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[Québec] L’égalité judiciaire, mythe ou réalité ? Par Pierre Mc Nicoll, Assistant juridique.
Parution : mercredi 9 mars 2022
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Devant la loi, sommes-nous tous égaux ? Peut-on se prévaloir d’une justice impartiale lorsque survient un conflit juridique ?

Les origines.

« Tous les humains naissent libres égaux en dignité et en droits » [1]. Il s’agit d’un principe inaliénable et fondamental de la justice à l’échelle internationale.

Par ailleurs, l’égalité constitue un des socles de la société française dont la devise (Liberté, Égalité, Fraternité) agit tel un pilier de la justice au cœur de cette nation.

Ensuite, la Charte canadienne des droits et libertés [2] est on ne peut plus claire : « art. 15 (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi... ».

En dernier lieu, la Charte des droits et libertés de la personne du Québec [3] souligne dans son préambule : « Considérant que tous les êtres humains sont égaux en valeur et en dignité et ont droit à une égale protection de la loi  ».

La théorie.

Enchâssés dans des lois, des chartes ou des principes l’égalité judiciaire s’avère primordial quoique cela demeure, hélas, un fait technique. En revanche, qu’en est-il pour les citoyens dont la véhémence juridique les amène à côtoyer la réalité déconcertante de leur cause qu’elle soit de nature criminelle ou civile ?

En effet, il peut parfois s’avérer laborieux de définir l’égalité judiciaire, même pour des magistrats de la plus haute cour d’un pays. Prenons l’observation suivante datant de 1989 : « Le concept d’égalité [4] fait partie de la pensée occidentale depuis longtemps. Enchâssé au paragraphe. 15 (1) de la Charte (Charte canadienne des droits et libertés), c’est un concept difficile à saisir qui, plus que tous les droits et libertés garantis dans la Charte, ne comporte pas de définition précise », propos du juge de la Cour suprême du Canada, William Rogers McIntyre.

Comment faire fi de cette interprétation qui malencontreusement ne coïncide plus avec l’air du temps. Tentons de cerner certains éléments d’une authentique égalité judiciaire du 21e siècle.

Effectivement, une égalité judiciaire se doit impérativement d’être absoute de tous jugements ou préjugés relativement à la classe sociale ou à la situation distincte d’un citoyen. La justice se doit d’avoir un regard neutre, voire aveugle, afin de dissiper toute discrimination qui pourrait poindre lors de circonstances préjudiciables. Et ce malgré la tonitruante vindicte populaire qui réclame au-delà de tout que justice soit rendue.

Un sophisme paradoxal.

A priori, comme nous nous retrouvons dans un monde complexe et imparfait, malgré toutes les précautions que les législateurs peuvent inscrire dans les lois, il arrive parfois des cas de figure où l’exception confirme la règle.

Donc, il y a de ces occurrences dans lesquelles des individus glisseront inévitablement entre les mailles du filet de la justice. Ainsi, des gens dont la vulnérabilité sociale fait en sorte qu’ils auront des lacunes en matière d’information juridique verront leurs tribulations judiciaires faire obstacle de manière probante à la pleine revendication de leurs droits.

Quels groupes, notamment, peuvent servir de cible facile aux attaques d’individus mal intentionnés, voyons des exemples de personnes vulnérables : les mineurs, les femmes enceintes, les analphabètes, les personnes atteintes d’un handicap mental, les personnes issues des minorités ethniques et les aînés. Les gens faisant partie de ces groupes sont égaux devant la justice comme n’importe qui d’autre. « L’accès à la justice [5], c’est l’expression juridique de leur égalité, sinon de leur citoyenneté », dit Pierre Noreau, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal.

L’égalité réelle pour une meilleure cohésion sociale.

Pour une définition plus juste de ce qu’est le paradigme de l’égalité réelle, en voici un élément concret :

« L’égalité réelle [6] est un principe juridique qui fait référence à l’atteinte d’une véritable égalité dans les faits. Cette égalité est atteinte par un accès égal, des occasions égales et […] la prestation de services à prendre en compte toutes les circonstances et tous les besoins uniques, tels que les désavantages culturels, sociaux, économiques […] et historiques, et en conformité avec les normes appropriées ».

Or, à partir d’une telle définition, il faut se rendre à l’évidence qu’il s’agit encore une fois de théorie. En revanche, comment les personnes en situation de vulnérabilité peuvent-elles revendiquer davantage leurs droits et ainsi obtenir justice lorsque les situations l’exigent ?

En effet, il faut reconnaître d’abord la réalité d’autrui et d’examiner les problématiques pouvant être résolues par des interventions émanant du politique ainsi que par la société en général. Les législateurs doivent avoir comme point commun de tout mettre en œuvre pour que les membres de la société amènent, et ce, sans exception, à satisfaire les besoins et droits fondamentaux de ceux et celles vivant dans une précarité sociale.

De surcroît, le droit sert d’outil indispensable, car c’est par son recours que naît le pouvoir de changer la donne. Ainsi, en procédant de la sorte nous pouvons modifier les rapports avec les divers intervenants, ce qui s’avère nécessaire dans le cas des groupes de gens en situation de vulnérabilité.

De plus, il faut inciter les hommes et les femmes vulnérables à s’impliquer dans le processus d’élaboration d’une législation autant en amont qu’en aval. De cette façon, cela amène à constituer des liens de socialité entre les diverses parties prenantes.

Subséquemment, cette union d’individus sera plus opportune et engageante pour en venir à l’atteinte d’objectifs communs. Et de tels buts ne seront plus hors d’atteinte que lorsque des mécanismes dûment instaurés permettront d’avoir tous les dispositifs et recours nécessaires donnant l’accès aux services appropriés ainsi qu’une reconnaissance de leur statut.

Au-delà de l’égalité.

Finalement, l’action politique sur cet enjeu doit accompagner les personnes vulnérables à devenir les protagonistes de la mise en œuvre de leurs droits. Ils se doivent de prendre la parole à cet égard et convaincre les autres se retrouvant dans de telles situations, d’aller au-devant des craintes, de la peur et de l’inquiétude.

L’égalité exige de reprendre le pouvoir sur son existence, mais aussi de changer le rapport social et particulièrement de redonner un nouveau sens à sa vie.

Pierre Mc Nicoll Coordonnateur aux affaires juridiques

[3RLRQ c C-12 | Charte des droits et libertés de la personne | CanLII.