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Agents publics et administrés : comment reconnaitre une décision confirmative ? Par Maxime Thiebaut, Avocat.
Parution : mercredi 9 mars 2022
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Par une décision du 24 février 2022, le Conseil d’Etat est venu redéfinir la théorie des décisions confirmatives concernant les ordonnances non ratifiées de codification. Cette actualité jurisprudentielle est l’occasion de rappeler les éléments d’identification des décisions confirmatives ; ces décisions insusceptibles de recours parfois rencontrées par les administrés ou les agents.

Une décision qui n’a pas été attaquée en temps utile devient définitive. Tout recours contre celle-ci est alors irrecevable. Il en est de même pour la décision ultérieure qui ne serait que sa confirmation pure et simple : cette décision est dite confirmative.

Toutefois, lorsque la décision initiale n’est pas définitive, le recours est recevable tant à l’encontre de la première décision que de la seconde [1].

Outre certaines décisions par exception nouvelles (B), l’enjeu pour le juriste réside dans l’appréciation du caractère confirmatif ou nouveau de la décision ultérieure (A).

A. L’appréciation du caractère nouveau ou confirmatif d’une décision.

Le professeur René Chapus explique qu’une « décision est confirmative si elle rejoint la décision initiale et, en quelque sorte, se superpose à elle, tant par son objet, que par le contexte dans lequel elle a été prise » [2].

Le juge administratif opère un triptyque pour caractériser une décision confirmative.

En premier lieu, il apprécie si les deux décisions ont le même objet [3]. Le professeur Chapus précise qu’il « n’est pas malaisé de reconnaître ce qu’il est. D’où l’inutilité des exemples » [4].

En deuxième lieu, le juge administratif apprécie si les causes juridiques sont différentes. Dans une affaire jugée en 2005, un patient avait subi un accident lors d’une intervention médicale. Il avait alors demandé, dans un premier temps, une indemnité sur le terrain de la responsabilité pour risque de l’hôpital, puis, au vu d’un rapport d’expertise, il présenta une nouvelle demande d’indemnisation en invoquant cette fois la faute de l’hôpital. Le Conseil d’État a considéré que le rejet implicite opposé par le centre hospitalier à la seconde demande du requérant « ne pouvait être regardé comme une décision confirmative de la décision de rejet de la première demande d’indemnisation, dès lors que lesdites demandes étaient fondées sur des causes juridiques différentes » [5].

A contrario, pour exemple, le Conseil d’État considère que repose sur la même cause juridique, d’une part, la décision définitive de la CAF de récupération d’indus de diverses prestations sociales et, d’autre part, la décision implicite de rejet d’un recours gracieux effectué deux ans plus tard à la suite d’une relaxe pénale des faits de fausses déclarations, dans le but d’obtenir des prestations sociales indues, pour absence d’intention frauduleuse [6].

Au sujet du recours gracieux ou hiérarchique, le Conseil d’Etat se prémunie de tout évitement procédural pour échapper à la forclusion. Il a en effet jugé en 2019 que

« l’exercice, au-delà du délai de recours contentieux contre un acte administratif, d’un recours gracieux tendant au retrait de cet acte ne saurait avoir pour effet de rouvrir le délai de recours. Par suite, le rejet d’une telle demande n’est, en principe, et hors le cas où l’administration a refusé de faire usage de son pouvoir de retirer un acte administratif obtenu par fraude, pas susceptible de recours » [7].

En troisième et dernier lieu, le juge administratif recherche si la seconde décision doit être regardée comme nouvelle au regard des circonstances de droit ou de fait portées à sa connaissance par le requérant [8].

En d’autres termes, pour que la seconde décision soit nouvelle, il faut que la situation juridique soit différente de ce qu’elle était au jour de la décision initiale.

Ainsi, n’est pas une décision nouvelle celle qui rejette une demande d’abrogation d’un arrêté d’expulsion en l’absence de toute circonstance de droit ou de fait nouvelle [9]. A contrario, ont été considérées comme des décisions nouvelles : le nouveau refus d’avancement d’un agent public alors qu’il pouvait à présenter en bénéficier ; le refus d’une nouvelle demande de permis de construire dans la mesure où le régime juridique de l’immeuble a été modifié [10].

Il est essentiel d’avoir à l’esprit que le changement de circonstance de droit ou bien de fait doit avoir des effets sur l’application de la règle de droit au cas d’espèce pour que la seconde décision ait un caractère nouveau [11]. Ainsi, comme le précise le professeur René Chapus,« s’il s’est produit dans les dispositions législatives et réglementaires un changement, ayant une incidence sur l’appréciation des droits ou prétentions du requérant », ou bien un changement de circonstances de fait « de nature à emporter des conséquences sur l’appréciation des droits ou prétentions de l’intéressé », alors la seconde décision n’est pas confirmative [12]. Ce n’est pas le cas lorsque la circonstance que la décision a fait l’objet d’une nouvelle instruction [13] ou qu’elle est fondée sur d’autres motifs [14].

Le Conseil d’Etat a développé une jurisprudence particulièrement stricte concernant l’instruction de la demande. Il considère par exemple que devient définitive la décision implicite de rejet non attaquée alors que, quelques jours avant sa naissance, une lettre a été envoyée à l’intéressée par l’administration dans laquelle est précisée qu’une réponse interviendra « dans les meilleurs délais » [15].

Pour atténuer cette rigueur aux apparences parfois injustes, le Conseil d’Etat a jugé en 2019 que si, « par son comportement, l’administration a induit en erreur le requérant sur les conditions d’exercice de son droit de recours contre le refus qui lui a été initialement opposé », alors la décision confirmative intervenue postérieurement est susceptible de recours [16]. Reste toutefois à prouver ce comportement fautif sujet à maintes interprétations…

C’est pourquoi on ne peut que vivement recommander à l’intéressé de faire preuve d’une particulière vigilance et de toujours préserver ses voies de recours.

Cette vigilance concerne davantage les agents publics dans la mesure où ils ne bénéficient pas de l’obligation qui est faite à l’administration de notifier les voies et délais de recours aux administrés [17].

Concernant les actes réglementaires, il est de jurisprudence constante que l’abrogation par l’administration est obligatoire si le règlement est illégal depuis son édiction, ou s’il est devenu illégal par un changement de circonstances de droit ou de fait [18]. Cette jurisprudence « permet de contourner l’irrecevabilité du recours exercé directement contre les dispositions confirmatives, par le biais d’un recours contre le refus d’abroger » [19].

Il était jusqu’à peu de jurisprudence constante que les actes réglementaires de codification, étant à droit constant, étaient considérés comme confirmatifs. Ainsi, les modifications de pure forme n’étaient pas davantage susceptibles de recours.

Toutefois, en février 2022, le Conseil d’Etat est revenu sur ce principe, tirant les leçons qui s’imposaient d’une codification qui s’opère aujourd’hui principalement par voie législative [20].

Le Conseil d’Etat considère que,

« dans l’exercice des pouvoirs qu’il tient de l’article 38 de la Constitution, il appartient au Gouvernement, lorsqu’il est habilité à adopter à droit constant une nouvelle rédaction de la partie législative d’un code dans le but d’en améliorer l’accessibilité et l’intelligibilité dans le respect de la hiérarchie des normes, de procéder, conformément à l’habilitation qui lui a été donnée, aux modifications nécessaires pour assurer le respect, par les dispositions qu’il adopte, de la hiérarchie des normes. Cette circonstance de droit nouvelle interdit de regarder ces nouvelles dispositions comme purement confirmatives des dispositions législatives antérieures ».

Il est dès lors à présent possible de déposer un recours en excès de pouvoir contre une ordonnance de codification non ratifiée.

Le juge administratif se prononcera notamment « sur les moyens tirés de leur contrariété avec une norme supérieure, sans préjudice d’éventuelles questions prioritaires de constitutionnalité ».

Concernant la partie réglementaire du code, prise en conséquence de l’adoption de la partie législative du code, cette codification « ne peut, en principe, pas davantage être regardée comme purement confirmative des dispositions règlementaires antérieures ».

B. Décisions par exception nouvelles.

Par exception au principe sus-évoqué, le Conseil d’Etat est venu préciser que certaines décisions peuvent faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir, soit parce qu’elles n’ont pas le caractère de décision confirmative, soit parce qu’elles peuvent être déférées bien qu’elles soient confirmatives.

Toutes les situations ne seront pas ici développées, mais le lecteur sera averti des différents cas de figure qui peuvent se présenter à lui.

En premier lieu, il existe la situation où le législateur est intervenu pour prévoir que toutes les décisions successives sont susceptibles de recours.

Il existe aussi les cas où, le Conseil d’Etat tire de l’interprétation des textes la conséquence que la décision suivante n’est pas confirmative et est susceptible de recours.

C’est par exemple le cas après la saisine de la Commission des Recours des Militaires (CRM) par un militaire ou un gendarme à la suite d’une décision initiale devant faire l’objet d’un recours administratif préalable obligatoire avant toute saisine du juge administratif [21].

Le ministre des Armées ou de l’Intérieur compétent dispose d’un délai de quatre mois pour prendre une décision sur la recommandation de la CRM. A l’issue de ce délai naît une décision implicite de rejet susceptible de recours.

A la lecture conjointe du Code de justice administrative et du Code de la défense [22], le Conseil d’Etat considère que la date de naissance de la décision implicite de rejet ne fait pas courir le délai de recours contentieux contre celle-ci, même si les voies et délais de recours ont été notifiés au requérant [23].

L’article R421-3 du Code de justice administrative dispose en effet que

« l’intéressé n’est forclos qu’après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d’une décision expresse de rejet (…) dans le contentieux de l’excès de pouvoir, si la mesure sollicitée ne peut être prise que par décision ou sur avis des assemblées locales ou de tous autres organismes collégiaux ».

Or, la Commission des Recours des Militaires doit être considérée, à la lecture du Code de la défense, comme un organisme collégial.

A contrario, par un avis du 4 mars 2021, le Conseil d’Etat considère que si la décision implicite de rejet peut faire l’objet d’un recours de plein contentieux, alors le délai de recours commence à courir à compter de sa naissance [24] ; l’article R421-3 du Code de justice administrative se limitant dans son énoncé aux seuls recours en excès de pouvoir.

Outre cet exemple, classiquement, pour illustrer les exceptions, la doctrine se réfère à la jurisprudence Commune de Muret du Conseil d’Etat de 1978 qui prévoit qu’une personne peut formuler une demande de communication de document en tout temps, sans se voir opposer une décision confirmative [25].

Sujettes à interprétation, n’ont en second lieu pas le caractère de décisions confirmatives, d’une part, celles qui sont ab initio susceptibles de changements notamment par la situation de leur destinataire et, d’autre part, celles qui sont provisoires et que « l’autorité administrative prend au vu d’une situation qui, appelée à évoluer, ne permet pas qu’elle se prononce de façon ferme » [26].

A l’aune des développements précédents, il est désormais plus aisé de reconnaître une décision confirmative émise par l’administration.

Maxime Thiébaut Avocat associé du cabinet Fidelio Avocats Docteur en droit public www.fidelio-avocats.fr

[1CE, Ass., 31 mai 1985, Ville de Moissac, n° 42659, A.

[2R. Chapus, Droit du contentieux administratif, §749 ss., 13e éd., L.G.D.J.

[3CE, 28 février 1973, Époux Teyssedre, n° 74890, A.

[4R. Chapus, ibid.

[5CE, 10 août 2005, Maigret, n° 266027, B.

[6CE, 10 juin 2020, n° 422471, B sur un autre point.

[7CE, 16 décembre 2019, n° 419220, B sur un autre point.

[8CE, 3 octobre 2001, M. Gillard, n° 219662, B.

[9CE, 27 avril 1998, n° 167368, A.

[10CE, 16 novembre 1983, Tribier, n° 28951, A.

[11CE, Ass., 12 octobre 1979, Rassemblements des nouveaux avocats de France, n° 01875 ss., A.

[12R. Chapus, ibid.

[13CE, Ass., 4 avril 1952, Gerbaud, n° 1676, A.

[14CE,13 novembre 1987, Gondre, n° 68964, A.

[15Voir notamment : CE, 20 février 2008, n° 281722, C.

[16CE, 17 juin 2019, n° 413797, B.

[17Art. L112-2 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA).

[18CE, 3 février 1989, Compagnie Alitalia, n° 74052, A ; confirmé par l’art. L243-2 du CRPA.

[19R. Chapus, ibid.

[20CE, 24 février 2022, n° 450285, B.

[21Art. R4125-1 du Code de la défense.

[22Pour l’application des dispositions du 2° de l’article R421-3 du Code de justice administrative et des articles R4125-1 et R4125-10 du Code de la défense.

[23CE, 22 mai 2019, n° 423273, B.

[24CE, Avis, 4 mars 2021, n° 445956.

[25CE, Sect., 11 janvier 1978, Commune de Muret, n° 4258, A.

[26R. Chapus, ibid.