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L’activité professionnelle indépendante : une réforme de fond avec la loi du 14 février 2022 ? Par Patrick Lingibé, Avocat.
Parution : jeudi 3 mars 2022
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Cet article fait un commentaire rapide de la loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante est entrée en vigueur le 14 février 2022.

La loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante est entrée en vigueur le 14 février 2022 [1]. Aussi appelée “Plan indépendants”, cette loi met en place 20 nouvelles mesures de soutien pour les travailleurs indépendants. Statut unique, protection du patrimoine personnel, allocations des travailleurs indépendants ...

En effet, préalablement au projet de loi, il convient de rappeler que le Président de la République Emmanuel Macron avait présenté le 16 septembre 2021 un « Plan Indépendants : Pour un environnement juste, simple et protecteur », composé de 20 mesures déclinées selon cinq axes :

Axe 1 : créer un statut unique protecteur pour l’entrepreneur individuel et faciliter le passage d’une entreprise individuelle en société ;

Axe 2 : améliorer et simplifier la protection sociale des indépendants ;

Axe 3 : faciliter la reconversion et la formation des indépendants ;

Axe 4 : favoriser la transmission des entreprises et des savoir-faire ;

Axe 5 : simplifier l’environnement juridique des indépendants et leur accès à l’information [2].

La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante comporte quatre chapitres déclinés en 21 articles n’est que la traduction de ce plan. Ce projet de loi a été enregistré au Sénat le 29 septembre 2021 présenté en procédure accélérée par le Premier ministre, Jean Castex et deux autres ministres : d’une part, le ministre de l’Économie, des finances et de la relance, Bruno Le Maire, et d’autre part, le ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises. Ce projet comportait initialement 13 articles et au final, suite aux débats parlementaires, il en comportera 21, soit 8 articles de plus.

L’objectif de ce texte pour le Gouvernement vise à « offrir aux entrepreneurs un cadre plus simple et protecteur au moment de la création d’entreprise et pour les accompagner tout au long de l’exercice de leur activité. » [3].

Le constat relevé est préoccupant :

« La France compte environ 2,8 millions de travailleurs indépendants auxquels s’ajoutent 444 000 personnes du secteur agricole exerçant une activité non salariée à titre principal ou en complément d’activité. Si une définition juridique du travailleur indépendant n’existe pas, cette notion recouvre notamment les entrepreneurs agriculteurs, artisans, commerçants, professionnels libéraux, travailleurs collaborant avec des plateformes et dirigeants de société qui sont affiliés à la sécurité sociale des travailleurs indépendants. Le travail indépendant connaît ces dernières années un nouveau dynamisme porté notamment par le développement de nouvelles formes d’organisations et de modalités du travail, et par le changement des aspirations individuelles en particulier des jeunes générations. Ces facteurs ont contribué à amener à l’entrepreneuriat des personnes qui n’en avaient pas le projet initial. En 2020, malgré la crise sanitaire, dans l’ensemble de l’économie marchande hors secteur agricole, le nombre total de créations d’entreprises a augmenté de 4 % par rapport à 2019. Cette hausse est essentiellement portée par les immatriculations d’entrepreneurs individuels optant pour le régime du micro-entrepreneur (+ 9 %).

Environ 2,4 millions d’unités légales de moins de dix salariés sont dirigées par des indépendants, dont plus de 900 000 ont opté pour le régime du micro-entrepreneur. Elles emploient 1,3 million de salariés et représentent 8,4 % du chiffre d’affaires et 12,9 % de la valeur ajoutée de l’ensemble des secteurs marchands. Le secteur de la santé est celui qui compte le plus d’entreprises (447 000) et aussi celui qui dégage le plus de valeur ajoutée (19 % des entreprises considérées). Le commerce est le secteur employant le plus de salariés avec 342 000 salariés en équivalent temps plein.

En 2017, le revenu mensuel moyen des travailleurs indépendants était de 2 580 € nets, mais avec une forte disparité entre travailleurs indépendants « classiques » (3 580 € par mois en moyenne) et micro-entrepreneurs (470 € par mois).

Malgré les progrès des dernières années, plusieurs défis restent à relever pour encourager le travail indépendant : fluidification des parcours, meilleure protection du travailleur indépendant, cadre plus propice au rebond, accès plus simple à la formation, simplification de la transmission – reprise d’entreprise. De surcroît, la crise actuelle a davantage exposé les travailleurs indépendants aux risques économiques inhérents à leurs activités (pertes de revenus non compensées, charges fixes à assumer malgré une activité à l’arrêt ou fortement réduite) » [4].

Le projet a été adopté en première lecture le 26 octobre 2021 par le Sénat avec des amendements. Adopté avec de nouveaux articles le 10 janvier 2022 par l’Assemblée nationale, il aboutira à l’adoption d’un texte commun avec le Sénat issu de commission mixte paritaire le 25 janvier 2022. Les sénateurs et les députés adopteront définitivement ce projet en termes identiques le 8 février 2022.

Tour d’horizon d’un texte qui impactera les indépendants sur plusieurs aspects.

Un statut unique plus protecteur du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel ?

L’article 1 crée un statut unique pour les entrepreneurs individuels, protecteur de leur patrimoine personnel.

« Les biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes constituent le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel. Ce patrimoine ne peut être scindé. Les éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel constituent son patrimoine personnel ».

Avant cette loi, il convient de rappeler que l’entrepreneur était responsable des dettes de son entreprise sur son patrimoine personnel. Seule sa résidence principale était protégée. Désormais le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel est, par défaut, insaisissable pour ses créanciers professionnels.

Toute personne exerçant une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes, qu’elle(s) soi(en)t commerciale, artisanale, libérale ou agricole bénéficiera automatiquement de cette séparation des patrimoines personnel(s) et professionnel(s). Il n’y a aucune démarche administrative à effectuer. Il n’est pas non plus nécessaire d’informer les créanciers.

Le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel comprend ses biens immobiliers, mobiliers et ses actifs financiers. Son patrimoine professionnel est, quant à lui, composé des biens associés à l’activité de l’entreprise. Le Conseil d’Etat va venir préciser, par décret, la composition de chaque patrimoine.

L’entrepreneur peut toutefois renoncer au bénéfice de cette séparation pour un créancier professionnel spécifique ; par exemple, pour obtenir un engagement particulier, comme un crédit bancaire.

Il existe toutefois quelques exceptions à la séparation des patrimoine notamment pour l’administration fiscale qui peut saisir l’ensemble des biens de l’entrepreneur individuel pour le recouvrement de l’impôt sur le revenu, les prélèvements sociaux et la taxe foncière.

Quid des anciennes EIRL ?

Le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, institué par la loi du 15 juin 2010, va progressivement disparaître. Ses principaux avantages sont repris dans le nouveau statut. Le statut d’EIRL n’avait d’ailleurs pas rencontré un grand succès bien qu’il s’agisse du statut le plus simple pour créer son entreprise puisque l’entrepreneur doit uniquement déclarer son entreprise individuelle à la chambre des métiers ou au répertoire des métiers (pas besoin de créer de statuts ni de disposer d’un capital social).

Pour les entreprises créées avant la réforme, seules les nouvelles créances se verront appliquer la dissociation des patrimoines afin de ne pas léser les garanties des anciens créanciers.

Cette réforme va concerner toutes les créations d’entreprises trois mois après la promulgation de la loi. Le gouvernement doit remettre un rapport, d’ici mars 2024, sur l’application du nouveau statut de l’entrepreneur individuel et de son impact sur l’accès au crédit.

La transmission de l’entreprise individuelle facilitée ?

L’article 1er de la loi traite et simplifie le transfert du patrimoine professionnel des entrepreneurs par vente ou donation ou apport en société par l’utilisation d’un mécanisme déjà connu en matière de fusion-acquisition.

L’entrepreneur peut transmettre l’intégralité ou une partie seulement de son patrimoine professionnel en une seule opération sans procéder d’abord à sa liquidation.

Il prévoit également la transmission des droits et obligations découlant du bail commercial au bénéficiaire du transfert de patrimoine professionnel.

Une allocation pour les travailleurs indépendants ?

Afin de faciliter la reconversion des travailleurs indépendants, l’article 11 de la loi élargit les conditions d’accès de l’allocation des travailleurs indépendants (ATI). Les indépendants qui arrêtent définitivement leur activité devenue non viable peuvent désormais bénéficier de cette allocation.

Créée en 2018, seuls les anciens entrepreneurs indépendants en redressement ou en liquidation judiciaire pouvaient en bénéficier. Fixé à 800€ par mois maximum, le montant plancher de l’allocation sera de 600€ mensuel.

Le Gouvernement estime qu’environ 30 000 indépendants pourraient bénéficier de cette allocation chaque année, contre un millier seulement aujourd’hui.

De nombreuses autres mesures ?

On peut citer parmi les autres mesures deux.

L’article 10 de la loi sécurise et protège la situation des gérants majoritaires de sociétés à responsabilité limitée. Il prévoit que leurs dettes professionnelles soient prises en compte avec les autres dettes pour apprécier la situation de surendettement ouvrant droit à une procédure de traitement du surendettement des particuliers.

La loi prévoit également une meilleure protection du conjoint collaborateur. Aujourd’hui, ce statut n’est ouvert qu’aux personnes mariées ou liées par un pacte civil de solidarité aux chefs d’entreprise. Or ce statut confère plusieurs avantages notamment en termes de protection sociale, droits à la retraite ou encore de formation professionnelle.

Il est à noter que des dispositions applicables aux professions libérales réglementées et de réforme du code de l’artisanat interviendront par voie d’ordonnance.

En effet, l’article 7 de la loi prévoit que dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est habilité à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, toutes dispositions relevant du domaine de la loi permettant de :

1° Clarifier, simplifier et mettre en cohérence les règles relatives aux professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, d’une part, en précisant les règles communes qui leur sont applicables et, d’autre part, en adaptant les différents régimes juridiques leur permettant d’exercer sous forme de société ;

2° Faciliter le développement et le financement des structures d’exercice des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, à l’exclusion de toute ouverture supplémentaire à des tiers extérieurs à ces professions du capital et des droits de vote.

Le projet de loi de ratification devra être déposé devant le Parlement dans un délai de six mois à compter de la publication de l’ordonnance.

Dans la même optique, l’article 8 de la loi dispose que dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est habilité à modifier par voie d’ordonnance les dispositions législatives du code de l’artisanat afin d’en clarifier la rédaction et le plan.

Cette nouvelle codification sera effectuée à droit constant, sous réserve des modifications nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes, garantir la cohérence rédactionnelle des textes, harmoniser l’état du droit et abroger les dispositions obsolètes ou devenues sans objet.

Cette nouvelle codification pourra en outre :

1° Intégrer dans le code de l’artisanat les dispositions relevant du domaine de la loi relatives à l’artisanat qui n’ont pas été codifiées, qui sont codifiées dans un autre code ou qui résultent de la présente loi ;

2° Actualiser les dispositions applicables aux départements de la Moselle, du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de Mayotte en procédant aux adaptations nécessaires.

L’ordonnance précitée doit intervenir dans un délai de quatorze mois à compter de la promulgation de la présente loi.

Le projet de loi de ratification devra être déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de cette ordonnance.

Patrick Lingibé Membre du Conseil National des barreaux Ancien vice-président de la Conférence des bâtonniers de France Avocat associé Cabinet Jurisguyane Spécialiste en droit public Diplômé en droit routier Médiateur Professionnel Membre de l’Association des Juristes en Droit des Outre-Mer (AJDOM) www.jurisguyane.com

[3Exposé des motifs du projet de loi, page 4

[4Exposé des motifs, page 4