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L’impact de la transformation numérique du droit dans le cyberespace OHADA en 2022. Par Raymond Yao.
Parution : samedi 5 mars 2022
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La révolution numérique a permis l’apparition de nouvelles formes de disciplines juridiques dont se sont emparées les nouveaux acteurs du marché du droit francophone africain. Cela a relativement impacté les acteurs traditionnels. Ceux-ci y voient une concurrence de marché.

La révolution numérique saisie par le droit ?

Selon de Doyen Y. Poullet, « l’informatique, et plus largement les technologies de l’information et de la communication, invitent bien plus à la recherche du droit qu’à une révolution » [1]. La recherche de l’innovation juridique technique et technologique ne consiste pas à une course à la performance mais plutôt consiste en une recherche d’efficience de la pratique du droit. Aussi, l’obligation est ainsi faite au juriste de se confronter à la nouveauté des concepts et autres tendances du marché du droit et de d’adapter ses offres de services.

L’émergence de nouvelles disciplines juridiques numérique saisies par les praticiens.

​La transformation numérique de la société n’a pas échappé au droit. La démocratisation d’internet a conduit, d’une part les législateurs, à travers l’élaboration de textes et d’autre part, les juges, à travers​ ​l’émission de jurisprudences, à l’émergence des principes généraux du droit du numérique et la régulation de l’environnement relatif aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Il existe désormais un droit de l’internet qui régit les rapports entre les plateformes, les institutions et les internautes. Tous les pays du cyberespace OHADA ont adopté des textes de lois régissant le droit des données personnelles, l’économie numérique, la cybersécurité ainsi que le droit des transactions électroniques.

Cependant, les États Membres restent prudents sur la régulation des réseaux sociaux et l’encadrement des technologies liées à la Blockchain. Quant à la question de la régulation de l’Intelligence Artificielle, rien n’est encore décidé. Il faut dire que cette dernière n’a pas suffisamment pénétré l’Afrique pour que les parties prenantes en saisissent les enjeux.

Nous constatons que les NTIC ont conduit les législateurs nationaux à édicter des normes destinées à réguler les nouveaux marchés socio-économiques qui lui sont afférents. Il faut constater que le droit du numérique africain n’a pas encore fait l’objet d’une législation harmonisée.

Ce système juridique se construit plus avec l’intervention des législateurs nationaux que communautaires.

Ainsi, l’incidence de la révolution numérique sur la pratique juridique va-t-elle, affecter la forme des prestations juridiques.

La disruption des services juridiques au bénéfice des justiciables.

La création des acteurs du marché numérique que sont le cyberconsommateur [2] et les plateformes, le domaine des prestations juridiques a subi un impact considérable avec l’irruption d’opérateurs économiques qui se sont positionnés sur le marché du droit en ligne.

Grâce aux modèles des plateformes collaboratives, les legaltechs se sont installées sur le marché des prestations juridiques avec des services innovants entrant en concurrence avec les acteurs traditionnels du droit.

Les legaltechs sont venues complètement disrupter la fourniture de services juridiques tout d’abord au niveau des tarifs. Cela a été possible grâce à des modèles reconfigurés pour faire dépenser moins tout en offrant des services de relativement bonne qualité. Elles ont réussi le pari de la standardisation des contrats grâce au machine learning. Certains cabinets se sont adaptés à cette pratique en externalisant certaines tâches fastidieuses telles que la recherche documentaire. A terme, les tâches répétitives et à faible valeur ajoutée pour les professionnels du seront dévolues à l’externalisation vers les legaltech.

Ainsi se dessine une nouvelle économie de production de certaines prestations juridiques.

Avec l’application de l’intelligence matricielle dans le domaine de la fourniture de prestations juridiques, avec l’utilisation combinée du big data, des systèmes experts, de l’analyse syntaxique des données et du langage naturel, il est apparu un nouveau type de service dénommé « justice quantitative ». bien que cette technologie n’aie pas encore été déployée dans l’espace communautaire, il n’en demeure pas moins que celle-ci fut une véritable révolution dans la pratique judiciaire en fournissant, d’une part aux justiciables une information pragmatique sur la probabilité de succès d’une action en justice, et d’autre part en fournissant aux professionnels un nouveau service à exploiter.

Quant à la blockchain, récemment développée dans le domaine du droit, elle permet le stockage et la transmission, sans intermédiaire, d’informations transparentes, sécurisées et infalsifiables. Par rapport à la technique contractuelle conventionnelle, la technique de la Blockchain se voit enrichie de plusieurs avantages : plus aucun frais de transactions, les contrats ont la faculté de s’exécuter de façon automatisée, de façon sécurisée, de façon publique et fiable, sans même qu’il soit possible de les contester ou de les altérer. La blockchain permet ainsi d’accorder sa confiance contractuelle à son co-contractant tout en étant indépendants de tout système juridique, sans intermédiaires ni contentieux.

L’émergence de ces nouveaux services pourra provoquer des crispations chez les professionnels du droit qui y verront de la concurrence sur leur marché.

Les acteurs traditionnels concurrencés par les nouveaux entrants.

Les acteurs traditionnels du marché du droit se voient concurrencés par les nouveaux entrants de la Legaltech. Partant de ce constat ils estiment que leur part de marché se trouve injustement réduite et que l’évolution des modes de travail et de consommation du droit est difficile pour eux.

Des professionnels concurrencés par la legaltech.

L’avantage avec les services de la legaltech sont leur rapidité d’exécution de la prestation fournie. Plus besoin de patienter longtemps pour avoir son contrat rédigé. En plus, les tarifs sont généralement plus attractifs que ceux proposés par les cabinets ou les études. Ainsi, avec l’arrivée de ce nouvel acteur sur le marché du droit, les acteurs traditionnels se voient pour la première fois de l’histoire entrer en concurrence, Quelle est la proportion de cette concurrence ?

Le premier domaine de concurrence est celui de la rédaction d’actes juridiques. Les programmeurs ont réussi l’exploit de construire un dispositif reproduisant fidèlement le comportement d’un rédacteur d’actes, capable de poser des questions au justiciable et de produire cet acte en répondant fidèlement au cahier des charges du client. Selon M. Philippe Ginestié, le fondateur de Gino legaltech, « la véritable disruption consiste en ce que les nouvelles technologies ont permis de développer des systèmes où les juristes peuvent modéliser eux-mêmes leurs contrats »

Il y a aussi un autre domaine de concurrence entre professionnels du droit et legaltechs : celui de la saisine des Tribunaux avec les assignations et les requêtes.

Des legaltech proposent ce genre de prestations en ligne mais sans délivrer de conseils juridiques en amont.

Il y a aussi le domaine de la médiation et de l’arbitrage. Certaines legaltech s’aventurent dans ce milieu, sans savoir que cela peut causer plus de mal que de bien au client, surtout si le professionnel n’a pas été formé. Faire de la médiation en ligne ne correspond pas au concept originel de la prestation elle-même qui consiste à établir une relation entre humains.

Les legaltech font ainsi une féroce concurrence aux professionnels traditionnels. Ceux-ci ont vraiment du mal à supporter ces mutations.

La legaltech, une mutation douloureuse pour les professionnels du droit.

Ces mutations professionnelles ont de quoi déstabiliser la filière juridique car pour une fois elles ne trouvent pas leurs sources dans une évolution législative mais plutôt dans une évolution du marché. Cette mutation est douloureuse pour les professionnels pour deux raisons :

1. Des raisons financières.

Les services proposés par la legaltech génèrent un transfert d’activités de services juridiques des professionnels du droit vers les nouveaux entrants, ce qui induit indubitablement un transfert de flux financiers. Grâce à la rationalisation et l’automatisation de certains services (rédaction d’actes, enregistrements, et recherche documentaires) il est apparu un véritable dumping social [3] de la part des legaltechs qui ont réussi ont à industrialiser des processus de production afin de réduire les prix de ces services, offrant une concurrence acerbe aux tarifs parfois exorbitants des professionnels traditionnels du droit.

Les legaltechs ont intégré une nouvelle approche de facturation bien plus attirante : le « Packaging » ou l’application de forfaits en toute transparence. Ce type d’offre a permis de fixer le coût forfaitaire d’une prestation juridique. Cela a permis aux legaltechs de répondre surtout à une demande pour les consommateurs qui n’auraient jamais sollicité des services juridiques traditionnels de peur de se faire facturer des sommes trop onéreuses. Finalement, elles ont ainsi pu créer de véritables nouveaux marchés en rendant certaines procédures abordables à tous, au détriment des professionnels traditionnels du droit.

2. Les raisons philosophiques.

D’autre part pour une raison philosophique : la mutation du marché révèle que la qualité de professionnel, son titre d’exercice, n’est plus une condition essentielle pour le justiciable.

Pour ce dernier, seul le résultat importe. Partant de ce constat, la qualité du juriste doit lui sembler un élément fondamental dans le choix du prestataire. Mais la mesure de qualité de ce prestataire ne résultera pas de la valeur du diplôme de ce prestataire mais plutôt des avis des consommateurs précédents, beaucoup plus accessibles sur internet.

Mais au-delà de la qualité du professionnel traditionnel, les legaltechs grâce à leur design ont permis d’apporter aux justiciables un certain sentiment de considération qui n’était pas le fort des professionnels. Ces derniers sont très souvent inaccessibles tandis que les plateformes sont accessibles 24h/24 et permettent aux justiciables de trouver rapidement des réponses à leurs préoccupations. Les professionnels accordent moins de temps aux justiciables tandis que les legaltechs placent le justiciable au cœur de leur stratégie : tout est conçu pour lui, dans le but de lui faciliter l’information et la rendre pleinement accessible grâce à l’UX.

Force est de constater que la majorité des professionnels traditionnels sont hermétiques aux évolutions induites par la legaltech qui est indubitablement plus proches des justiciables. Cette situation de fait ne fait que renforcer l’existence de l’opposition de la legaltech aux professionnels traditionnels.

Au contraire le succès de ces solutions digitales devrait générer l’envie d’un changement positif visant à améliorer l’expérience avec le marché du droit.

Raymond Yao Chief Digital Officer chez JusTIC Legaltech [->yraymondconstant@gmail.com] https://www.linkedin.com/in/raymond-yao-7a541914a

[1Poullet Y., Le droit de l’informatique existe-t-il ? éd. Du jeune Barreau de Bruxelles, 1993.

[2Du point de vue du marketing, le cyberconsommateur peut se définir comme un acheteur de biens ou de services par la voie de l’internet dont l’interaction avec les marques et les autres consommateurs est accrue et s’effectue aussi en amont et en aval de l’acte d’achat.

[3Pratique visant à abaisser les coûts de production en abaissant le coût de la main-d’œuvre.