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Dispositif de vidéosurveillance illicite et licenciement pour faute grave d’un salarié. Par Frédéric Chhum et Mathilde Mermet-Guyennet, Avocats.
Parution : lundi 21 février 2022
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Pour rappel, les éléments de preuve issus d’un système de vidéo-surveillance ne peuvent constituer une preuve recevable devant le juge si le dispositif n’a pas fait l’objet d’une consultation du CSE et d’une information des salariés.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation, tout en convoquant le principe de proportionnalité y ajoute le respect de l’article de 32 de la loi Informatique et Liberté du 6 janvier 1978, alors en vigueur, et apporte des précisions sur le contenu de l’information devant être délivré [1].

1) Les faits et la procédure.

L’employeur, une pharmacie, fait installer des caméras de vidéo-surveillance dans ses locaux. Elle informe d’abord oralement les salariés du dispositif lors d’une réunion, puis dans le cadre d’une note de service signée par les salariés. Cette note informait les salariés de l’emplacement des caméras, mais n’évoquait comme finalité du dispositif que la sécurité et la prévention des atteintes aux biens et aux personnes.

Quelques années plus tard, une caissière est licenciée pour avoir commis de graves erreurs dans l’utilisation de la caisse, ce dont la preuve est rapportée par les enregistrements de vidéo-surveillance.

La salariée conteste son licenciement faisant valoir principalement que le mode de preuve utilisé est illicite.

La salariée a été déboutée par le Conseil de prud’hommes dont le jugement était confirmé par la Cour d’appel laquelle retenait que le mode de preuve était licite puisqu’une information avait été donnée et que la loi du 21 janvier 1995 autorisait l’utilisation de système de vidéosurveillance dans des lieux ou des établissements ouverts au public particulièrement exposés à des risques d’agression ou de vol.

La salariée forme alors un pourvoi en cassation.

2) Moyens.

La salariée faisait valoir à l’appui de son pourvoi les arguments suivants :
- L’enregistrement était illicite dès lors que le comité d’entreprise n’avait pas été informé et consulté de ce dispositif de contrôle de l’activité des salariés, quand bien même, à l’origine le dispositif de vidéo-surveillance avait pour finalité la sécurité des biens et des personnes ;
- Les salariés n’avaient pas été suffisamment informés du système de vidéo-surveillance, dès lors notamment que la note de service était postérieure à la mise en place du système et qu’il se bornait à indiquer l’emplacement des vidéos en rappelant que le but de l’installation était la sécurité des personnes et des biens ;
- L’employeur, dans son information n’avait pas respecté les dispositions de la loi du 6 janvier 1978, imposant que : « les employés concernés doivent être informés, préalablement à la mise en œuvre du système litigieux, de l’identité du responsable du traitement des données ou de son représentant, de la (ou les) finalité(s) poursuivie(s) par le traitement, des destinataires ou catégorie de destinataires de données, de l’existence d’un droit d’accès aux données les concernant, d’un droit de rectification et d’un droit d’opposition pour motif légitime, ainsi que des modalités d’exercice de ces droits », la note de service ne remplissant pas ces critères.

3) Réponse de la Cour de cassation.

La Cour de cassation indique d’abord que :
- Aux termes de l’article 32 de la loi du 6 janvier 1978, modifiée par la loi du 6 août 2004, dans sa version applicable prévoit que : « les salariés concernés doivent être informés, préalablement à la mise en œuvre d’un traitement de données à caractère personnel, de l’identité du responsable du traitement des données ou de son représentant, de la (ou les) finalité(s) poursuivie(s) par le traitement, des destinataires ou catégories de destinataires de données, de l’existence d’un droit d’accès aux données les concernant, d’un droit de rectification et d’un droit d’opposition pour motif légitime, ainsi que des modalités d’exercice de ces droits »,
- Le comité d’entreprise doit être informé et consulté, préalablement à toute décision de mise en œuvre dans l’entreprise sur tous moyens ou techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés.

Ensuite, la Cour de cassation casse l’arrêt en ce qu’il a retenu que le mode de preuve était licite.

Plus précisément, dès lors que le système de vidéo-surveillance était destiné initialement à la sécurité des biens et des personnes, mais avait permis en outre de contrôler et de surveiller l’activité des salariés et avait été utilisé par l’employeur pour exploiter des informations concernant personnellement la salariée, pour que les enregistrements soient jugés licites, l’employeur aurait dû consulter le CSE et informer les salariés conformément aux dispositions précitées.

De fait, dès lors que la finalité poursuivie par l’employeur au moyen du dispositif avait été modifiée puisqu’il avait permis ultérieurement un contrôle de l’activité du salarié, ce dont les salariés n’étaient pas informés, la Cour de cassation retient que l’information délivrée n’était pas suffisante d’une part et que le CSE aurait dû être consulté d’autre part.

4) Principe de proportionnalité et RGPD.

Cet arrêt doit néanmoins être nuancé.

En effet, la Cour de cassation prend soin de rappeler que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas automatiquement son irrecevabilité.

Pour juger de sa recevabilité, le juge doit apprécier si l’utilisation de la preuve a porté une atteinte au caractère équitable de la procédure en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut

« justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

Aussi, malgré la cassation de l’arrêt au motif de l’illicéité du mode de preuve, cela ne signifie pas nécessairement que ce mode de preuve ne pourra pas être finalement déclaré recevable en application du contrôle de proportionnalité précité.

Il appartiendra par conséquent aux juges de la Cour d’appel de renvoi d’apprécier l’ampleur de l’atteinte à la vie personnelle du salarié au regard du droit à la preuve de l’employeur dans le contexte précis du licenciement de la salariée et de la nature du contenu des enregistrements.

Il faut souligner enfin que la Cour apporte des précisions sur le contenu de l’information devant être donné au salarié au visa de l’article 32 de la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978, alors applicable, laquelle intègre désormais les dispositions du Règlement Général sur la Protection des Données.

En effet, si auparavant cette loi était invoquée essentiellement s’agissant de l’obligation de déclarer le dispositif à la CNIL, dans cet arrêt, la Cour précise que :

« les salariés concernés doivent être informés, préalablement à la mise en oeuvre d’un traitement de données à caractère personnel, de l’identité du responsable du traitement des données ou de son représentant, de la (ou les) finalité(s) poursuivie(s) par le traitement, des destinataires ou catégories de destinataires de données, de l’existence d’un droit d’accès aux données les concernant, d’un droit de rectification et d’un droit d’opposition pour motif légitime, ainsi que des modalités d’exercice de ces droits ».

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[1Cass, soc, 10 novembre 2021, n°20-12.263.