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Sur la qualification juridique des NFT et leur vente aux enchères. Par Etienne Papin, Avocat.
Parution : mardi 15 février 2022
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La loi française limite jusqu’à présent aux biens meubles corporels la possibilité d’être vendus aux enchères par un opérateur de ventes volontaires. Ce que n’est manifestement pas un NFT ! Le Parlement examine en ce moment même une proposition de loi, plus largement consacrée à la « régulation du marché de l’art », qui viendra modifier l’article L320-1 du Code de commerce pour faire sauter le verrou législatif. Voici la vente aux enchères bientôt ouverte aux biens « incorporels ». Mais un NFT est-il un bien incorporel ? C’est aller un peu vite que de l’affirmer… La vente aux enchères de NFT ne pourra s’envisager qu’avec quelques protections, a minima contractuelles, pour toutes les parties : vendeur, acquéreur et intermédiaire.

De la qualification juridique des NFT en général et de leur vente aux enchères en particulier.

C’est aux enchères qu’un NFT a été vendu 69 millions de dollars le 11 mars 2021. On peut donc comprendre que les professionnels français du marché de l’art ne souhaitent pas être laissés de côté si l’art immatériel acquiert une valeur durable.

La loi française limite jusqu’à présent aux biens meubles corporels la possibilité d’être vendus aux enchères par un opérateur de ventes volontaires.

En effet, l’article L320-1 du Code de commerce limite le régime juridique des ventes aux enchères publiques aux « meubles et d’effets mobiliers corporels ». Ce que n’est manifestement pas un NFT !

Le Conseil des ventes volontaires, à la suite d’un rapport intitulé « ventes volontaires aux enchères publiques à l’heure des NFT » rédigé par M. Cyril Barthalois et publié en janvier dernier, a souhaité une évolution de la législation pour ouvrir la possibilité de vendre des NFT aux enchères. Rapporteur et Conseil s’accordent pour considérer que les NFT sont des « biens incorporels » et sont donc, en l’état du droit, interdits de vente aux enchères.

Opportunément, le Parlement examine en ce moment même une proposition de loi de 2019, plus largement consacrée à la « régulation du marché de l’art », qui viendrait modifier l’article L320-1 du Code de commerce pour faire sauter le verrou législatif. L’article L320-1 du Code de commerce deviendrait :

« Les ventes aux enchères publiques de meubles sont régies par le présent titre, sous réserve des dispositions particulières à la vente de certains meubles incorporels ».

Le mot « coporel » disparaissant, voici la vente aux enchères ouvertes aux biens « incorporels ». Certes. Mais un NFT est-il un bien meuble incorporel ? C’est aller un peu vite que de l’affirmer… Alors qu’est-ce qu’un NFT au regard de nos qualifications juridiques ?

1 Un NFT est-il un bien incorporel ?

La catégorie des biens meubles incorporels n’est pas si hétéroclite qu’elle en a l’air. Elle recoupe d’abord les « éléments » protégées par la propriété intellectuelle : œuvres de l’esprit, marques, brevets, etc. Le siège du régime juridique de ces biens est le Code de la propriété intellectuelle. Elle contient ensuite les universalités constituées dans le cadre d’une activité professionnelle : fonds de commerce, fonds artisanal, fonds agricole.

La première particularité de ces biens incorporels est de s’accommoder parfaitement avec les prérogatives du droit de propriété : ils peuvent être utilisés, cédés et peuvent fructifier. La seconde particularité est qu’ils n’existent dans le droit positif que parce qu’un régime juridique les consacre et les protège. C’est ainsi que les biens incorporels accèdent à cette fiction juridique qui fait d’eux des biens.

Un NFT échoue à réunir ces qualités. Inutile de s’appesantir sur le fait qu’aucune loi spéciale, à ce jour, ne vient organiser un régime juridique sur le NFT.

Au-delà de cette considération, le NFT est d’abord et même uniquement la capacité du titulaire de l’adresse privée associée au NFT à exécuter la fonction de transfert du NFT dans le smart contract qui a généré le NFT pour que ce transfert soit inscrit dans la blockchain. Un NFT est donc uniquement une capacité technique informatique : le titulaire du NFT est le seul à pouvoir exécuter l’opération qui désignera le nouveau titulaire du NFT.

Nous avons déjà eu l’occasion de le détailler dans un précédent article : le NFT, en droit, s’apparente à un « titre », entendu comme la preuve de la possession ou de la propriété si l’on préfère aller par là. On comprend aisément qu’il y a une différence entre une carte grise (le « certificat d’immatriculation ») et la voiture qu’elle désigne. Il y a la même différence entre le NFT et le fichier numérique qu’il désigne.

Le NFT est-il un bien incorporel ? Le fichier désigné par le NFT en est un. Mais si c’est une œuvre - aussi insignifiante soit-elle - elle est déjà protégée par le droit d’auteur. Considérer que le NFT est un bien incorporel n’apporte donc pas grand-chose.

Le « titre » est-il un bien incorporel ? Pour l’affirmer, il faudrait qu’un régime juridique soit établi pour venir instaurer une véritable protection à ce « titre », tout comme la carte grise - pour poursuivre l’analogie - est protégée par le délit de faux document administratif par l’article 441-2 du Code pénal.

Au final, voir dans le NFT un bien, même incorporel, c’est faire totalement abstraction de ce qu’est sa véritable nature : le résultat d’un traitement informatique auquel on accorde une valeur probante de possession voire de propriété et, au final, une « valeur » économique. Par « on », il faut lire nous tous, les internautes, les acheteurs de NFT, les vendeurs de NFT mais pas la loi… en l’état du droit positif.

2 Le NFT est-il un actif numérique ?

Pour ne pas risquer d’avoir une révolution technologique et financière de retard, le Législateur a institué un statut des « prestataires de service sur actifs numériques » par la loi PACTE du 22 mai 2019. L’encadrement de ces nouveaux professionnels, les PSAN, est avant tout destiné à protéger les investisseurs et éviter que ce secteur des crypto-actifs ne soit un vecteur de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. Mais pour créer cette nouvelle profession réglementée, dont le champ de compétence est l’actif numérique, il faut définir… l’actif numérique.

Cela a été fait à l’article L54-10-1 du Code monétaire et financier (CMF) qui dispose :

« les actifs numériques comprennent :

1° Les jetons mentionnés à l’article L552-2, à l’exclusion de ceux remplissant les caractéristiques des instruments financiers mentionnés à l’article L211-1 et des bons de caisse mentionnés à l’article L223-1 ;

2° Toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n’est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement ».

Excluons immédiatement de notre étude le 2° qui décrit les crypto-monnaies. Les NFT ne sont pas perçus « comme un moyen d’échange ». C’est même leur caractère « non-fongible » qui les caractérise.

Restent les « jetons » (tokens) visés au 1° qui nous renvoient à l’article L552-2 du CMF, à savoir :

« tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ».

Décidément, le Législateur n’a été regardant ni avec le droit des biens ni avec la technologie en désignant un « jeton » comme un bien incorporel (cf. nos explications ci-dessus) tout en réduisant immédiatement à rien cette qualification puisque le « bien incorporel » en question ne fait que « représenter » « un ou plusieurs droits » (c’est donc un titre).

Un NFT représente-t-il donc « un ou plusieurs droits » ? Telle est la question.

Dans l’esprit des participants à l’opération de vente d’un NFT, le NFT représente indubitablement quelque chose et, avant tout, la « possession ». Le « possesseur » du NFT est l’unique personne à pouvoir se proclamer tel de par l’unicité du NFT.

Mais est-ce là le « droit » désigné par l’article L552-2 du CMF ? Les jetons de l’article L552-2 du CMF ont été créés par le Législateur pour désigner des droits personnels : une créance sur l’émetteur du jeton qui, dans le cadre d’une ICO (initial coin offering), propose de fournir à l’acquéreur du jeton des services ou des droits financiers.

Même si le texte ne le dit pas, le « droit » désigné par l’article L552-2 du CMF n’était donc pas un droit « réel » comme on l’exerce sur la chose, corporelle ou incorporelle, dont on est le possesseur. Or c’est bien de droits réels que le NFT se propose d’être le titre.

Nous concluons (provisoirement !) à l’impossibilité de voir un NFT comme étant un actif numérique au sens de l’article L552-2 du Code monétaire et financier car ce n’est pas ce que les parties à l’opération d’échange d’un NFT entendent qu’il soit. Cette conclusion n’emporte d’ailleurs qu’une conséquence : faire échapper au statut de PSAN ceux qui s’intermédient dans les opérations sur NFT.

3 Alors qu’est-ce qu’un NFT ?

Au risque de nous répéter, rappelons que le NFT est le résultat d’une fonctionnalité d’un smart contract. Emetteur du NFT et acquéreur du NFT vont considérer qu’il existe un intérêt à être seul en capacité technique d’exécuter cette fonction. L’obtention de cette capacité peut conduire à l’échange de monnaies (FIAT ou crypto-monnaie).

L’opération ainsi résumée est parfaitement valable dans notre ordre juridique, en tout cas lorsqu’elle est réglée en monnaie FIAT. Elle peut donner lieu à des actions judiciaires en cas de manquement du vendeur comme de l’acheteur. En théorie en tous cas, car pour les mettre effectivement en œuvre, il faudra réunir de nombreuses preuves qui sont « off-chain », l’identité des parties n’étant pas l’une des moindres problématiques.

Ainsi, nul besoin d’y voir là un bien incorporel ou un actif numérique et de convoquer un peu hâtivement des régimes juridiques pour accueillir une pratique relativement complexe à qualifier.

Pour revenir là où nous avons commencé : s’il n’y a pas de raison de ne pas ouvrir le régime des ventes aux enchères aux NFT, les qualifier de meubles « incorporels » n’aura pas beaucoup d’intérêt. Car une fois les professionnels des ventes volontaires impliqués dans l’opération de vente de NFT, la question de savoir ce qui est « vendu » à leur coup de marteau restera entière et avec cette inconnue s’ouvrira la question de leur responsabilité.

La vente aux enchères de NFT ne pourra s’envisager qu’avec quelques protections, a minima contractuelles, pour toutes les parties : vendeur, acquéreur et intermédiaire.

Etienne Papin Avocat associé - Next avocats www.next-law.fr