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Handicap subi pendant l’accouchement : victime et avocat face au lien causal. Par Dimitri Philopoulos, Avocat.
Parution : mercredi 23 février 2022
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La famille d’un enfant victime d’un handicap subi pendant la naissance doit prouver un lien de causalité entre le préjudice et la faute médicale. Un arrêt d’une cour administrative d’appel revient sur cette difficulté.

En cas de faute (par exemple par négligence) d’une sage-femme et/ou d’un gynécologue obstétricien, l’avocat de victime atteinte d’une encephalopathie anoxo-ischémique évoluant vers une infirmité motrice cérébrale (IMC), parfois appelée paralysie cérébrale, est confronté à la preuve d’un lien de causalité entre la première et la seconde.

Cependant une atteinte anoxo-ischémique peut être à l’origine d’autres conséquences plus rares.

Un arrêt rendu le 14 février 2022 par la Cour administrative d’appel de Versailles en est un exemple [1].

L’arrêt applique aussi la déduction devant le juge administratif de l’allocation d’éducation aux enfants handicapés (AEEH) de l’indemnisation revenant à la victime d’une perte de chance.

I. Exposé des faits.

Deux jours après le terme, après la rupture de la poche des eaux, la mère de la victime a été admise à 0h30 dans la maternité d’un centre hospitalier pour l’accouchement de son premier enfant.

L’enfant est né à 22h34 en arrêt respiratoire. Il a été placé dans le service de néonatologie où le diagnostic d’une hémorragie thalamique gauche a été fait. L’enfant a été transféré neuf jours plus tard dans un autre hôpital pour le traitement d’une hydrocéphalie.

L’enfant reste atteint d’un handicap psychomoteur dont une épilepsie difficile à maîtriser par un traitement médicamenteux adapté.

Estimant leur enfant victime d’une négligence de la sage-femme et du gynécologue obstétricien pendant l’accouchement et la naissance, les parents de la jeune victime ont saisi la commission de conciliation et d’indemnisation (CCI).

Selon l’avis de la CCI, le centre hospitalier avait commis une faute en ne procédant pas à un accouchement par césarienne et a fixé une perte de chance d’éviter les séquelles.

Cependant, l’assureur du centre hospitalier intercommunal a refusé de suivre cet avis [2].

Les parents de la victime mineure ont ainsi saisi le tribunal administratif d’une requête en référé expertise.

Dans leur rapport, les experts désignés ont estimé que les conditions de l’accouchement et le suivi néonatal étaient fautifs.

Après une décision implicite de rejet opposée à leur réclamation préalable adressée au centre hospitalier, les parents ont saisi le tribunal administratif d’une demande en indemnisation des préjudices subis par la victime mineure ainsi que de leurs préjudices personnels et ceux de sa sœur, résultant des négligences fautives commises lors de l’accouchement par le gynécologue obstétricien et la sage-femme de la maternité du centre hospitalier.

Le tribunal administratif a jugé que les conditions de la naissance et le suivi néonatal étaient fautifs et que ces fautes étaient à l’origine d’une perte de chance de se soustraire au risque de survenance du dommage à l’origine des préjudices, et qu’il y avait lieu de condamner le centre hospitalier.

Le lien de causalité étant l’objet de contestations fréquentes, le centre hospitalier a relevé appel de ce jugement.

II. Solution de la cour administrative d’appel.

Dans l’arrêt commenté, la cour administrative d’appel a confirmé l’appréciation du premier juge sur l’existence d’une faute à l’origine de la perte de chance pour l’enfant d’éviter les séquelles.

En effet, le second juge a décidé que :

« Il résulte de l’instruction, et notamment du rapport des experts, que, si l’origine de l’hématome ne peut être déterminée précisément, les conditions de l’accouchement, à savoir la naissance avec une circulaire serrée empêchant un retour veineux et l’anoxie ayant entraîné un ralentissement circulatoire, ont pu contribuer à sa rupture et à l’hémorragie thalamique. Il résulte en outre de l’instruction que cette hémorragie est la cause de l’hydrocéphalie dont l’enfant a été soigné et de l’épilepsie dont il est atteint. Ainsi, quand bien même il n’est pas certain que cet hématome n’ait pas préexisté à l’accouchement et qu’il ne l’est pas davantage que sa rupture ne serait pas advenue en cas de réalisation d’une césarienne, il n’est pas davantage établi avec certitude que cette rupture et les lésions en procédant étaient déjà acquises dans leur totalité au moment où l’extraction par césarienne aurait dû être réalisée. En effet, en cas de souffrance fœtale aiguë, tout retard dans l’extraction du fœtus est susceptible de contribuer à l’apparition ou à l’aggravation de séquelles cérébrales. Il suit de là, quand bien même il ne résulte pas de l’instruction, au regard notamment de son caractère unilatéral, que l’hématome rompu aurait eu pour cause exclusive une souffrance fœtale aiguë résultant d’une anoxie per partum ainsi que le relève le centre hospitalier, que le retard fautif a privé l’enfant d’une chance d’éviter les conséquences préjudiciables d’une rupture de son hématome thalamique gauche ».

III. Discussion.

Cette espèce est importante car elle permet à l’avocat en droit de la santé et à son médecin conseil d’apprécier le rôle de l’anoxo-ischémie per-partum non pas dans une encéphalopathie anoxo-ischémique mais dans des séquelles hémorragiques en l’occurrence une hémorragie unilatérale du thalamus.

En effet, les lésions hémorragiques unilatérales du thalamus peuvent se produire chez l’enfant né à terme après une asphyxie périnatale [3].

Spécifiquement, l’accident vasculaire cérébral hémorragique périnatal de localisation pariétale augmente le risque d’infirmité motrice cérébrale (paralysie cérébrale) par un facteur de 6 et le risque de séquelles cognitives de 23 alors qu’une localisation du thalamus et/ou des noyaux gris centraux augmente le risque d’épilepsie par un facteur de 7 [4].

Ainsi, les expertises et la cour administrative d’appel relèvent logiquement qu’en raison des fautes commises lors de la surveillance de l’accouchement par la sage-femme et le gynécologue-obstétricien de la maternité du centre hospitalier, la victime a subi une asphyxie qui lui a fait perdre des chances d’éviter ladite hémorragie à l’origine des séquelles.

Habituellement, l’anoxie cérébrale est à l’origine d’une encéphalopathie anoxo-ischémique qui peut évoluer ultérieurement vers une infirmité motrice d’origine cérébrale (IMOC) parfois appelée paralysie cérébrale. L’hypothermie thérapeutique précoce peut traiter l’encéphalopathie anoxo-ischémique et réduire ou éviter l’infirmité motrice cérébrale.

Cependant l’hypothermie thérapeutique n’était pas disponible à l’époque des faits et en tout cas elle est contre-indiquée en cas d’hémorragie cérébrale.

En l’espèce, pour le second juge, cette asphyxie fœtale existait car l’expert gynécologue obstétricien a constaté que le rythme cardiaque fœtal a révélé des micro-oscillations du rythme cardiaque fœtal et des ralentissements contemporains des contractions, avec deux ralentissements importants, ce dernier ayant justifié d’accélérer l’accouchement par l’usage d’une ventouse ou d’un forceps. L’expert gynécologue obstétricien constate également que le liquide amniotique était méconial alors qu’il était clair antérieurement. Enfin, la mère de la victime a été admise à l’hôpital deux jours après le terme et que le poids estimé de l’enfant était important.

Par ces motifs, le second juge a décidé que le tribunal n’a pas commis d’erreur en estimant que le gynécologue obstétricien de la maternité aurait dû procéder à une césarienne après le ralentissement profond et prolongé, ou, à tout le moins, procéder à des relevés pour déterminer si une acidose métabolique n’était pas de nature à montrer une souffrance fœtale aiguë si bien que le déroulement de l’accouchement révélait une faute de nature à engager sa responsabilité.

Aussi, le second juge a-t-il confirmé la décision du tribunal de ce que l’anoxie cérébrale est à l’origine d’une perte de chance d’éviter l’hémorragie thalamique.

Plus d’informations sur l’encéphalopathie anoxo-ischémique et l’infirmité motrice d’origine cérébrale sont disponibles en ligne [5].

IV. Exemple pratique de la déduction de l’AEEH.

L’arrêt de la cour administrative d’appel présente aussi un intérêt car elle comporte un exemple clair et pratique de la méthode de la déduction de l’Allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH).

Lors de l’indemnisation d’un préjudice subi par un enfant comme pendant l’accouchement et la naissance, le juge judiciaire n’opère pas de déduction de l’AEEH car cette allocation et son complément ne revêtent pas de caractère indemnitaire et ne devraient pas être déduits de l’indemnisation due par le tiers responsable ou l’ONIAM au titre de l’assistance par une tierce personne [6].

De manière regrettable, il n’en va pas de même pour le juge administratif puisqu’en vertu des principes qui régissent l’indemnisation par une personne publique des victimes d’un dommage dont elle doit répondre, il y a lieu de déduire de l’indemnisation allouée à la victime d’un dommage corporel au titre des frais d’assistance par une tierce personne le montant des prestations dont elle bénéficie par ailleurs et qui ont pour objet la prise en charge de tels frais. Il en est ainsi alors même que les dispositions en vigueur n’ouvrent pas à l’organisme qui sert ces prestations un recours subrogatoire contre l’auteur du dommage.

La déduction n’a toutefois pas lieu d’être lorsqu’une disposition particulière permet à l’organisme qui a versé la prestation d’en réclamer le remboursement au bénéficiaire s’il revient à meilleure fortune [7].

L’AEEH figure parmi les prestations pouvant être déduites de l’indemnisation de l’enfant victime d’un préjudice subi pendant l’accouchement et la naissance le plus souvent une encéphalopathie anoxo-ischémique évoluant vers une infirmité motrice d’origine cérébrale.

Cependant, lorsque l’auteur de la faute n’est tenu de réparer qu’une fraction du dommage corporel (notamment une perte de chance comme en l’espèce), cette déduction n’a lieu d’être que lorsque le montant cumulé de l’indemnisation incombant normalement au responsable et de l’allocation et de son complément excéderait le montant total des frais d’assistance par une tierce personne. L’indemnisation doit alors être diminuée du montant de cet excédent [8].

Dans l’arrêt rapporté, le second juge procède ainsi et calcule le montant total dû pour l’indemnisation de la tierce personne avant la consolidation de cet enfant handicapé.

Le second juge applique ensuite la perte de chance pour arriver au montant de l’indemnisation à laquelle la victime peut prétendre. A ce montant, il ajoute celui perçu au titre de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé. Il constate que ce montant cumulé est inférieur au montant total dû et décide logiquement qu’il n’y a pas lieu à déduire l’AEEH dans ce cas.

Dans une affaire d’un enfant victime d’une faute commise par un gynécologue obstétricien ou une sage-femme à l’origine d’une perte de chance d’éviter une infirmité motrice cérébrale, l’avocat en droit de la santé devrait systématiquement refaire ce calcul afin de vérifier si la chance perdue fait obstacle à la déduction de l’AEEH.

Dimitri PHILOPOULOS Avocat à la Cour de Paris Docteur en médecine https://dimitriphilopoulos.com

[1CAA de Versailles, 6ème ch., 14 février 2022, n° 18VE02596.

[2Suivant les dispositions de l’article L1142-15 du Code de la santé publique, en cas de silence ou de refus explicite de la part de l’assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n’est pas assuré ou la couverture d’assurance est épuisée ou expirée, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) est substitué à l’assureur. Il s’agit d’une possibilité ouverte dans le cadre de la procédure de règlement amiable. Cependant, dans cette affaire, les parents n’ont pas saisi l’ONIAM d’une telle demande.

[3Volpe JJ, Neurology of the Newborn, 6e édition, Elsevier, 2018.

[4Vojcek, E, Gráf, R, László, AM, Gyebnar, G, Seri, I. Long-term neurodevelopmental outcome of neonates born at term with perinatal haemorrhagic stroke : A population-based study. Dev Med Child Neurol. 2022 ; 00 : 1-8. https://doi.org/10.1111/dmcn.15149.

[5Pour les victimes d’erreur médicale et les avocats en droit de la santé https://dimitriphilopoulos.com

[6Civ. 1e, 2 juin 2021, 20-10.995, Publié au bulletin.

[7Conseil d’État, 5ème et 6ème CR, 26 juillet 2018, n° 408806, arrêt mentionné dans les tables du recueil Lebon.

[8Conseil d’État, 5ème et 6ème CR, 26 juillet 2018, n° 408806, arrêt mentionné dans les tables du recueil Lebon.