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Conditions relatives aux procédures d’extradition : panorama France - Israël. Par Johanna Kupfer, Avocate.
Parution : jeudi 3 mars 2022
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Ces dernières années, plusieurs affaires médiatiques ont permis de mettre en lumière les procédures d’extradition entre la France et Israël. Néanmoins, Israël serait présenté comme un territoire d’impunité, alors que la réalité est beaucoup plus complexe.

L’extradition est la procédure par laquelle un Etat “requis”, accepte de livrer une personne qui se trouve sur son territoire à Etat “requérant”, qui la recherche afin de la juger pour la commission d’un crime ou d’un délit ou afin de mettre à exécution une peine ou une mesure de sûreté déjà prononcée pour la commission d’un crime ou d’un délit.

En droit français, l’extradition est régie par les articles 696 et suivants du Code de Procédure Pénale. En droit israélien, par la Loi sur l’extradition de 1954.

Cependant, France et Israël sont parties à la Convention Européenne d’Extradition du 13 décembre 1957 dont le but est d’uniformiser les règles relatives à l’extradition entre pays membres du Conseil de l’Europe, mais aussi avec les pays souhaitant en faire partie. A ce titre, Israël l’a ratifiée le 27 septembre 1967.

Ainsi, si chaque pays définit ses conditions propres, comment s’articulent les règles relatives aux procédures d’extradition au niveau binational, et ce dans un contexte de plus en plus propice à l’entraide judiciaire internationale ?

I. Le droit international : la Convention Européenne d’Extradition.

La Convention Européenne d’Extradition du 13 décembre 1957 prévoit dans son article premier une obligation d’extrader selon un principe de réciprocité :

«  les Parties contractantes s’engagent à se livrer réciproquement, selon les règles et sous les conditions déterminées par les articles suivants, les individus qui sont poursuivis pour une infraction ou recherchés aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté par les autorités judiciaires de la Partie requérante ».

A. Les infractions extradables.

1. L’exigence d’une peine ou d’une mesure de sûreté privative de liberté d’au moins un an est prévue à l’article 2 de la Convention, lequel précise que « lorsqu’une condamnation à une peine est intervenue ou qu’une mesure de sûreté a été infligée sur le territoire de la Partie requérante, la sanction prononcée devra être d’une durée d’au moins quatre mois ».

2. La faculté pour un pays d’extrader ses ressortissants est régie par l’article 6, qui stipule que chaque partie pourra « refuser l’extradition de ses ressortissants » [1] sachant que la qualité de ressortissant est déterminée au moment où la décision d’extradition est prise, et ce afin de prévenir toute fraude. Cela signifie qu’un individu qui acquiert une nouvelle nationalité après la commission d’une infraction ne pourra pas être considéré comme « ressortissant » afin d’échapper à une éventuelle procédure d’extradition.

B. Le refus d’extrader.

1. Certaines infractions ne peuvent pas donner lieu à extradition, comme les infractions politiques [2] (ou celles motivées pour des raisons de « race, de religion, de nationalité ou d’opinions politiques »), les infractions militaires [3], et les infractions fiscales [4] (à moins que les parties l’aient expressément prévu).

2. La partie requise peut refuser d’extrader un individu dans les cas suivants :
- L’infraction a été commise en tout ou partie sur son territoire [5] ;
- L’individu fait l’objet de poursuites pour les mêmes faits sur son territoire [6] ;
- L’individu a été définitivement jugé pour les mêmes faits par la Partie requise, ou ses autorités ont décidé de ne pas engager de poursuites ou d’y mettre fin [7] ;
- Les faits sont prescrits [8] ;
- Les faits sont punis de la peine capitale [9].

II. Les droits nationaux.

A. En droit français.

1. Le principe intangible de prohibition d’extradition des nationaux est posé par l’article 696-2 du Code de procédure pénale. En aucun cas, la France n’extradera un ressortissant français, et ce peu importe si l’individu lui-même renoncerait à s’en prévaloir [10]. Ce principe trouve une limite cependant dans le cadre du mandat d’arrêt européen, mais qui ne s’applique pas à Israël.

2. Les infractions pouvant donner lieu à une extradition sont régies par le principe de double incrimination. L’article 696-3 du Code de procédure pénale dispose que l’extradition est applicable aux faits punis, au jour de leur commission :
- par la loi de l’État requérant : d’une peine criminelle, ou d’emprisonnement d’une durée de minimum 2 ans (et s’il s’agit d’un condamné, à 2 mois d’emprisonnement) ;
- et par la loi française d’une peine criminelle ou correctionnelle.

3. Certaines infractions ne donnent pas lieu à extradition, comme les infractions politiques, militaires, prescrites, celles pour lesquelles l’individu a déjà été poursuivi ou a été jugé définitivement, celles commises sur le territoire français, lorsque la peine ou la mesure de sûreté requise est contraire à l’ordre public français, ou encore lorsque la procédure de l’État requérant n’assure pas les garanties fondamentales de procédure et la protection des droits de la défense [11].

B. En droit israélien.

1. La possibilité d’extrader des nationaux est mise en œuvre. Contrairement à la France, la loi israélienne sur l’extradition ne porte aucune restriction concernant l’extradition de ses ressortissants si deux conditions sont remplies [12] :
- Le but de la demande est de juger l’individu,
- L’État requérant s’engage à renvoyer l’individu en Israël afin d’y purger une peine qui serait privative de liberté (cependant, l’individu peut renoncer à cette prérogative).

2. Les infractions sont extradables si plusieurs conditions sont réunies [13] :
- Il existe un accord sur l’extradition entre les parties (ce qui est le cas avec la France, puisque les deux pays sont parties à la Convention Européenne d’Extradition),
- L’infraction doit être punie d’une peine d’emprisonnement d’au moins un an,
- Il existe un accord de réciprocité entre les deux pays.

3. On retrouve le même principe selon lequel certaines infractions ne peuvent pas donner lieu à extradition, comme les infractions politiques, militaires, lorsque la demande d’extradition a été déposée pour des raisons discriminatoires, lorsque l’individu a déjà été jugé en Israël ou a été condamné dans un autre pays et a purgé une partie de sa peine en Israël, en cas d’amnistie, ou encore lorsqu’accorder l’extradition pourrait porter atteinte à l’ordre public ou aux intérêts vitaux de l’État d’Israël [14].

En conclusion, la problématique la plus importante tient à cette fameuse condition de réciprocité posée et par la Convention Européenne, et par la loi israélienne, et qui n’est absolument pas respectée. En effet, Israël extradera un israélien, tandis qu’un français ne pourra, en aucune manière, être extradé par la France. Cet argument est évidemment plaidé avec ferveur devant le juge israélien, sans vraiment grand succès aujourd’hui. Loin d’être une terre d’impunité, l’État d’Israël fait plutôt exemple de sévérité, et ce d’autant plus que l’on assiste à un essor de la coopération judiciaire entre France et Israël.

En effet, d’une part, l’article 11 du deuxième protocole additionnel à la Convention Européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959, qui prévoit la faculté pour les autorités d’un pays de transmettre des informations recueillies dans le cadre d’une enquête, est mis en œuvre de plus en plus systématique.

D’autre part, de plus en plus de juges d’instructions français se déplacent en Israël, et l’on assiste, grâce au concours de la police israélienne, à des interpellations sur demandes formelles d’arrestation provisoire de personnes résidant en Israël, mais recherchées par les autorités françaises.

Johanna Kupfer Avocate aux Barreaux de Paris et d\'Israël https://linkedin.com/in/johannakupfer [->jrk.avocat@gmail.com] Site internet : https://jrk-avocats.com www.linkedin.com/in/johannakupfer

[1Article 6 de la Convention Européenne d’Extradition du 13 décembre 1957.

[2Article 3 de la Convention Européenne d’Extradition du 13 décembre 1957.

[3Article 4 de la Convention Européenne d’Extradition du 13 décembre 1957.

[4Article 5 de la Convention Européenne d’Extradition du 13 décembre 1957.

[5Article 7 de la Convention Européenne d’Extradition du 13 décembre 1957.

[6Article 8 de la Convention Européenne d’Extradition du 13 décembre 1957.

[7Article 9 de la Convention Européenne d’Extradition du 13 décembre 1957.

[8Article 10 de la Convention Européenne d’Extradition du 13 décembre 1957.

[9Article 11 de la Convention Européenne d’Extradition du 13 décembre 1957.

[10Cass, Crim, 17 juin 2003, n03-81.864.

[11Article 696-4 du Code de Procédure pénale.

[12Article 1א de la loi israélienne sur l’extradition, 1954

[13Article 2א de la loi israélienne sur l’extradition, 1954.

[14Article 2ב de la loi israélienne sur l’extradition, 1954.