fonder sur un principe dégagé par le conseil d’Etat en 2017 selon lequel :

« Lorsqu’une juridiction, à la suite de l’annulation d’un refus opposé à une demande d’autorisation d’occuper ou d’utiliser le sol, fait droit à des conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint à l’administration de réexaminer cette demande, ces conclusions aux fins d’injonction du requérant doivent être regardées comme confirmant sa demande initiale ».

Cette solution permet au pétitionnaire de ne pas devoir confirmer sa demande d’autorisation dans le délai de 6 mois prévu à l’article L600-2 pour pouvoir bénéficier du réexamen de sa demande d’autorisation au regard des dispositions d’urbanisme en vigueur à la date du refus annulé, lorsqu’il formule des conclusions aux fins d’injonction de ré-instruction.

Toutefois, cette solution ne permet pas au pétitionnaire de bénéficier du mécanisme d’acceptation tacite. Ce dernier doit expressément confirmer sa demande pour déclencher le délai d’autorisation tacite. Comme l’énonce le rapporteur public dans cette affaire, ce raisonnement est fondé sur la volonté de ne pas mettre

« l’autorité administrative devant le fait accompli, en déclenchant un nouveau délai d’acceptation tacite qui pourrait jouer à son insu, par voie de conséquence de l’annulation d’une autre décision » [5].

C’est la raison pour laquelle la Haute juridiction censure le jugement du Tribunal de Montreuil du 18 janvier 2018. En l’absence de confirmation de la demande de permis de construire, le pétitionnaire ne pouvait avoir obtenu une autorisation tacite alors même qu’il avait formulé des conclusions aux fins d’injonction de ré-instruction.

III. L’effet cristallisant du certificat d’urbanisme reprend toute sa portée en cas d’annulation du refus de permis de construire, initialement déposé dans le délai de 18 mois prévu par L410-1.

La haute juridiction administrative était confrontée à une situation inédite et devait se prononcer sur la combinaison du

« raisonnement de l’article L600-2, s’agissant de la cristallisation des règles de droit en cas d’annulation d’un refus de permis […], avec le mécanisme de cristallisation de l’article L410-1 pour les certificats d’urbanisme » [6].

Elle fait le choix de renforcer la portée des certificats d’urbanisme en considérant que, même passé le délai de validité de 18 mois, l’effet cristallisant du certificat d’urbanisme reprend toute sa portée en cas d’annulation du refus de permis de construire, initialement déposé dans ce délai.

Le conseil d’Etat précise que la cristallisation joue « alors même que le demandeur n’est susceptible de bénéficier d’un permis tacite qu’à condition d’avoir confirmé sa demande » [7].

Le rapporteur public rappelle que l’annulation pour excès de pouvoir par le juge d’une décision prise oblige l’administration à se prononcer une nouvelle fois sur cette dernière.

Autrement dit, le juge administratif demeure saisie de la demande initiale. Par conséquent, il faut considérer cette demande comme étant présentée dans le délai de 18 mois prescrit par l’article L410-1 du Code de l’urbanisme.

La solution semble d’ailleurs logique. Celle du Tribunal qui a retenu que la confirmation de la demande initiale doit être formée par conclusion en cours d’instance dans le délai de 18 mois pour pouvoir bénéficier du mécanisme de cristallisation aurait eu pour effet de permettre à l’administration de faire échec trop facilement aux effets des certificats d’urbanisme. Il lui suffirait de refuser l’autorisation d’urbanisme pour qu’une éventuelle annulation de ce refus fasse sortir la demande du délai de 18 mois de l’article L410-1 faisant ainsi échec au mécanisme de cristallisation.

Cette solution ôterait l’utilité, dans ces circonstances, du certificat opérationnel.

Xavier Heymans Avocat associé Jules Touzet Juriste Cabinet Adaltys

[1Article L600-2 et L410-1 du Code de l’urbanisme.

[2Marie Soazic, « Le principe de mutabilité et le droit de l’urbanisme », Construction-Urbanisme, 10, octobre 2015, p. 7 12.

[3Article L410-1 du Code de l’urbanisme.

[4Ce qui s’avère être une interprétation erronée de l’arrêt CE, M. et Mme N et Sarl Côte d’Opale du 23 février 2017 n°395274, et de la portée de l’article précité.

[5M. Stéphane Hoynck, conclusion sur CE, 24 novembre 2021 n°437375 « Sci Dai Muraille ».

[6Idem.

[7Id.