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Rupture conventionnelle dans la fonction publique : un mécanisme appelé à se renforcer. Par Guillaume Delarue, Avocat.
Parution : mardi 8 mars 2022
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La rupture conventionnelle est, rappelons-le, un mécanisme de rupture de contrat initialement instauré en droit privé, par la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail. Il s’agit donc d’abord d’un mode de rupture d’un contrat de travail à durée indéterminée conclu entre un employeur privé et son salarié.

L’article 72 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique l’a étendu aux agents de droit public, à titre expérimental, du 1er janvier 2020 jusqu’au 31 décembre 2025.

Cette réforme permet donc à un agent, titulaire ou contractuel, de quitter son emploi selon des modalités différentes de celles offertes par une démission, notamment en bénéficiant de l’aide au retour à l’emploi.

Une réponse parlementaire, du 18 janvier 2022, permet de dresser un premier bilan de ce dispositif.

I. Rappel de la procédure applicable à la rupture conventionnelle.

L’administration et un fonctionnaire (des trois versants) peuvent convenir en commun des conditions de la cessation définitive des fonctions, qui entraîne radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire.

Les fonctionnaires stagiaires, les fonctionnaires âgés au moins de 62 ans qui justifient du nombre de trimestres liquidables pour obtenir une pension de retraite au taux maximum de 75% et les fonctionnaires détachés en qualité d’agent contractuel ne peuvent avoir recours à ce dispositif.

En revanche, la rupture conventionnelle est ouverte aux agents recrutés par contrat à durée indéterminée de droit public.

Il s’agit d’un mécanisme conventionnel, qui ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties. La convention de rupture définit les conditions de celle-ci, notamment le montant de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle, qui ne peut pas être inférieur à un montant fixé par décret.

Néanmoins, attention, l’administration est fondée à exiger le remboursement de l’indemnité de rupture conventionnelle si, dans les six années suivant la rupture conventionnelle, l’agent public :
- Relevant de la relevant de la fonction publique d’Etat, est recruté en tant qu’agent public pour occuper un emploi au sein de la fonction publique de l’Etat,
- Relevant de la fonction publique territoriale, est recruté en tant qu’agent public pour occuper un emploi au sein de la collectivité territoriale avec laquelle il est convenu d’une rupture conventionnelle ou auprès de tout établissement public en relevant ou auquel appartient la collectivité territoriale.

Ce principe est étendu au recrutement pour occuper un emploi au sein d’un établissement public relevant de la collectivité territoriale ou auquel elle appartient,

- Relevant de la fonction publique hospitalière, est recruté en tant qu’agent public pour occuper un emploi au sein de l’établissement avec lequel il est convenu d’une rupture conventionnelle.

Les candidats, retenus pour occuper, en qualité d’agent public, un emploi au sein de l’une des personnes de droit public, doivent d’ailleurs adresser à l’autorité de recrutement une attestation sur l’honneur qu’ils n’ont pas bénéficié, durant les six années précédant le recrutement, d’une indemnité spécifique de rupture conventionnelle soumise à l’obligation de remboursement [1].

En outre, si le texte prévoit que le fonctionnaire peut se faire assister par un conseiller désigné par une organisation syndicale de son choix, il peut, évidemment, toujours se faire accompagner d’un avocat. On rappellera que le conseil constitutionnel était déjà intervenu pour censurer la disposition qui limitait l’accompagnement d’un agent aux seules organisations représentatives puisqu’elle établissait une différence de traitement injustifiée entre les organisations syndicales représentatives et non représentatives [2].

Cet accompagnement permet à l’agent de ne pas se retrouver seul face à son employeur, de négocier au mieux avec lui et de bénéficier de l’intervention de son accompagnant s’il subit, à la suite du premier entretien ou au cours des négociations, une dégradation de ses conditions de travail.

A la suite de ce premier entretien, plusieurs autres entretiens peuvent se dérouler, sans être encadrés, cette fois-ci, par des conditions de délai.

Ces entretiens préalables ont pour objet de préciser :
- les motifs de la demande et le principe de la rupture conventionnelle ;
- la fixation de la date de la cessation définitive des fonctions ;
- le montant envisagé de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle ;
- les conséquences de la cessation définitive des fonctions, notamment le bénéfice de l’assurance chômage [3], l’obligation de remboursement en cas de et le respect des obligations déontologiques.

La procédure prend fin à partir du moment où une des parties souhaite ne pas poursuivre. La rupture conventionnelle ne constitue effectivement pas un droit pour l’agent qui souhaite quitter la fonction publique.

Si les parties s’accordent sur le principe de la rupture conventionnelle, les termes et les conditions de la rupture conventionnelle sont énoncés dans une convention signée par les deux parties. Les clauses doivent notamment portent sur le montant de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle et sur la date de cessation définitive des fonctions du fonctionnaire.

L’indemnité spécifique de rupture conventionnelle comprend un plancher et un plafond. Elle ne peut être inférieur aux montants suivants :
- un quart de mois de rémunération brute par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans ;
- deux cinquièmes de mois de rémunération brute par année d’ancienneté pour les années à partir de dix ans et jusqu’à quinze ans ;
- un demi mois de rémunération brute par année d’ancienneté à partir de quinze ans et jusqu’à vingt ans ;
- trois cinquièmes de mois de rémunération brute par année d’ancienneté à partir de vingt ans et jusqu’à vingt-quatre ans.

Elle ne peut également être supérieur à une somme équivalente à un douzième de la rémunération brute annuelle perçue par l’agent par année d’ancienneté, dans la limite de vingt-quatre ans d’ancienneté.

Le montant plancher et le montant plafond sont définis en fonction d’une rémunération de référence, qui correspond à la rémunération brute annuelle perçue par l’agent au cours de l’année civile précédant celle de la date d’effet de la rupture conventionnelle, dont sont exclues certaines primes et indemnités.

Des modèles de convention sont proposés par l’arrêté du 6 février 2020 fixant les modèles de convention de rupture conventionnelle prévus par le décret n° 2019-1593 du 31 décembre 2019 relatif à la procédure de rupture conventionnelle dans la fonction publique.

Une copie de la convention est versée au dossier du fonctionnaire.

Enfin, deux délais s’imposent :
- la signature de la convention doit avoir lieu au moins quinze jours francs après le dernier entretien ;
- chacune des parties dispose d’un droit de rétractation, qui peut s’exercer sous la forme d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou remise en main propre contre signature, dans un délai de quinze jours francs, qui commence à courir un jour franc après la date de la signature de la convention de rupture conventionnelle.

En l’absence de rétractation, le fonctionnaire est radié des cadres à la date de cessation définitive de fonctions convenue dans la convention de rupture.

Concernant les agents recrutés par contrat à durée indéterminée, si la procédure de rupture est quasiment identique à celle des titulaires, elle ne s’applique pas :
- pendant la période d’essai ;
- en cas de licenciement ou de démission ;
- aux agents ayant atteint l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite fixé à l’article L161-17-2 du Code de la sécurité sociale et justifiant d’une durée d’assurance, tous régimes de retraite de base confondus, égale à la durée d’assurance exigée pour obtenir la liquidation d’une pension de retraite au taux plein du régime général de sécurité sociale ;
- aux fonctionnaires détachés en qualité d’agents contractuels.

II. Bilan de la rupture conventionnelle.

Si le terme de l’expérimentation de la rupture conventionnelle n’est prévu qu’en 2025, une réponse parlementaire, datée du 18 janvier 2022, est venue apporter certains enseignements [4].

Elle rappelle, tout d’abord, les conséquences de la pandémie sur l’organisation des premiers entretiens de rupture conventionnelle et les retards résultants des périodes successives de confinement liées à la crise sanitaire.

Alors que le ministre relève que « certains ministères ont souhaité attendre que des éléments de doctrine ou de cadrage supplémentaires soient produits aux niveaux interministériel et ministériel », il souligne que le cadre réglementaire est suffisant pour conduire des procédures de rupture conventionnelle depuis l’entrée en vigueur du dispositif le 1er janvier 2020.

Évoquant l’édition 2021 du rapport annuel sur l’état de la fonction publique [5], le ministre de la transformation et de la fonction publiques relève que, pour l’année 2020, 428 indemnités spécifiques de rupture conventionnelle ont été versées. Parmi elles, 253 indemnités spécifiques de rupture conventionnelle ont été versées par le ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports et 3 par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, soit plus de 60% du total des indemnités spécifiques de rupture conventionnelle.

Entre janvier et juillet 2021, 1 100 indemnités spécifiques de rupture conventionnelle ont été versées, dont 73% par ces deux ministères, signe, selon le ministre de la transformation et de la fonction publiques, d’une montée en puissance constante du dispositif .

Néanmoins, il nous semble que ces chiffres n’ont un sens que s’ils sont analysés en rapport avec le nombre des demandes de rupture conventionnelles formulés par les agents, voire par l’administration elle-même.

Si nous n’avons de chiffre sur ce sujet, le SGEN-CFDT indique que, pour le ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, 24,3% seulement des demandes ont abouties, avec des disparités importantes en fonction des académies (trois académies réuniraient la moitié des ruptures conventionnelles) [6].

Ainsi, le mécanisme de la rupture conventionnelle peine encore à s’installer dans la fonction publique. Le pouvoir hiérarchique est encore trop réticent à conclure un contrat avec un agent, qui souhaite quitter ses fonctions et donner une nouvelle orientation à sa carrière, notamment lorsque cet agent peut être en situation de conflit avec sa hiérarchie.

Plutôt que de voir la rupture conventionnelle comme une modalité de fin de contrat apaisée et dans l’intérêt de chacun, l’administration la perçoit encore trop comme étant une sorte d’avantage qui pourrait ensuite être revendiqué par d’autres agents.

S’il est évident que le critère financier est un élément important dans la négociation d’une rupture conventionnelle, il ne doit pas faire perdre de vue l’avantage d’une rupture conventionnelle pour deux parties qui ne souhaitent plus évoluer professionnellement ensemble.

La présentation de la demande de rupture conventionnelle est donc importante et peut conditionner la poursuite de la démarche.

Guillaume Delarue Avocat au barreau de Paris Membre du Conseil National des Barreaux www.delarueavocat.com

[1Article 8 du décret n° 2019-1593 du 31 décembre 2019.

[2CC, 15 octobre 2020, Syndicat des agrégés de l’enseignement supérieur et autre, Décision n° 2020-860 QPC.

[3Article 72.IV, 2° de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019.

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