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Un revenu nul ne suffit pas pour prétendre au bénéfice de l’AAH. Par Caroline Pierrey, Avocate et Nadia Belkacem, Etudiante.
Parution : vendredi 11 mars 2022
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L’arrêt en date du 3 juin 2021 rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (Cass., civ. 2ème, 3 juin 2021, n°20-13.696) mérite une attention particulière, en ce qu’il réaffirme que des revenus fonciers d’une société civile immobilière (SCI), sont pris en compte dans le calcul des ressources effectué par les caisses d’allocations familiales pour verser, ou non, l’allocation aux adultes handicapés (AAH).

I. Les faits.

En l’espèce, un allocataire a fait l’objet d’un contrôle d’une caisse d’allocations familiales (CAF), à la suite duquel lui a été adressée une demande de remboursement d’indu d’AAH, versée entre juin 2012 et décembre 2013, et des pénalités ont été prononcées à son encontre pour fausses déclarations.

Dans les faits, il était reproché à l’allocataire d’avoir déclaré un revenu nul à la CAF alors que son revenu fiscal ne l’était pas. Autrement dit, l’allocataire ne percevait pas de revenus d’activité mais les biens immobiliers rapportait des revenus locatifs à la SCI, dont il était membre.

Bien que la SCI perçût des revenus fonciers produits par la location de quatre biens immobiliers, elle présentait un bilan financier déficitaire en raison du remboursement des crédits immobiliers. En effet, les mensualités de crédits étaient payées par les loyers des biens gérés par la SCI. Le remboursement du capital des emprunts ne constitue pas une charge déductible des produits issus des loyers perçus par la SCI.

Ainsi, la SCI percevait des revenus fonciers imposables, même si l’allocataire ne percevait pas de revenus fonciers, du fait que ceux-ci étaient affectés au remboursement de l’emprunt.

Ainsi, l’allocataire, qui ne percevait pourtant pas de revenus, s’est tout de même vu demander un remboursement d’AAH.

Par ailleurs, l’arrêt retient que « l’allocataire ne peut s’exonérer de sa responsabilité en invoquant les agissements de son ex-compagne ou des problèmes de santé » alors même que l’allocataire avait formé une demande de mise sous protection judiciaire, qui n’avait pas abouti. La décision apparaît particulièrement sévère.

En outre, avec cette solution, l’allocataire a également été privé des avantages fiscaux prévus pour les bénéficiaires de l’AAH. Tout d’abord, l’AAH est exonérée de l’impôt sur le revenu et n’est soumise ni à la contribution sociale généralisée (CSG) ni à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS). De plus, le bénéficiaire de l’AAH profite d’une exonération totale de la taxe foncière et d’une exonération de la taxe d’habitation pour sa résidence principale, si ses revenus fiscaux sont inférieurs à un certain montant. Par conséquent, une erreur ou une fausse déclaration auprès de la CAF remet également en cause ces avantages fiscaux et pourrait entraîner un redressement fiscal.

II. Espèce similaire.

Dans un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris en date du 22 février 2007 (CA Paris, 22 février 2007, RG n°05/00203), une femme malvoyante reconnue handicapée à 90% par la Cotorep (Commission technique d’orientation et de reclassement professionnel) - devenue depuis la CDAPH (Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées) - s’est vue refuser le bénéfice de l’AAH par la CAF au motif que ses ressources, déclarées nulles, étaient invérifiables alors qu’elle apparaissait être propriétaire de plusieurs biens, notamment, de 49% des parts d’une SCI constituée par le fils de son ex-compagnon. La SCI avait acquis deux appartements dont les crédits étaient remboursés par ce dernier.

Cette femme en situation de handicap affirmait qu’elle n’était propriétaire que d’un bien dont le crédit était payé par ses parents et que les autres biens ne lui appartenaient pas dans la mesure où elle n’était que le prête-nom de ses amis et était dans l’incapacité de donner une quelconque explication. Elle a reconnu « avoir fait preuve de faiblesse et de légèreté justifiée par son fort handicap ». La Cour a considéré que cela ne la dispensait pas de fournir des explications aux questions soulevées par sa situation patrimoniale.

Mises en perspectives, ces deux espèces montrent à quel point les personnes en situation de handicap doivent être vigilantes en complétant la déclaration de ressources trimestrielles transmise à la CAF, et qu’elles doivent déclarer leurs revenus fonciers propres et ceux perçus par les SCI dont elles sont membres. À défaut, elles s’exposent à devoir rembourser un indu d’AAH.

III. Erreur ou fraude.

Les sommes peuvent être récupérées par la CAF sur le fondement de l’article 1302 du Code civil, qui dispose que « ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution ».

L’existence de l’indu suppose une erreur commise ou une fraude.

La fraude suppose une intention de tromper. Le contexte de l’espèce relève probablement d’un cas de fraude aux prestations sociales. En effet, bien que le terme « fraude » n’ait pas été employé dans l’arrêt de la Cour de cassation, l’intention frauduleuse a bien été reconnue comme le sous-entend l’imputation d’une pénalité pour fausses déclarations.

Selon « Handicap.fr », sur les 36 917 fraudes détectées à la suite des contrôles effectués par les CAF en 2020, 1,2% sont relatives à l’AAH, soient 443 fraudes.

Le droit à l’erreur a été reconnu aux termes de la loi n°2018-727 du 10 août 2018 « pour un État au service d’une société de confiance », loi dite « Essoc » dans le but de rétablir une confiance entre l’administration et ses administrés. Les articles L123-1 et L123-2 du Code des relations entre le public et l’administration posent le principe d’un droit à l’erreur.

Désormais, toute erreur commise dans une déclaration sera considérée comme étant de bonne foi, sauf en cas de mauvaise foi délibérée ou de fraude. En cas de contestation, la preuve de la mauvaise foi et de la fraude incombe à l’administration.

La portée de cette loi est louable. Il demeure délicat de justifier de sa bonne foi lorsque l’erreur cible la déclaration des ressources. Les conséquences qui découlent de l’erreur demeurent lourdes puisque malgré la bonne foi présumée, toute somme perçue à la suite d’une erreur commise doit être remboursée. C’est pourquoi, l’application de la technique du rescrit fiscal à la matière sociale semble appropriée pour éviter des notifications d’indu.

Le rescrit social permettrait à la personne intéressée de demander à un organisme social dont elle dépend de prendre position concernant sa situation au regard d’une mesure d’exonération ou d’une réglementation spécifique.

À notre connaissance, le rescrit social n’existe pourtant pas encore pour les particuliers, en matière de sécurité sociale ou d’allocations familiales.

Caroline Pierrey Avocate au Barreau de Paris co-rédigé avec Nadia Belkacem, Etudiante [->avocat@carolinepierrey-avocat.fr] https://www.carolinepierrey-avocat.fr