Village de la Justice www.village-justice.com

La concurrence déloyale de l’agent commercial. Par Arnaud Boix, Avocat.
Parution : mercredi 9 mars 2022
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/concurrence-deloyale-agent-commercial,41948.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

En tant que professionnel indépendant, non lié par un contrat de travail, l’agent commercial est « … chargé d’agir, de négocier principalement et éventuellement de conclure » [1] des mandats de vente, des contrats de vente ou de location, au nom et pour le compte de son mandant.
Le mandat d’agent commercial est un contrat consensuel, pouvant être purement verbal.
Son statut est régi par les articles L 134-1 du Code de Commerce et suivants.

L’agent commercial est libre d’organiser son travail comme il l’entend.
Il peut exercer une activité à titre personnel et représenter plusieurs mandants.
Il est soumis dans l’exercice de son mandat à une obligation d’information, de confidentialité et de loyauté.

L’agent commercial est tenu par un devoir de loyauté applicable dès la conclusion de son contrat, laquelle obligation de loyauté est à géométrie variable.

La portée et l’intensité de cette dernière obligation peut être plus ou moins étendue dès lors qu’une clause de non-concurrence s’impose.
Pour autant, l’obligation de loyauté ne doit pas avoir pour conséquence de remettre en cause l’indépendance de l’agent qui n’est, rappelons-le, pas un subordonné de son mandant.

Afin de bien cerner les contours de l’obligation de loyauté de l’agent commercial, il est donc indispensable de bien saisir la portée de cette obligation applicable pendant (1) et après l’extinction de son mandat (2).
Précisons qu’aux termes des présentes, elle le sera au regard du droit français applicable de sorte que le mandant devra être vigilent au choix de la loi applicable (et de la juridiction compétente) en cas de contrat d’agent commercial présentant des éléments d’extranéité.

Rappelons enfin que l’agent commercial du secteur immobilier (ACI), qui est un agent commercial comme les autres, travaillant pour un mandant, agent immobilier, ne peut, en raison de la jurisprudence, être une personne morale, tout mandataire immobilier devant pourvoir attester de sa moralité personnelle.

1) La loyauté de l’agent pendant l’exécution de son mandat.

La loyauté de l’agent en l’absence de clause de non-concurrence.

De manière instantanée, l’agent est soumis dès la conclusion de son contrat, à une obligation de loyauté [2] envers son mandant qui lui interdit de proposer, sans l’accord de ce dernier, ses services à un mandant concurrent.

Cette obligation de loyauté s’apparente à une obligation de non-concurrence contractuelle d’origine légale applicable de plein droit à l’égard de l’agent.
La possibilité d’accepter la représentation de nouveaux mandants est donc très relative pour l’agent commercial s’il se spécialise dans un domaine d’activités particulier puisqu’il devra veiller à obtenir l’accord préalable de son mandant avant toute nouvelle mission au profit d’un concurrent.

Enfreindre cette interdiction constitue un manquement qui justifie la rupture du contrat d’agent [3] assimilable à un acte de concurrence déloyale, à condition de démontrer l’existence de manœuvres destinées à détourner la clientèle du mandant ou à désorganiser son entreprise.

Cette rigueur probatoire s’explique par la nécessité de prouver l’existence d’un acte positif de déloyauté contraire à la liberté du commerce.
Ainsi, une Cour d’appel [4] a pu admettre s’agissant d’agents immobiliers ayant conclu un nouveau contrat d’agent avec un concurrent, qu’ils ne manquaient pas à leur devoir de loyauté, dès lors qu’il n’était pas prouvé que les annonces publiées sur le site internet du nouveau mandant par des clients de leur actuel mandant font suite à des actes de détournement ou de démarchage des agents immobiliers qui étaient en charge de mettre en vente les biens appartenant à ces mêmes clients.

La situation est paradoxale. Bien qu’une perte de clientèle soit manifestement consécutive à l’engagement des deux agents auprès de concurrents, il ne peut leur être reproché d’actes de concurrence déloyale, faute de preuve établissant un lien de causalité entre la perte de clientèle et le départ des deux agents.
Le pillage de fichiers clients, le dénigrement de l’ancien mandant auprès de la clientèle, le départ massif de plusieurs salariés, agent et collaborateurs sont en revanche reconnus comme constitutifs de concurrence déloyale.

Dans ces conditions, l’on ne saurait trop recommander de stipuler une clause d’exclusivité qui s’appliquerait durant toute la durée du contrat de l’agent.

La loyauté de l’agent encadrée par une clause d’exclusivité.

La clause d’exclusivité imposée à l’agent commercial pendant l’exécution de son contrat est usuellement rédigée pour étendre l’obligation de non-concurrence à une interdiction générale de contracter avec d’autres acteurs économiques.

Cette faculté contractuelle offerte au mandant est licite à condition qu’elle ne remette pas en question l’équilibre du contrat. Pour éviter cet écueil, il est souhaitable pour le mandant de stipuler une exclusivité territoriale au profit de son agent accompagnée d’une exclusivité sur la vente d’un produit / d’un service / ou sur un portefeuille de clients. Il ne faut pas perdre de vue que le contrat d’agent commercial est un mandat d’intérêt commun.

A ce titre, il est également recommandé d’aménager une certaine souplesse dans l’organisation des missions de l’agent, ce dernier n’ayant pas de compte à rendre sur la gestion de son planning, le rythme et l’organisation de ses prospections. A défaut, le contrat peut être requalifié judiciairement en contrat de travail, avec toutes les conséquences qui en découlent…au profit de l’agent reconnu salarié.

Par ailleurs, la clause d’exclusivité doit respecter le libre jeu de la concurrence et ne pas aboutir à un cloisonnement du marché entre agents. Toutes clauses qui aboutissent à un partage du marché en territoires ou en clientèles sont prohibées dès lors qu’elles ont pour effet de limiter ou empêcher l’accès au marché par d’autres acteurs économiques [5].

Au regard de ce qui précède, la clause d’exclusivité respectueuse des conditions précitées peut être stipulée ainsi :
« Durant l’exécution du présent mandat, l’Agent s’interdit d’accepter la représentation d’une quelconque entreprise, société, entité ou groupement pour vendre dans le secteur visé par l’exclusivité, les produits et/ou les services objets de la mission confiée par le Mandant ».

L’application de ce type de clause, très répandue en pratique, peut être étendue après la cessation du contrat par l’ajout d’une clause de non-concurrence post-contractuelle dont les conditions de validité sont strictement contrôlées par la jurisprudence.

2) La loyauté de l’agent commercial après l’extinction de son mandat.

La loyauté de l’agent soumis à une clause de non-concurrence post-contractuelle.

A la fin de son mandat, l’agent commercial peut de nouveau librement s’engager avec un nouveau mandant, sauf s’il est tenu par une clause de non-concurrence post-contractuelle.

Rappelons que cette clause, à l’inverse de celle des salariés, ne coute rien au mandant puisqu’elle n’a pas à être rémunérée pour être valable
En effet, contrairement à la clause d’exclusivité uniquement applicable pendant la durée du contrat, la clause de non-concurrence peut survivre après l’extinction de la relation, à condition que la clause soit écrite, qu’elle porte sur un secteur géographique déterminé, qu’elle concerne les biens ou services prévus dans le mandat expiré.

Elle doit être limitée à une durée maximum de 2 années après la date de cessation du contrat.

Le respect de ces limites légales [6] nous conduit à la vigilance sur deux points principaux :
- L’étendue du secteur géographique visée par la clause ne peut être différent ou plus important que celui confié à l’agent pendant le contrat.
Une clause prévoyant une interdiction sur « le territoire français » alors que l’activité était réduite à un secteur particulier encourt la nullité.
- Le champ d’activités sujet à l’obligation de non-concurrence ne peut être défini trop largement par rapport au mandat initialement confié.

La jurisprudence a adopté une approche quelque peu prudente ou restrictive de ces différents critères légaux, de sorte à pouvoir garantir la proportionnalité de la clause de non-concurrence à l’objectif recherché.
Une nouvelle fois, elle s’est faite juge de l’équilibre ou du déséquilibre des droits et obligations des parties à ce contrat, générant des difficultés inhérentes à sa recherche.
Ainsi, elle a pu considérer la clause prévoyant une interdiction « de s’intéresser » à toute entreprise « susceptible de concurrencer » l’activité du mandant et obligeant l’agent à renoncer à toute activité « relative » ou « en lien avec l’activité du mandant », comme nulle en raison de l’absence de corrélation suffisante avec l’activité qui était confiée [7].
Inversement lorsque le contrat est vague, voire muet sur le territoire attribué ou la clientèle attribuée, la validité de la clause dépendra du caractère « proportionné » de l’interdiction.
Dans ce sens, il a été admis par une Cour d’appel [8] que « le contrat d’agent qui ne prévoit ni secteur géographique spécialement attribué ni catégorie de clientèle, (…) ne rend pas nulle la clause de non-concurrence limitée dans l’espace à un rayon de vingt kilomètres à vol d’oiseau du siège des activités de la société XXX Immobilier ».

Néanmoins, il faut garder à l’esprit que l’ensemble de la jurisprudence en la matière appelle à prendre beaucoup de précautions dans la rédaction de cette clause qui sera appréciée dans sa proportionnalité « in concreto ».
Idéalement, et face à la mise en lumière jurisprudentielle de la complexité de la rédaction de cette clause, le mandant soucieux d’opposer une clause de non-concurrence pleinement efficace à son agent, veillera donc à rédiger une clause dont le champ d’application sera en parfaite concordance avec le mandat confié.

La sanction de l’agent qui nouerait des liens contractuels en violation de la clause sera alors d’autant plus aisée à mettre en œuvre.

Sanctions de l’agent déloyal.

De manière générale, outre la cessation sous astreinte de l’activité déloyale, il est possible pour le mandant de solliciter la réparation des conséquences dommageables de l’inexécution de l’obligation de non-concurrence [9].
Cette demande sera fondée sur le montant de par la perte de gain occasionnée par les agissements déloyaux.
Une telle démonstration est loin d’être évidente. Cela suppose d’établir la perte de marge brute en relation directe avec l’activité prohibée.
L’apport d’une nouvelle clientèle au profit de l’entreprise concurrente grâce à l’activité de l’agent félon peut également servir de base à l’évaluation de l’indemnité réclamée. Pareil raisonnement oblige le mandant à se procurer la documentation comptable et les résultats financiers du concurrent en lien avec l’activité visée par la clause. A défaut, la demande en en réparation du préjudice risque d’échouer et s’apparenter à un parcours du combattant pas forcément récompensé. Pour cette raison, la collecte de preuves nécessite le plus souvent d’engager la procédure du « référé probatoire » [10] avant toute action en responsabilité fondée sur la violation de la clause.
C’est pourquoi, afin de se prémunir contre la déloyauté de l’agent et obtenir réparation plus facilement, il est vivement recommandé au mandant de prévoir une sanction financière stipulée dans le contrat, applicable automatiquement en cas de violation de clause.

Notons enfin que la mise en œuvre de cette clause n’exclut pas la mise en cause du tiers complice ayant recruté l’agent.

La sanction du tiers complice.

Si la clause de non-concurrence est reconnue valide, la responsabilité du tiers complice peut être engagée à condition de prouver qu’il a aidé en connaissance de cause l’agent à violer son engagement de non-concurrence.
Ce principe est reconnu de manière constante par la Cour de cassation [11].

Parfois, une sévérité accrue est parfois retenue vis-à-vis du tiers qui est tenu de s’informer sur l’existence de la clause lorsqu’elle est reconnue « usuelle » dans le secteur de l’agent déloyal [12].

En toutes hypothèses, retenons que la preuve de la connaissance par le tiers de la clause de non-concurrence incombe à celui qui se prévaut de son existence, mais dès lors que la violation par l’agent est établie, la reconnaissance d’un préjudice causé par le tiers complice est admise avec souplesse.

La loyauté de l’agent commercial pendant l’exécution de son mandat statutaire est d’une certaine manière plus absolue et protectrice pour le mandant que celle résultante d’une clause contractuelle qui doit être acceptée par l’agent et qui demeure de toute évidence complexe à cadrer.

Arnaud Boix, Avocat Cabinet Eloquence Avocats Associés www.eloquence-avocats.com

[1Article L 134-1 du Code de Commerce.

[2Articles L.134-3 et L.134-4 du Code de commerce.

[3Cass.com. 15 mai 2007, n° 06-12.282 – Cass.com. 16 mars 1993, n°91-11.194.

[4CA Lyon, 1re civ. A, 9 mai 2019, n° 17/05451.

[5Article L.420-1 du Code de commerce.

[6Article L.134-14 Code du commerce.

[7Cass. com. 15 mai 2012, 11-18.330.

[8CA Colmar - ch. civile 03 sect. A 7 juin 2021 n° 21/325.

[9Article 1217 du Code civil.

[10Article 145 Code de procédure civile.

[11Cass.com. 11 oct. 1971, n°70-11.892 – Cass. com. 22 mai 1984, n°82-13.482.

[12Cass. com. 7 févr. 1995, n°93-14.569 « La société TF1 devait s’enquérir de l’existence de telles clauses “classiques en l’espèce” ».