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Peut-on être licencié pour avoir causé un accident de la route ? Par Arthur Tourtet, Avocat.
Parution : mardi 15 février 2022
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N’importe quel salarié peut être impliqué dans un accident de la circulation dans le cadre de son travail.
Dans une telle hypothèse, faut-il craindre les foudres de l’employeur et s’attendre à un licenciement ?

Quels trajets sont concernés par le pouvoir disciplinaire de l’employeur ?

Sans difficulté, l’employeur peut vous sanctionner pour des accidents survenus lorsque vous vous déplacez dans le cadre de trajets allant d’un lieu de travail à un autre.

En revanche, l’employeur ne peut vous sanctionner pour un accident causé dans le cadre d’un trajet qui relève de votre vie privée.

Même si vous n’avez pas respecté le Code de la route [1].

Pour illustration, n’est pas sanctionnable un salarié qui a causé un accident en dehors de son travail alors qu’il était alcoolisé et qu’il avait grillé un feu rouge, tout en refusant d’obtempérer aux forces de l’ordre [2].

La solution est identique concernant un trajet domicile-travail [3].

Attention, si vous avez un accident avec une voiture de fonction en dehors de la sphère professionnelle, vous devez immédiatement en informer votre employeur afin qu’il puisse déclarer le sinistre auprès de son assureur.

Ne pas signaler un accident ou le dissimuler peut vous exposer à une sanction disciplinaire [4].

Votre contrat de travail peut encore vous imposer une obligation d’entretien du véhicule de fonction, obligation qu’il vous conviendra de respecter [5].

Si votre accident a pour origine un non-respect de cette obligation d’entretien, c’est votre emploi qui risque de finir à la casse.

Vous devez encore signaler toute anomalie de votre véhicule à votre employeur car ces dysfonctionnements peuvent être la source d’accidents futurs [6].

Dernière précision, le fait d’avoir un accident en dehors du travail avec un véhicule de l’entreprise, vous rend fautif, si vous n’avez pas l’autorisation de l’utiliser dans un cadre privé [7].

Quels accidents sont sanctionnables ?

Pour savoir si une sanction est justifiée, ce qui compte, c’est le comportement du conducteur.

Un accident grave n’a pas à faire l’objet d’une sanction si la conduite de l’employé a été irréprochable.

Inversement, un léger accrochage, même sans conséquences, ne restera pas impuni si le salarié s’est comporté comme un fou du volant.

On ne le répètera jamais assez, mais les salariés sont légalement tenus de respecter une obligation de sécurité [8].

Lorsque vous effectuez un trajet professionnel, vous devez toujours maîtriser votre véhicule et éviter au maximum les situations dangereuses.

De plus, même si cela relève de l’évidence, le respect du Code de la route n’est pas une option.

Par exemple, l’employeur peut sanctionner les comportements suivants :
- Le fait de rouler en excès de vitesse et de ne pas porter la ceinture de sécurité [9] ;
- Le fait de griller un feu rouge [10] ;
- Le fait de franchir une ligne blanche [11] ;
- Le fait de refuser une priorité et d’avoir consommé de l’alcool, malgré une interdiction du règlement intérieur, même si le taux d’alcoolémie est en dessous de celui fixé par le Code de la route [12] ;
- Le fait d’adopter une conduite trop sportive, caractérisée par des accélérations violentes et des freinages brutaux [13] ;
- Le fait de doubler par la droite un véhicule, de le percuter en voulant faire une queue de poisson, puis de prendre la fuite [14] ;
- Le fait de laisser dépasser un objet lors d’un chargement au point de causer des dommages à un autre véhicule en roulant [15] ;
- Le fait de conduire avec un taux d’alcoolémie de plus de 2 grammes dans le sang [16].

Par contre, si les circonstances de l’accident demeurent inconnues, de sorte qu’il est impossible de savoir si le salarié a enfreint le Code de la route ou a manqué de prudence, l’employeur ne peut prononcer une sanction [17].

Pour vous faire une idée, n’est pas fautif le chauffeur qui a perdu le contrôle du véhicule en roulant sur une plaque de verglas, sans preuve d’un comportement anormal pouvant expliquer l’accident [18].

Une décision similaire a été rendue dans le cadre d’un endormissement au volant, cet évènement pouvant être indépendant de la volonté du conducteur [19].

Bien entendu, si l’accident de la circulation a pour origine une faute de l’employeur, le salarié n’a pas à en faire les frais.

Un salarié ayant effectué une mauvaise manœuvre sur la route n’est pas fautif, s’il est démontré que l’erreur de conduite avait pour origine un état de fatigue causé par l’employeur [20].

L’employeur est-il obligé de me licencier ?

Même lorsque l’accident de la circulation a été causé par votre comportement imprudent et sur un trajet professionnel, l’employeur n’est pas obligé de vous licencier.

Au contraire, l’article L1333-2 du Code du travail impose à l’employeur de faire preuve de proportionnalité dans la sanction qu’il va choisir.

Un salarié qui a eu un bref moment d’inattention ne peut être sanctionné de la même manière qu’un employé qui a confondu la route avec un circuit automobile.

L’employeur peut prononcer une sanction plus légère, comme un avertissement ou une mise à pied disciplinaire.

Quant au licenciement, ce dernier peut être prononcé pour une faute simple, une faute grave ou une faute lourde.

Dans le cas du licenciement pour faute lourde, l’employeur doit démontrer une intention de nuire à l’entreprise, élément difficile à démontrer. Si la faute lourde est prouvée, l’employeur peut vous demander des dommages et intérêts.

En revanche, en dehors du cas de la faute lourde, il est interdit de vous faire rembourser les dégâts causés dans le cadre de l’accident. Il s’agirait d’une sanction pécuniaire illicite [21].

Si l’employeur dispose d’un règlement intérieur ou qu’il est tenu d’en avoir un, la sanction doit être prévue dans ce document [22].

Une convention collective peut encore limiter les sanctions disciplinaires disponibles [23].

En dehors de ces quelques règles, c’est la gravité de votre comportement au volant qui va justifier une sanction plus ou moins sévère.

Plus vous aurez eu une conduite irresponsable, plus la sanction pourra être lourde, surtout si ce n’est pas la première fois [24].

Arthur Tourtet Avocat au Barreau du Val d\'Oise

[1Cass. soc. 3 mai 2011, n° 09-67464.

[2CA Grenoble, 24 octobre 2013, n° 12/03952.

[3CA Versailles, 18 avril 2019, n° 17/01593 et CA Pau, 08 juin 2009, n° 2628/09.

[4CA Versailles, 17 janvier 2019, n° 17/01434.

[5Cass. soc., 12 décembre 2013, n° 12–25298.

[6CA Lyon, 14 avril 2021, n° 18/03347.

[7CA Douai, 26 octobre 2012, n° 11/04347.

[8C. trav., art. L4122-1.

[9Cass. soc., 15 décembre 2016, n° 15-21.749.

[10CA Orléans, 12 avril 2011, n° 10/03109.

[11CA Grenoble, 08 avril 2021, n° 18/05130.

[12CA Riom, 07 septembre 2021, n° 18/02714.

[13CA Orléans, 23 novembre 2021, n° 19/01483.

[14CA Lyon, 14 avril 2021, n° 18/03347.

[15CA Paris, 27 janvier 2021, n° 18/06958.

[16CA Aix-en-Provence, 11 octobre 2019, n° 16/12995.

[17CA Colmar, 29 janvier 2019, n° 17/05439 et CA Metz, 15 décembre 2020, n° 18/03208.

[18CA Toulouse, 19 octobre 2018, n° 17/01655.

[19CA Aix-en-Provence, 04 décembre 2020, n° 17/22064.

[20CA Caen, 16 janvier 2020, n° 18/01041.

[21C.trav., art. L1331-2.

[22Cass. soc., 23 mars 2017, n° 15-23.090 et CA Grenoble, 3 déc. 2013 n° : 12/04212.

[23CA Lyon, 7 mai 2015. n° 14/01809.

[24CA Montpellier, 24 avril 2019, n° 15/05623 et CA Aix-en-Provence, 20 décembre 2013, n° 12/09052.

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