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Le désordre s’accroît dans l’octroi du crédit immobilier aux consommateurs (2/2) : la prépondérance des normes du HCSF. Par Laurent Denis, Juriste.
Parution : jeudi 24 février 2022
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Le Droit se fixe donc pour objectif de préserver les emprunteurs particuliers du risque d’endettement excessif en crédit immobilier. Les obligations dites précontractuelles (en référence au contrat principal de prêt) délivrées par les Distributeurs bancaires (agences directes des établissements de crédit et Intermédiaires bancaires) exercent cette fonction primordiale. Mais s’y ajoutent depuis le 1er janvier 2022 les principes d’octroi du Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF), au même objectif. Depuis cette date, le HCSF présente ses « normes » d’octroi de crédit immobilier aux Consommateurs comme dotées d’un caractère juridiquement contraignant [1]. Conséquence immédiate : les « normes » du HCSF évincent, nécessairement, les obligations précontractuelles des Professionnels du crédit immobilier aux Consommateurs.
(Voir la première partie : L’enchevêtrement des normes d’octroi de crédit immobilier aux Consommateurs).

Les principes du HCSF dominent l’octroi de crédit immobilier aux emprunteurs Particuliers ; ils menacent à la fois le marché de l’immobilier aux Particuliers et le fragile équilibre de la protection de ces emprunteurs. Surgies sans débat ni sans aucune réflexion ni analyse juridique quant à leur impact sur les obligations déjà existantes, les « normes » d’octroi de crédit immobilier émanant du HCSF imposent des ajustements juridiques profonds aux Distributeurs bancaires, tels que les Intermédiaires en Opérations de Banques et en Services de Paiement (IOBSP), particulièrement les Courtiers-IOBSP en crédit immobilier. Les IOBSP peuvent s’adapter de manière simple et pratique aux « normes » du HCSF.

1. L’obligation légale de mise en garde en crédit immobilier aux Consommateurs se substitue à l’obligation jurisprudentielle de mise en garde en crédit, pour tous les prêts immobiliers aux Consommateurs postérieurs au 1er octobre 2016.

La question se pose donc : dans le Droit de la consommation français en vigueur depuis le 1er avril 2022, quelles normes d’octroi de crédit immobilier aux Consommateurs s’appliquent ? lesquelles supplantent les autres ? Comment ces normes s’articulent-elles ? Que doivent faire, en pratique, les Professionnels bancaires, et notamment les Distributeurs indépendants que sont les Intermédiaires en Opérations de Banque et en Services de Paiement (IOBSP) ? Tout d’abord : l’obligation légale de mise en garde en crédit immobilier aux Consommateurs est celle effectivement applicable aux prêts octroyés depuis le 1er octobre 2016. Mais ses principes sont écrasés par ceux des « normes » d’octroi du Haut Conseil de Stabilité Financière, qui s’imposent aux prêts souscrits après le 1er janvier 2022. Il convient donc d’adapter en conséquence la délivrance de l’obligation de mise en garde en crédit immobilier aux Consommateurs, ainsi que l’obligation de conseil du Courtier-IOBSP en crédit immobilier.

1.1. Rapports entre la norme légale de mise en garde en crédit immobilier aux Consommateurs et sa version jurisprudentielle.

En présence du luxe de deux obligations de mise en garde en crédit immobilier aux Consommateurs, l’une d’origine jurisprudentielle et l’autre, légale, laquelle s’applique ? Le droit des contrats fixe la préséance ou peut-être la coexistence des règles générales et des règles spéciales. Ainsi « Les règles générales [applicables aux contrats] s’appliquent sous réserve [des] règles particulières » « à certains contrats […] établies dans les dispositions propres à chacun d’eux » (article 1105 du Code civil).

La Jurisprudence vient, en principe, soit pourvoir une norme manquante, inexistante ; soit compléter les Lois incomplètes ; soit éclairer les incohérences ou les contradictions entre normes légales (art. 4 du Code civil). Toujours en principe, le Juge ne peut énoncer un principe général qui serait applicable à tous les cas même identiques, voire analogues (art. 5 du Code civil). La décision du Juge, en principe, est limitée à la chose jugée (art. 1355 du Code civil).

Les normes législatives d’octroi de crédit immobilier aux Consommateurs, telle que la mise en garde (art. L. 313-12 du Code de la consommation, pour les prêts postérieurs au 1er octobre 2016) proviennent de la législation européenne. De deux choses l’une : soit les règles juridiques décrites (voir première partie de l’article) coexistent, en se cumulant éventuellement. Soit les unes évincent les autres. Se pose ainsi la question de la cohabitation des deux obligations de mise en garde en crédit immobilier, celle d’avant et celle d’après 2016.

S’agissant tout d’abord de la coexistence éventuelle des deux obligations de mise en garde en crédit immobilier aux Consommateurs, celle issue de la Jurisprudence de 2005, et celle provenant de la législation européenne applicable depuis 2016 : l’effacement de la première (Jurisprudentielle) s’impose, au profit de la seconde, législative. Bien entendu : pour les contrats de prêts immobiliers aux Consommateurs ; et pour ceux d’entre-eux postérieurs au 1er octobre 2016. Claire, l’application de cette obligation légale de mise en garde par le Juge n’a pour l’heure pas soulevé de difficulté, même théorique, en l’absence de flux de litiges identifiés portant sur des prêts postérieurs au 1er octobre 2016.

En effet, d’une part, la nouvelle définition de l’obligation de mise en garde en crédit immobilier aux Consommateurs, résultant de l’article L. 313-12 du Code de la consommation provient de la législation européenne. Le droit de l’Union européenne est supérieur aux normes des pays Membres (Cour de cassation, Arrêt « Jacques Vabre », du 24 mai 1975), sauf aux normes constitutionnelles (ensemble, art. 54 et 55 de la Constitution du 4 octobre 1958). D’autre part, la définition légale de l’obligation de mise en garde en crédit immobilier protège indifféremment tous les Consommateurs. Et pas seulement les emprunteurs « avertis. »

En troisième part, la preuve de l’obligation légale de mise en garde est plus aisée. En effet, l’emprunteur n’a pas à démontrer qu’en cas de mise en garde effective, il n’aurait pas souscrit le prêt. Cette condition n’est pas prévue par la Loi. Il lui suffit de démontrer l’absence de délivrance de l’obligation de mise en garde du prêteur pour solliciter la sanction prévue par le Code de la consommation. Il aura sans doute à prouver l’existence du « risque spécifique » décrit par la Loi ; lequel ne devrait pas lui poser d’insurmontables difficultés. Réciproquement, le Professionnel bancaire qui délivre correctement cette obligation légale de mise en garde et qui en conserve la preuve se place en situation de bonne sécurité juridique. L’ensemble résulte de l’application à cette obligation du principe général de preuve (art. 1353 al.2 du Code civil) rappelé par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE, Aff. C-449/13 du 18 décembre 2014), repris en 2021 par la Cour de cassation (Cour de cassation, Civ. 1ère du 8 avril 2021, n°19-20890).

En quatrième part, la sanction de l’obligation légale de mise en garde est bien meilleure que celle inventée par la Jurisprudence, quand bien même le Consommateur parvient à en déclencher les conditions. En tout état cause, le caractère éventuellement performatif d’une sanction ne saurait justifier, en soi, la suprématie d’une norme juridique.

1.2. La mise en garde légale en crédit immobilier est délivrée à la fois par le prêteur et par l’Intermédiaire bancaire.

Outre ces éléments en faveur du remplacement de l’obligation jurisprudentielle de mise en garde par l’obligation légale de mise en garde en crédit immobilier aux Consommateurs, quel pourrait bien être l’intérêt d’un Consommateur de disposer d’une option entre les deux obligations de mise en garde en crédit immobilier ? L’avantage d’un cumul possible entre l’une, pataude, et généralement défavorable au Consommateur, comme le montre à la fois sa conception et son historique ; et l’autre, plus claire, y compris pour le Professionnel bancaire, plus efficace, plus équilibrée et correctement sanctionnée ?

L’examen comparé des deux obligations de mise en garde en crédit immobilier aux Consommateurs pousse à la disparition progressive de celle, Jurisprudentielle, de 2005 ; et appelle à la mise en œuvre, pour les prêts immobiliers postérieurs au 1er octobre 2016, à l’obligation légale figurant au Code de la consommation. Les Professionnels, y compris les prêteurs, ont besoin de sécurité juridique.

En présence d’un prêteur et d’un Intermédiaire bancaire, rappelons que les deux obligations de mise en garde se cumulent : « le fait que l’emprunteur soit assisté d’une tierce personne [Note : un IOBSP] n’exonère pas la banque de son obligation de mise en garde » (Cour d’appel de Paris, Pôle 5 - chambre 6 du 22 mai 2019, n° 16/05906 ; voir : Cour de cassation, Civ. 1ère du 30 avril 2009, 07-18334). Ce principe demeure. Simple rappel de la fonction supérieure, du point de vue de la création du risque, d’octroi de crédit, totalement confiée au seul prêteur. Ce dernier décide (ou non) de l’octroi du prêt ; l’Intermédiaire distribue, seulement.

Le Courtier-IOBSP délivre pour sa part, en supplément, son obligation de conseil en crédit, adaptée au crédit immobilier. Celle-ci ne pose aucune difficulté, ni conceptuelle, ni pratique. Leurs fonctions étant différentes, l’enchaînement de la mise en garde et du conseil en crédit se fait aisément. Il n’y a pas de difficulté à délivrer les deux obligations. Ni à en conserver la preuve.

Si la mise en garde et le conseil en crédit immobilier sont ainsi clarifiés, il reste à savoir comment ces obligations précontractuelles se positionnent, en regard des « normes » d’octroi de crédit immobilier provenant du Haut Conseil de Stabilité Financière, obligatoires depuis le 1er janvier 2022.

2. Poursuivant les mêmes buts, les « normes » d’octroi de crédit immobilier aux Consommateurs, imposées par le Haut Conseil de Stabilité Financière, sont supérieures aux obligations précontractuelles de mise en garde et de conseil en crédit immobilier aux Consommateurs.

Se pose également la question, inusuelle et délicate, de la hiérarchie des normes entre les obligations précontractuelles légales et réglementaires et celles du Haut Conseil de Stabilité Financière. Les « normes » d’octroi de crédit immobilier aux Consommateurs imposées par le HCSF sont-elles supérieures aux normes légales en vigueur dans le même champ ? Notamment, à l’obligation légale de mise en garde en crédit immobilier aux Consommateurs ? À l’obligation de conseil du Courtier-IOBSP en crédit immobilier ? Comment les Professionnels bancaires et notamment les IOBSP doivent-ils, pratiquement, adapter leurs schémas de conformité juridique au désordre introduit brutalement par les « normes » d’octroi de crédit du Haut Conseil de Stabilité Financière dans les principes de protection des emprunteurs Particuliers en crédit immobilier ?

2.1. Les « normes » d’octroi de crédit du Haut Conseil de Stabilité Financière s’imposent.

Le Droit en vigueur (art. L. 313-12, et s. R. 313-13 et s. du Code de la consommation) était donc suffisamment précis et clair pour autoriser l’octroi de crédit immobilier aux Consommateurs dans de bonnes conditions, juridiques et financières. Pourtant, une couche juridique nouvelle s’est imposée, arrivant par un conduit normatif inusuel. Reste donc à déterminer comment les nouvelles normes du Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) « juridiquement contraignantes » depuis le 1er janvier 2022, se situent en regard des obligations précontractuelles des Professionnels bancaires, prêteurs ou IOBSP, toujours pour le seul crédit immobilier aux Consommateurs.

Les normes « juridiquement contraignantes » du Haut Conseil de Stabilité Financière portent un évident et incontournable postulat. Ce dernier n’est pas de nature juridique, mais fonctionnelle : les obligations précontractuelles en crédit immobilier aux Particuliers, légales ou jurisprudentielles, seraient inefficientes. En effet, si les obligations précontractuelles en crédit immobilier aux Consommateurs des Professionnels bancaires étaient performantes, sous la surveillance attentive des Tribunaux civils, il n’y aurait pas eu matière à asséner : « […] le CERS [Note : Comité Européen du Risque Systémique] a identifié dans onze pays, parmi lesquels la France, certaines vulnérabilités à moyen terme comme étant des sources de risque systémique pour la stabilité financière et auxquelles il n’a pas été suffisamment remédié » (Courrier d’alerte du Comité Européen du Risque Systémique, du 29 juin 2019, CERS/2019/12). Ce constat, très discutable, posé sans aucun débat, a directement conduit à l’alerte adressée à la France, en 2019 : « Le CERS a identifié des vulnérabilités à moyen terme dans le secteur immobilier résidentiel en France qui constituent une source de risque systémique pour la stabilité financière et pourraient avoir de graves conséquences pour l’économie réelle. Du point de vue macroprudentiel, le CERS considère que les principales vulnérabilités sont l’endettement élevé et croissant des ménages associé à une récente détérioration des critères d’octroi des prêts » (même courrier d’alerte du 29 juin 2019).

Dont acte : les obligations précontractuelles en crédit immobilier, soigneusement élaborées depuis vingt années, se solderaient par « une récente détérioration des critères d’octroi de prêt » que personne n’observe. Que ceci plaise, ou non, la Décision du HCSF du 29 septembre 2021 a pour corollaire inévitable de souligner l’inefficacité des obligations précontractuelles en crédit immobilier aux Consommateurs, dans leur fonction centrale de protection de ces emprunteurs. Si les obligations précontractuelles en vigueur étaient efficaces, les mesures de protection des emprunteurs contre « l’endettement élevé et croissant » n’auraient pas été nécessaires.

Le HCSF français est l’antenne domestique du Comité Européen du Risque Systémique (CERS). Ce dernier est un produit institutionnel de la crise de 2008 (originellement : Règlement (UE) n°1092/2010 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010). En sont membres, pour la France : la Banque de France, l’ACPR (qui est un département de la Banque de France), l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) et le HCSF (matériellement adossé à la Banque de France et à la Direction générale du Trésor, Chapitre, art. 8 de son Règlement intérieur ; le HCSF est présidé par le Ministre de l’économie). Succursale nationale en France du Comité Européen du Risque Systémique (CERS), le Haut Conseil de Stabilité Financière « exerce la surveillance du système financier dans son ensemble, dans le but d’en préserver la stabilité et la capacité à assurer une contribution soutenable à la croissance économique. A ce titre, il définit la politique macroprudentielle […] » (article L. 631-2-1 du Code monétaire et financier). Le HCSF est doté du pouvoir de régir l’octroi de crédit.

Le HCSF « […] peut fixer, sur proposition du gouverneur de la Banque de France, des conditions d’octroi de crédit par les personnes soumises au contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, en vue de prévenir l’apparition de mouvements de hausses excessives sur le prix des actifs de toute nature ou d’un endettement excessif des agents économiques » (article L. 631-2-1, 5° du Code monétaire et financier, créé par la Loi 2013-672 du 26 juillet 2013, art. 30).

Les pouvoirs d’encadrement du crédit immobilier aux Consommateurs dont dispose le HCSF découlent de la Loi française : la Loi 2013-672 du 26 juillet 2013. Cette Loi bancale, prise dans l’atmosphère traumatique post-crise de 2008, prévoyait explicitement « de limiter […] le risque systémique […] bancaire […] en encadrant l’octroi du crédit par les banques » (extrait du compte rendu du Conseil des ministres du 19 décembre 2012). Chronologiquement, les pouvoirs du HCSF sont donc antérieurs à l’Ordonnance 2016-351 du 25 mars 2016 transposant la Directive n° 2014/17/UE du 4 février 2014 sur le crédit immobilier, laquelle a introduit l’obligation légale de mise en garde en crédit immobilier. L’obligation de conseil du Courtier en crédit remonte au 15 janvier 2013. La Décision D-HCSF-2021-7 sur l’octroi de crédit immobilier aux Particuliers date du 29 septembre 2021. Elle n’a pas cependant pas la nature d’une Loi ; éventuellement, elle est un acte réglementaire. Le contrôle de la constitutionnalité des « normes » édictées par le HCSF au titre de ses pouvoirs légaux mériterait précision.

Le HCSF est une Instance qui qualifie elle-même ses décisions de « discrétionnaires. » De fait, la décision d’encadrement du crédit immobilier des Ménages s’est prise sans aucun débat public, ce qui est hautement anormal en regard des enjeux et des conséquences de ce rationnement pour l’ensemble de l’économie. Il est vrai que les Parlementaires ne montrent guère d’intérêt pour la protection des emprunteurs et des Consommateurs bancaires, y compris en crédit immobilier. Le HCSF affiche donc sa méthode, impériale et inédite : celle du « pouvoir discrétionnaire orienté », concept inédit et étonnant. Son site internet proclame de la sorte : « Le HCSF fonde ses décisions sur le principe du « pouvoir discrétionnaire orienté », c’est-à-dire qu’il s’appuie sur un jeu d’indicateurs, des analyses et des études approfondies de la situation financière française, mais que les décisions relèveront in fine du jugement discrétionnaire du HCSF. » En France, l’octroi de crédit immobilier aux Consommateurs s’inscrit donc, depuis le 1er janvier 2022, dans une politique restrictive, décidée de manière discrétionnaire. Ceci, en concurrence directe avec des normes issues de la législation européenne.

Si la « norme » d’octroi de crédit immobilier aux Consommateurs émanant du HCSF s’impose durablement, alors il conviendra d’en réfléchir les paramètres brutaux : 35% est trop bas ; et trop strict. Le reste-à-vivre doit faire partie des critères d’octroi. Il conviendrait également de revoir les principes de fixation des taux d’usure, la méthode actuelle se montrant inadaptée au cycle de taux bas et de remontée des taux. Le taux d’usure actuel contribue également à l’éviction d’emprunteurs solvables de l’accès au crédit immobilier.

Car, malheureusement, ni le Comité Européen du Risque Systémique, ni même la Banque de France, ne jugent utile de diffuser des statistiques approfondies d’endettement des Ménages. Ce qui est regrettable, puisque celles, générales, diffusées par la Banque Centrale Européenne montrent que le taux moyen d’endettement des Ménages en zone euro ressort à 96,12% du PIB, à fin 2020. Il se situe à 102,18% en France ; à 87,16% pour l’Allemagne ; et à 214,60% pour les Ménages du Danemark (Eurostat, taux d’endettement brut des Ménages, du 4 février 2022). En France, le niveau des crédits immobiliers douteux aux Particuliers est dérisoire, et en baisse, à 1,06% en 2020, tout comme leur coût (Banque de France, « Le financement de l’habitat en 2020 », graphique n°46, 20 juillet 2021). Le surendettement est jugé en baisse depuis 2014. La belle croissance du crédit immobilier aux Ménages français est donc parfaitement équilibrée et n’appelle aucune restriction d’ampleur, fut-elle d’ordre « macroprudentiel. » Fruit d’une « alerte » de 2019, la pensée discrétionnaire du HCSF plaque immuablement ses effets, sans tenir aucun compte du surgissement de la crise début 2020.

Rappelons que pour sa part, l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) : « […] veille à la préservation de la stabilité du système financier et à la protection des clients, assurés, adhérents et bénéficiaires des personnes soumises à son contrôle » (art. L. 612-1, I du Code monétaire et financier). L’ACPR exerce ses missions en partie en tant que Membre du Mécanisme de Supervision Unique (MSU), confié à la Banque Centrale Européenne, laquelle contrôle directement 115 banques européenne, soit 82% des actifs bancaires. Entre « surveillance », « préservation » et « renforcement », la stabilité financière nationale est entre de soigneuses mains. Il faudrait pouvoir en dire autant de la protection des Consommateurs bancaires, et notamment des emprunteurs. Ainsi que de la clarté juridique foncièrement nécessaire aux Professionnels bancaires, notamment aux Intermédiaires bancaires, autant à raison de leur sécurité juridique qu’à celle des Consommateurs auxquels ils délivrent leurs obligations de vendeurs de crédit immobilier.

Le HCSF tire ses pouvoirs de la législation européenne conjuguée à une Loi domestique de 2013. Il veille donc à présent de manière à la fois « contraignante » et « discrétionnaire » sur « l’endettement excessif » des agents économiques. Pour l’instant, seuls les Particuliers emprunteurs font l’objet de sa production normative. Rien n’empêche le HCSF de pratiquer de même pour « tout agent économique. » Définitivement, le principe légal d’octroi du crédit immobilier accordé à l’emprunteur « que si le prêteur a pu vérifier que les obligations découlant du contrat de crédit seront vraisemblablement respectées conformément à ce qui est prévu par ce contrat » (art. L. 313-16 du Code de la consommation) a disparu le 1er janvier 2022 devant les « normes » du HCSF.

2.2. Les Distributeurs bancaires, notamment les Intermédiaires en crédit immobilier (IOBSP) ont tout intérêt à adapter leurs schémas juridiques aux « normes » dominantes du HCSF en matière d’octroi de crédit immobilier aux Particuliers.

Les Intermédiaire en Opérations de Banque et en Services de Paiement (IOBSP), en particulier les Courtiers-IOBSP en crédit immobilier, forment une profession réglementée depuis une dizaine d’années (15 janvier 2013). À ce titre, les Intermédiaires bancaires se sont mis en situation de conformité juridique, en s’appliquant à délivrer soigneusement leurs obligations précontractuelles : celles qui préservent les emprunteurs Particuliers du risque d’endettement excessif.

Depuis le 1er janvier 2022, la nouvelle conception du risque d’endettement excessif est apparue. L’ajustement de la conformité juridique de l’Intermédiaire en crédit s’impose donc. L’approche discrétionnaire injectée de force par le Haut Conseil de Stabilité Financière dans le droit du crédit immobilier aux Consommateurs depuis le 1er janvier 2022, quantifie juridiquement et pour la première fois dans l’Histoire de l’octroi du crédit, le caractère excessif d’un crédit immobilier aux Particuliers. Au-delà de l’un de ces critères chiffrés : l’endettement est excessif ; en deçà des deux critères réunis : l’endettement est supportable. Et dans une dérogation de 20% du volume des prêts, les prêts octroyés sont excessifs, mais néanmoins loisibles (…). Excessifs, mais tolérés ? Excessifs, mais trop ? Hors cette imprécision majeure, du point de vue du Droit bancaire, la re-définition du crédit immobilier excessif constitue un bouleversement immense. En conséquence, la théorie macroprudentielle bancaire va certainement faire son entrée dans les Tribunaux civils. En effet, mécaniquement, les emprunteurs Particuliers en difficulté seront tentés de faire référence à ces critères du HCSF pour démontrer le caractère excessif d’un crédit immobilier.

Pour les Professionnels bancaires, prêteurs et IOBSP, la question se pose en termes pratiques : quelle sera, pour les prêts immobiliers souscrits après le 1er janvier 2022, l’analyse juridique des Tribunaux civils lorsqu’un emprunteur sollicitera l’indemnisation de son préjudice pour endettement excessif ? En particulier, dans le cas où les critères d’octroi du HCSF auront été dépassés ? Surtout, s’ils sont dépassés au-delà de l’enveloppe dérogatoire de 20% de la production annuelle ? Clairement : l’endettement d’un particulier en crédit immobilier au-delà du ratio de 35% et/ou au-delà d’une durée initiale de 25 années, sera-t-il automatiquement synonyme d’endettement excessif ? La réponse positive à cette question s’impose, compte tenu de la nature de ces normes, de leurs présupposés d’élaboration et de leur caractère contraignant. Pour les demandes judiciaires concernant des crédits immobiliers excessifs, les prêteurs devront expliquer et sans doute justifier pour quelles raisons ils ont franchi ces « normes » du HCSF en utilisant la marge de dérogations. Et justifier qu’ils n’ont pas dépassé cette marge dite « de flexibilité » de 20%.

En pratique, l’emprunteur Particulier en difficulté pour rembourser un crédit immobilier pourra donc aisément invoquer devant un Tribunal le dépassement des « normes » d’octroi du HCSF (35% « d’endettement », 25 années de durée de crédit) pour convaincre juridiquement de sa situation d’endettement excessif. En effet, tels sont les plafonds qui déterminent à présent et de manière absolue et générique, la situation d’endettement excessif d’un Consommateur emprunteur immobilier. Pour peu que l’enveloppe dérogatoire soit, de plus, malencontreusement dépassée, le prêteur sera à coup sûr en mauvaise posture. Inversement, l’emprunteur Particulier en peine de remboursement d’un crédit immobilier aura bien du mal à matérialiser l’endettement excessif, dès lors que son prêt se trouve en deçà des ratios du HCSF.

Au vu de la Jurisprudence mentionnée (première partie de l’article), déjà peu favorable à l’emprunteur en situation de taux d’endettement (ou taux d’effort à l’octroi) élevés, il n’y a pas de doute que le strict respect des critères du HCSF empêchera l’emprunteur de démontrer le caractère excessif du crédit immobilier. En pareil cas, la complète délivrance des obligations précontractuelles des Professionnels en crédit rendra bien hasardeuse toute contestation de l’emprunteur. Un Tribunal civil pourra difficilement faire reproche à un Professionnel bancaire d’avoir produit un endettement excessif, dès lors que les critères, juridiques, de ce caractère excessif normés par le HCSF n’auront pas été franchis ; à plus forte raison, si les autres obligations précontractuelles ont été correctement délivrées.

Il faut espérer que le regrettable et incontestable durcissement de l’accès au crédit immobilier conservera un peu de croissance au marché du crédit immobilier ; l’économie de sortie de crise en a tant besoin. L’expertise des Intermédiaires bancaires sera davantage sollicitée et précieuse. La gestion détaillée du taux d’effort à l’octroi, ou « d’endettement » devient active : prêts lissés ou emboîtés ; prêts progressifs ; calculs affinés des charges et des revenus. Dans ce contexte, la contribution des IOBSP sera encore plus utile aux prêteurs. Plus que jamais, les banques tireront davantage parti d’approches de coopération avec les Courtiers en crédit. Ceux-ci continueront à gérer minutieusement les situations de refus de crédit, dont une part proviendra à présent de l’application des « normes » du HCSF à des emprunteurs solvables. Mais les IOBSP doivent également adapter la délivrance de leurs obligations précontractuelles aux « normes » du HCSF, notamment en cas d’obtention de crédit immobilier hors des critères du HCSF, traduire : au-delà du seuil discrétionnairement fixé comme celui de l’endettement excessif.

Les professionnels, notamment les Intermédiaires bancaires, dont l’activité est fortement construite par la protection des emprunteurs, doivent intégrer cette nouvelle donne dans leurs référentiels de conformité juridique. Plusieurs solutions s’offrent à eux. L’une d’entre elles est assez simple. Les Professionnels bancaires ont tout intérêt à ajouter les situations de prêts dépassant les seuils du HCSF à la liste des « risques spécifiques » justifiant la délivrance de la mise en garde légale en crédit immobilier. Les Consommateurs solvables obtenant ainsi un prêt immobilier au-delà du taux d’octroi de 35% et/ou de la durée de 25 années recevront ainsi une mise en garde légale fondée sur ce risque spécifique.

Le Courtier-IOBSP en crédit, seul pour l’heure débiteur d’une obligation de conseil (art. R. 519-28 et R. 519-29 du Code monétaire et financier) aura tout intérêt à exposer clairement, dans sa fiche de recommandation en crédit immobilier, la situation de l’emprunteur et la proposition de crédit formulée, en regard des normes du HCSF. Voire : des modalités d’application de ces normes par tel ou tel prêteur. L’exposé explicite de la situation de l’emprunteur en regard des « normes » du HCSF, lors de la délivrance de l’obligation légale de mise en garde, et de celle de conseil en crédit immobilier, est apte à assurer la sécurité juridique du Courtier-IOBSP, autant que la protection de l’emprunteur.

Les normes du HCSF relancent, sans doute malgré elles, la question de la généralisation de l’obligation de conseil en crédit immobilier, ici, aux emprunteurs Particuliers. Il demeure toujours aussi inadapté, en 2022, que les prêteurs soient dispensés de l’obligation de conseil en crédit. En dix années, les Courtiers-IOBSP en crédit ont montré tout à la fois l’intérêt et le caractère maniable du conseil en crédit. Le principal argument avancé par les banques contre la généralisation de l’obligation de conseil en crédit aux prêteurs tenait jusqu’à présent au fait qu’une telle obligation de conseil les contraindrait à devoir refuser certains crédits : à s’abstenir d’octroyer des crédits dont les conditions de remboursement sont affectées de risques spécifiques. Encore aujourd’hui, les banques françaises revendiquent le « droit » discutable d’octroyer un crédit, y compris excessif.

Or les « normes » d’octroi de crédit immobilier du HCSF déstabilisent cette position. Sous leur effet, depuis le 1er janvier 2022, pour les crédits immobiliers aux Consommateurs, les banques se trouvent effectivement en situation de devoir refuser des crédits, y compris à des emprunteurs parfaitement solvables techniquement. Lorsque les « normes » d’octroi de crédit immobilier du HCSF (35%/25 années) ne sont pas réunies pour une demande de prêt, les banques doivent s’abstenir d’octroyer le crédit (modulo la marge de manœuvre, elle-même fortement cadrée, de 20% de la production de la prêt). Au-delà de cette flexibilité, dont le degré de consommation ne sera certainement pas une donnée publique, tout octroi est absolument exclu. Une fois consommée la marge de dérogations, les refus sont en principe systématiques pour toutes les demandes excédant l’un des deux critères quantifiés. Sous l’effet de ces mesures du HCSF, les banques françaises entrent dans une logique juridique nouvelle. Elles viennent de franchir un pas décisif vers l’obligation de conseil en crédit immobiliers des Consommateurs. Un pas supplémentaire : s’abstenir d’octroyer un crédit excessif. Il reste bien peu d’étapes pour généraliser l’obligation de conseil en crédit, au moins aux Consommateurs en crédit immobilier. Et pour améliorer la protection des emprunteurs, simplifier le droit applicable à ce sujet et placer les Distributeurs bancaires sur un pied d’égalité.

Alors que le crédit fait partie des réponses solides au traitement de toute crise, tandis que les statistiques d’endettement des Ménages français ne sont pas publiées avec le détail nécessaire pour confirmer leur éventuel excès d’endettement collectif, la politique d’encadrement du crédit immobilier aux Ménages du Haut Conseil de Stabilité Financière s’installe depuis le 1er janvier 2022. De manière discrétionnaire. Elle survient simultanément à la remontée des taux, également défavorable aux emprunteurs par temps d’inflation faible. Ce rationnement ne fait l’objet d’aucune discussion construite. Il afflige l’économie française à contretemps.

De surcroît, ces « normes » du HCSF percutent frontalement les obligations déjà existantes touchant à l’octroi de ce crédit immobilier, notamment les obligations précontractuelles. Sans préparation, sans accompagnement et sans communication de ligne directrice, l’ensemble embarque la protection de l’emprunteur et les obligations précontractuelles des Professionnels en crédit immobilier, dont les Intermédiaires bancaires, Courtiers en crédit, vers des rivages juridiquement inexplorés. Les Tribunaux civils connaîtront dans quelques années des litiges sur des prêts immobiliers aux Consommateurs souscrits après le 1er janvier 2022. Cette situation de grande confusion impose simplement aux IOBSP d’adapter leurs méthodes et leur cadre de conformité juridique en conséquence.

Laurent Denis Juriste - Droit et Conformité des Intermédiaires banque, assurance, finance www.endroit-avocat.fr

[1Décision D-HCSF-2021-7 du 29 septembre 2021