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Live streaming illégal : tour d’horizon juridique. Par Jérémie Oustric, Avocat.
Parution : lundi 9 mai 2022
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Le live streaming est un mode de diffusion en temps réel d’une vidéo, c’est-à-dire une diffusion de la vidéo simultanée à sa captation et ce sans possibilité de montage ou d’édition.
Bien souvent, le live streaming s’accompagne des commentaires du streamer (l’animateur) à des fins d’informations ou de divertissement.

Ce mode de diffusion s’est imposé comme un véritable phénomène de société, lequel prend de l’ampleur chaque année.

Par exemple, la plateforme Twitch, une des principales plateformes de streaming avec Youtube, ne compte pas moins de 2,5 millions de viewers en direct (téléspectateurs) à chaque instant de la journée.

En 2021, la plateforme a généré plus de 24 milliards d’heure de visionnage [1].

En France, le live streaming a également trouvé sa place dans le divertissement d’ampleur avec l’évènement caritatif incontournable « Z Event » dans la ville de Montpellier. Sur les 2deux derniers évènements, ce ne sont pas moins de 15 millions d’euros de dons qui ont été récoltés [2].

Si le live streaming est en soi une œuvre de l’esprit au sens de la loi, puisqu’il est propre à chaque animateur, il n’en demeure pas moins que la plus grande problématique pour celui-ci réside dans le respect des droits d’auteurs qu’il serait susceptible de violer lors de son live.

Cet article n’a pas vocation à envisager toutes les situations possibles, mais à faire un tour d’horizon juridique des questions les plus fréquentes de cet univers en pleine expansion.

1) Est-il possible de diffuser n’importe quelle image/musique/vidéo en live streaming ?

Le live streaming commande de se conformer aux règles de la plateforme d’accueil mais aussi aux droits des tiers, à savoir, respecter la législation du droit d’auteurs et des droits voisins.

Pour rappel, sont principalement protégés les interprétations d’artistes interprètes, les phonogrammes, les vidéogrammes, les publications de presse… et plus globalement toute œuvre de l’esprit, c’est-à-dire une création originale revêtant l’empreinte de la personnalité de l’auteur [3].

Autrement dit, il est interdit de diffuser, même en direct, l’œuvre d’une autre personne sans son autorisation.

Néanmoins, la loi autorise des dérogations, dont une nous intéresse particulièrement pour le live streaming : il s’agit de l’exception de citation.

Cette exception permet, sous certaines conditions, de prendre des passages de l’œuvre et de la diffuser sur son écran afin de la citer dans un cadre dialectique et de « nourrir » son œuvre personnelle. Il faut néanmoins que la source soit clairement indiquée.

Enfin l’œuvre citée doit être significativement plus courte que l’œuvre « citante » [4].

Autrement dit, concernant la diffusion en live d’une image protégée pour la critiquer, l’animateur doit faire attention à la dimension de l’image reproduite à l’écran avec la source citée de manière apparente. Pour la diffusion d’un extrait de vidéo, outre la citation de la source, l’animateur devra également se préoccuper de la durée de la citation (vidéo incorporée au live) par rapport à la durée de sa propre vidéo.

Concernant la reproduction d’œuvres graphiques, plastiques ou architecturales, l’analyse du neuvièmement de l’article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle laisse à penser que le live, s’il devait être sauvegardé et accessible sur la plateforme, devra être supprimé car cette reproduction doit s’inscrire dans un but exclusif d’information immédiate [5].

En tout état de cause, on ne peut pas prendre l’œuvre dans son entièreté et la commenter en direct.

En effet, toute retransmission d‘une œuvre dans son intégralité en streaming est conditionnée au respect du droit d’auteur [6].

C’est la raison pour laquelle plusieurs streamers ont dû acquérir les droits de diffusion du débat du second tour de la présidentielle 2022 afin de le diffuser sur leurs chaînes [7].

Concernant la diffusion d’œuvres musicales, les plateformes mettent à disposition des streamers des systèmes d’abonnements afin de respecter les droits d’auteurs.

Mais alors, qu’en est-il des streamers qui diffuse leur session de jeux en direct ?

La question est épineuse, puisqu’un jeu vidéo est en soi une œuvre de l’esprit. Or, l’acquisition d’un jeu vidéo ne confère qu’une licence d’usage privé pour le joueur.

Dès lors, l’éditeur de jeux pourrait-il se prévaloir d’une violation des droits d’auteurs à l’encontre du streamer ?

La question reste en suspens car les grands éditeurs de jeux vidéo (donc titulaires des droits d’exploitation) et également créateurs de consoles de jeux, comme Playstation de Sony ou Xbox de Microsoft, ont intégré la possibilité, en cliquant sur un seul bouton de leur manette, de diffuser en direct la session de jeux sur les plateformes de streaming…

Il y a donc une réalité économique derrière la « tolérance », voir l’incitation (!) des éditeurs à une diffusion massive de leurs jeux, à savoir une promotion de l’œuvre gratuite et indéfinie dans le temps [8].

Néanmoins, il n’est pas à exclure qu’à l’instar de la musique, les streamers devront payer des droits pour pouvoir diffuser leurs sessions de jeux vidéo, bien que ce ne soit pas pour l’heure la philosophie des géants du secteurs.

Affaire à suivre donc…

2) Quelles sont les sanctions judiciaires en cas diffusion en live d’une œuvre sans autorisation ou acquisition des droits ?

- Sur le plan civil, une action est ouverte pour le titulaire du droit d’auteur devant les juridictions civiles ou administratives afin d’obtenir réparation. Il peut également agir en saisie-contrefaçon afin d’obtenir la preuve de celle-ci.

Les officiers de police judiciaire et d’autres agents assermentés par des autorités administratives indépendantes (ex : le centre national du cinéma et de l’image animée) sont habilités à constater la matérialité des infractions [9].

Enfin, les victimes de violations des droits de diffusion d’évènements sportifs peuvent agir devant les tribunaux par une action en référé afin de faire cesser la retransmission illégale d’évènements.

- Sur le plan pénal, toute violation du droit d’auteur (c’est-à-dire tout acte d’utilisation, reproduction, représentation, diffusion, par quelconque moyen que ce soit, non autorisée de l’œuvre) est constitutive d’un délit de contrefaçon, lequel est puni de 3 ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende [10].

Des peines complémentaires peuvent également être prononcées : fermeture d’établissement, confiscation, publication par voie d’affichage de la décision judiciaire
Néanmoins, la simple tentative n’est pas punissable.

3) Qui sont les acteurs majeurs du contrôle du respect des droits d’auteurs ?

Outre la justice et les autorités indépendantes (Arcom ex-Hadopi pour la France) les acteurs majeurs en matière de contrôle du respect des droits d’auteurs restent en premier lieu chaque animateur et en second lieu les plateformes d’accueil.

L’animateur doit veiller au respect des conditions générales de la plateforme d’accueil et au respect des droits des tiers (droit d’auteur et droits voisins) [11].

Mais, il doit être conscient qu’il existe un enchevêtrement de règles contractuelles (conditions d’utilisation, règlements…) et légales (Loi pour la confiance économique et numérique) qui peuvent parfois être étrangères [12].

Ces lois donnent un cadre juridique pour les titulaires de droits dans le but de signaler toute atteinte au droit d’auteur sur une quelconque plateforme. Or, elles édictent également des obligations pour les plateformes qui doivent agir rapidement afin de retirer le contenu, objet du litige.

Selon les plateformes, les sanctions prononcées, souvent soumises à des procédures de recours interne (appel), peuvent être graduées. Par exemple, si le live est accessible en rediffusion, la plateforme peut décider de couper la partie de l’image ou du son utilisé en violation d’un droit d’auteur. Ensuite, des avertissements peuvent être prononcés jusqu’à la fermeture définitive de la chaîne de l’animateur.

4) Pourquoi les plateformes ont-elles mis en place des mesures de luttes parfois très sévères ?

Le débat était de savoir si la plateforme mettant à disposition les moyens de diffusion pouvait être responsable de la violation d’un droit d’auteur. Autrement dit, de savoir si les plateformes en ligne faisaient une communication au public des contenus protégés par le droit d’auteur.

Très récemment, la plateforme Youtube a été jugée pour savoir si elle devait être considérée comme diffuseur, et donc également « co-auteur » de la violation du droit d’auteur.

Si la plus haute instance européenne a répondu par la négative en l’absence d’intention délibérée de mettre à disposition une plateforme facilitant la violation du droit d’auteur, elle a rappelé que les plateformes devaient mettre en œuvre des moyens concrets afin d’endiguer les atteintes dont ils auraient eu connaissance pour pouvoir bénéficier de cette exonération de responsabilité [13].

Dont acte, il faudra donc s’attendre à des restrictions de plus en plus sévères.

Très récemment, le Youtubeur français Piwan, disposant de plus de 600 000 abonnés, se plaignait en vidéo d’une sanction prononcée contre sa chaîne pour l’usage d’un dessin représentant le drapeau canadien intégré à la miniature de la vidéo (c’est-à-dire l’image que voit l’internaute avant de cliquer sur la vidéo pour la regarder) et cela sans autorisation de l’auteur [14].

Aujourd’hui, l’Arcom (ex-Hadopi) a mis en place une « liste noire » des plateformes de partage aux contenus audiovisuels et numériques illégaux.

Elle peut solliciter des fournisseurs d’accès internet (FAI) le blocage, voir le déréférencement sur les moteurs de recherches, des sites miroirs, c’est-à-dire de ceux qui reprennent le contenu de sites condamnés [15] [16].

Jérémie Oustric, Avocat au Barreau de Montpellier

[3L111-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

[4L122-5 Code de la propriété intellectuelle.

[5L122-5 9e Code de la propriété intellectuelle.

[6CJUE 7 mars 2013, ITV Broadcasting Ldt et a. C. TVCatchup Ltd, aff. C-607/11.

[9Art. L332-1 à L332-4 du Code de la propriété intellectuelle.

[10Art. L335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle

[12DMCA, Digital Millennium Copyright Acte, 1998.

[13CJUE 22 juin 2021, aff. Jtes C- 682/18 et C-683/18.