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La cessation totale d’activité et les risques psychosociaux : quelles obligations ? Par Myriam Adjerad, Avocat et Alicia Vernissac, Elève-Avocat.
Parution : jeudi 3 mars 2022
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Le 29 novembre 2021, la Cour administrative d’appel de Versailles s’est interrogée sur la prise en compte des risques psychosociaux dans une cessation d’activité, et ses conséquences sur la licéité du plan de sauvegarde de l’emploi [1].

Ce n’est pas la première fois que la question des risques psychosociaux intervient dans le cadre de la mise en place d’un PSE.

Notamment, la Chambre sociale de la Cour de cassation [2] s’était déjà prononcée sur la compétence du juge judiciaire, s’agissant du respect par l’employeur de son obligation de sécurité dans la mise en œuvre d’un PSE.

Dans cet arrêt, il était question de la compétence du juge judiciaire sur l’appréciation de risques psychosociaux lors de la mise en œuvre d’un projet de restructuration, dans l’entreprise.

Il avait alors été précisé que le juge administratif était effectivement compétent s’agissant de l’élaboration et du contenu du PSE. Pour autant, la compétence de ce juge ne s’étend pas jusqu’à la mise en œuvre du PSE après son homologation, le juge judiciaire étant déclaré compétent, pour s’assurer du respect de l’obligation de sécurité par l’employeur.

Par la suite, le Tribunal des conflits a apporté de nouvelles précisions sur la répartition des compétences. Il a pu préciser que le juge administratif était compétent s’agissant du contrôle de l’éventuelle insuffisance des mesures d’évaluation et de prévention des risques prévues dans le PSE [3].

Ainsi, les mesures fixées dans le PSE relèvent de la compétence du juge administratif. Toutefois, le respect de l’obligation de sécurité par l’employeur lors de la mise en œuvre des mesures relève de la compétence du juge judiciaire.

Dans notre cas d’espèce, il avait été mis fin à la publication du journal Sport&Style, entrainant la suppression de tous les emplois de la société Presse Sports Investissement, filiale du groupe l’Equipe.

Le CSE de l’UES l’Equipe a saisi le juge administratif afin d’obtenir la nullité de l’homologation du PSE de la société PSI au motif que le projet de PSE n’aurait prévu aucune mesure de nature à protéger la santé des salariés à compter de la réorganisation, origine des licenciements, jusqu’au départ effectif des salariés.

Il apparait que l’employeur avait bien identifié certains risques. Cependant, il lui était reproché de n’avoir pris aucune mesure en conséquence.

De son côté, l’entreprise soutenait que des mesures avaient été prises pour répondre à cette situation : notamment la mise en place d’un « espace écoute » ou encore la sensibilisation du directeur du pôle magazine du groupe l’Equipe aux risques psychosociaux.

Ces arguments n’ont pas convaincu la Cour administrative d’appel de Versailles.

La Cour a d’abord rappelé qu’en vertu de l’article L4121-1 du Code du travail, une obligation de sécurité s’imposait à l’employeur.

Sur ce fondement, elle a ensuite été précisé que l’employeur était tenu

« de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs jusqu’à la date de fin de l’opération envisagée ».

Compte tenu de l’obligation de sécurité, la jurisprudence administrative a mis à la charge de l’employeur la responsabilité de prendre des mesures pour lutter contre les risques psychosociaux, alors même qu’une cessation totale d’activité était en cours.

Considérant que les mesures prises dans le cadre du PSE étaient insuffisantes, en violation de l’obligation de sécurité, la Cour a qualifié ce PSE d’insuffisant et a prononcé la nullité de la décision d’homologation rendue par l’administration. En vertu de l’article L1235-10 du Code du travail, en cas d’annulation de la décision d’homologation, la procédure de licenciement est nulle.

Ainsi, en application de l’article L1235-11 du Code du travail, en cas de contentieux prud’homal, l’employeur risquerait la condamnation à une indemnité qui ne pourra être inférieure à 6 mois de salaire, dans l’hypothèse d’un reclassement impossible.

Lourdes conséquences pour une entreprise en cessation totale d’activité

Quelles leçons tirer de cette jurisprudence ?

La cessation totale d’activité ne permet pas à l’employeur de s’exonérer de l’obligation de sécurité, elle perdure tout au long de l’exécution du contrat de travail.

Il convient donc, même dans une situation de fin d’activité, d’analyser les éventuels risques psychosociaux et de prendre des mesures concrètes, pour accompagner les salariés jusqu’à la rupture effective de leur contrat de travail.

Myriam Adjerad, Avocat et Alicia Vernissac, Elève-avocat Adjerad Avocats, Avocats au Barreau de Lyon [->contact@adjeradavocats.fr] https://fr.linkedin.com/in/myriam-adjerad-473903121

[1CAA Versailles, 29 novembre 2021, n°21VE02582 CSE de l’UES L’Equipe.

[2Cass. soc., 14 novembre 2019, n°18-13.887.

[3T. Conflit 8 juin 2020, n°C4189.