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Loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire. Par Olivia Sarton, Juriste.
Parution : vendredi 11 mars 2022
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Le Parlement a adopté le 2 mars 2022 [1] une loi visant à combattre le harcèlement scolaire. Depuis 2010, année où la lutte contre le harcèlement scolaire a été déclarée grande cause nationale, des politiques publiques avaient été mises œuvre. Mais les chiffres montrent qu’elles ont été insuffisantes : 800 000 à un million d’élèves seraient victimes de harcèlement scolaire, soit 6 à 10% des élèves. Un quart des collégiens, parmi lesquels une majorité de jeunes filles, seraient victimes de cyberharcèlement en très nette augmentation ces dernières années [2].
La récente loi en adoptant notamment un arsenal répressif sévère s’attache à éradiquer ce fléau.

Préambule : rappel de l’évolution de la répression du harcèlement dans le Code pénal.

C’est en 2002 [3], que le harcèlement moral est entré dans le Code pénal qui l’a alors défini par un article nouvellement créé n°222-33-2 comme

« le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Les peines encourues étaient alors d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Elles ont été portées depuis à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

Le législateur qui n’avait alors envisagé le harcèlement moral que dans la sphère professionnelle avait cependant pris soin de créer dans le Code pénal une section spécifique dédiée au harcèlement moral. Cette précaution n’a pas été vaine puisque depuis 2002, elle n’a fait que se développer.

En 2010 [4], a été créé un délit spécifique de harcèlement du conjoint, partenaire de PACS ou concubin ayant pour objet ou pour effet d’entraîner cette fois-ci non plus une dégradation des conditions de travail, mais une dégradation des conditions de vie de la personne harcelée [5]. La peine encourue est plus sévère que celle prévue pour la sphère professionnelle : 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende lorsque les faits n’ont pas causé d’incapacité totale de travail (ITT) ou une ITT inférieure ou égale à 8 jours ; la peine est portée à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende lorsque l’ITT est supérieure à 8 jours ou lorsqu’un mineur était présent et y a assisté.

En 2014 [6], le délit de harcèlement a été étendu par la création d’un article 222-33-2-2 à toutes les situations. La peine encourue d’un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende est majorée dans certaines circonstance (commission sur un mineur, ITT supérieure à 8 jours etc.).
La même loi a remplacé le terme « agissements » par « propos et comportements ».

En 2018 [7], le législateur s’est attaqué à la notion de répétition nécessaire à la constitution du délit en précisant que l’infraction était constituée lorsque les propos ou comportements étaient imposés par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune des personnes n’a pas agi de façon répétée, ou même en l’absence de concertation lorsque les personnes savent que les propos ou comportements caractérisent une répétition.

Il a également prévu le cas de la commission des faits de harcèlement par le biais d’un support numérique ou électronique.

Depuis 2020 [8], le harcèlement sur conjoint, partenaire de PACS ou concubin est puni plus sévèrement lorsque le harcèlement a conduit la victime à se suicider ou tenter de se suicider : la peine encourue a été portée à 10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende

La prise en compte du harcèlement scolaire dans le Code pénal.

La loi du 2 mars 2022 ajoute une nouvelle pierre à cet édifice de lutte contre le harcèlement en créant un délit spécifique de harcèlement scolaire.

Avant cette loi, la lutte contre le harcèlement dans le cadre scolaire faisait déjà l’objet d’une disposition [9] dans le Code de l’Education, dans le titre relatif aux droits et obligations des élèves. Jugée insuffisante, elle est donc remplacée par une disposition spécifique du Code pénal ainsi que par un nouvel article beaucoup plus détaillé dans le Code de l’Education inséré dans les dispositions générales du Droit à l’éducation, soit dès les premiers articles de ce Code.

La création d’un délit spécifique de harcèlement scolaire (article 222-33-2-3 du Code pénal).

Aux termes du nouvel article 222-33-2-3 du Code pénal, le harcèlement scolaire est constitué par des faits de harcèlement moral commis à l’encontre d’un élève par toute personne étudiant ou exerçant une activité professionnelle au sein du même établissement d’enseignement. La qualification de harcèlement scolaire est également encourue si les faits de harcèlement se poursuivent alors que l’auteur ou la victime n’étudie plus ou n’exerce plus au sein de l’établissement.

Les faits constitutifs du harcèlement moral sont ceux définis à l’article 222-33-2-2 du même Code : des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie de la personne harcelée se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale. La répétition peut être le fait d’un auteur ou de plusieurs auteurs agissant de manière concertée ou non mais qui savent que leur action collective caractérise une répétition.

Les sanctions encourues par les auteurs de harcèlement scolaire.

Des peines d’emprisonnement et d’amende élevées.

Les peines prévues sont élevées : 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende lorsque le harcèlement scolaire n’a pas causé d’ITT ou a causé une ITT inférieure ou égale 8 jours ; 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende lorsque l’ITT causée est supérieure à 8 jours ; 10 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende lorsque les faits ont conduit la victime à se suicider ou tenter de se suicider.

La confiscation des outils ayant servi au harcèlement.

Lorsque le harcèlement a été commis via internet, l’outil d’accès à internet (smartphone, tablette, ordinateur) peut être saisi et confisqué [10].
Stage de formation civique ou stage de citoyenneté
L’auteur du harcèlement peut se voir imposer un stage de formation civique dans le cadre d’une mesure éducative judiciaire [11] ou d’une alternative aux poursuites [12] ou encore un stage de citoyenneté (à la place ou en même temps que l’emprisonnement) [13] comportant un volet spécifique de sensibilisation aux risques liés au harcèlement scolaire.

Dispositions spécifiques de la procédure pénale

Identification des auteurs.

Des réquisitions sont possibles pour obtenir les données techniques de connexion afin d’identifier les auteurs de harcèlement scolaire commis par le biais des réseaux sociaux [14].

Souci du mineur victime.

Afin de préserver le mineur victime de harcèlement, et comme pour les mineurs victimes d’infractions sexuelles, son audition au cours de l’enquête et de l’information peut faire l’objet d’un enregistrement audiovisuel ou sonore [15].

Le dispositif de lutte contre le harcèlement scolaire mis en place dans le Code de l’Education.

Signe de l’importance donnée à la lutte contre le harcèlement scolaire, les principes généraux de l’éducation incluent désormais, dans le droit à l’éducation [16], le principe « qu’aucun élève ou étudiant ne doit subir de faits de harcèlement résultant de propos ou comportements, commis au sein de l’établissement d’enseignement ou en marge de la vie scolaire ou universitaire et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale et de dégrader ses conditions d’apprentissages. Ces faits peuvent être constitutifs du harcèlement scolaire prévu à l’article 222-33-2-3 du code pénal ».

La mise en œuvre de ce principe entraîne l’obligation pour les établissements d’enseignement scolaire et supérieur publics et privés ainsi que le réseau des œuvres universitaires de mettre en œuvre des mesures destinées à « prévenir l’apparition de situations de harcèlement, favoriser leur détection par la communauté éducative afin d’y apporter une réponse rapide et coordonnée, et orienter les victimes, les témoins et les auteurs, le cas échéant, vers les services appropriés et les associations susceptibles de leur proposer un accompagnement ».

Mise en place d’un projet au niveau des établissements.

Dans le public, le projet d’école ou d’établissement élaboré avec les représentants de la communauté éducative doit désormais fixer les lignes directrices et les procédures destinées à la prévention, à la détection et au traitement des faits constitutifs de harcèlement. Les personnels médicaux, infirmiers, assistants de service social et psychologues de l’éducation nationale intervenant au sein de l’école ou de l’établissement doivent être associés à l’élaboration de ces lignes directrices et procédures [17].
Pour les écoles hors-contrat, la prévention du harcèlement scolaire entre dans le champ du contrôle de l’Etat, au titre du contrôle de la protection de l’enfance et de la jeunesse [18].
La lutte contre le harcèlement scolaire ne s’arrête pas au primaire et au secondaire : le réseau des œuvres universitaires (le Crous) se voit ajouter une mission de lutte contre le harcèlement dans le cadre universitaire [19]

Dans leur projet, les établissements peuvent créer des liens avec des associations visant à lutter contre le harcèlement scolaire ou à en soutenir les victimes [20].

Formation de toutes les personnes susceptibles d’intervenir sur des faits de harcèlement.

La formation initiale de l’ensemble des personnels médicaux et paramédicaux, des travailleurs sociaux, des magistrats, des personnels de l’éducation nationale, des personnels d’animation sportive, culturelle et de loisirs, ainsi que des personnels de la police nationale, des polices municipales et de la gendarmerie nationale, doit désormais inclure une formation relative à la prévention des faits de harcèlement et à l’identification et la prise en charge des victimes, des témoins et des auteurs de ces faits.
La formation continue doit également proposer une formation relative à la prévention, à la détection et à la prise en charge du harcèlement scolaire et universitaire.

Information des élèves et parents d’élèves.

Chaque année, les élèves et parents d’élèves devront se voir dispenser une information sur les risques liés au harcèlement scolaire, notamment au cyberharcèlement. Cette information devrait notamment porter sur l’existence de numéros d’appel et inciter par exemple les collégiens à devenir « élèves ambassadeurs » capables de repérer et signaler une situation de harcèlement [21]
Compte-tenu de chiffres du harcèlement, et de la sévérité des peines encourues, une telle information apparaît comme indispensable et on ne peut qu’inciter les établissements scolaires à la mettre en œuvre au plus vite dès le début d’année.

Détection des faits de harcèlement.

Il est prévu que les visites médicales soient un lieu spécifique de vigilance. Cependant, seule celle prévue en maternelle est obligatoire [22]. Pour les enfants plus âgés, les parents peuvent faire dispenser leur enfant de la visite médicale organisée par l’établissement s’ils fournissent un certificat médical attestant que l’examen obligatoire correspondant à l’âge de l’enfant a été réalisé par un professionnel de santé de leur choix [23].

C’est donc plus certainement la formation de la communauté éducative qui devrait permettre une meilleure détection des faits de harcèlement. La mission d’information du Sénat souligne que la détection précoce et donc l’action plus efficace passent par « un bon climat scolaire et une équipe éducative soudée et à l’écoute des signaux faibles [24] ».

Moyens supplémentaires alloués aux établissements scolaires.

La loi rend obligatoire le recrutement d’assistants d’éducation pour exerce des fonctions d’assistance à l’équipe éducative en lien avec le projet d’établissement, notamment pour l’encadrement et la surveillance des élèves [25].

Les manqués de la loi.

Alors que chaque année en France, on estime qu’environ 5 000 enfants doivent être déscolarisés en urgence pour échapper au harcèlement scolaire, on ne peut que regretter que l’Assemblée nationale ait supprimé les dispositions de bon sens adoptées par le Sénat pour permettre aux parents de protéger leurs enfants, parmi lesquelles l’octroi d’une dérogation à la carte scolaire afin de pouvoir inscrire l’enfant dans un établissement d’un autre secteur ou d’une autre commune, la possibilité d’instruire l’enfant en famille en cours d’année y compris si le directeur de l’établissement scolaire ne reconnait pas l’existence du harcèlement, ou encore l’admission du harcèlement comme motif d’accès à la formation à distance du CNED réglementé.
Ces mesures peuvent parfois seules permettre de mettre un enfant à l’abri. A titre d’exemple, la crainte des sanctions pénales sera sans effet sur les mineurs de 13 ans, et pourtant l’on sait que 12% des élèves en primaire sont harcelés, dont 5% de manière sévère [26].

Quant à la lutte contre le cyberharcèlement, et compte-tenu des effets néfastes des réseaux sociaux sur les jeunes régulièrement dénoncés [27], il serait bon de commencer à s’interroger sur les limites d’âge à poser pour leur utilisation. On sait que l’exigence du consentement parental pour l’inscription d’un mineur de 15 ans sur un réseau social [28] n’est pas respectée et on constate par ailleurs que l’interdiction de l’utilisation d’un téléphone portable au primaire et au collège [29] n’est pas suffisante pour lutter contre le cyberharcèlement. Ne serait-il pas temps d’adopter des mesures plus strictes ?

Quoiqu’il en soit, on ne peut que se réjouir que le législateur ait voulu adopter des mesures fortes pour protéger les enfants du fléau du harcèlement scolaire et l’on espère qu’elles vont porter rapidement des premiers fruits.

Olivia Sarton Directrice scientifique de l’Association Juristes pour l’enfance

[1Loi n°2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire (JORF du 3 mars 2022).

[2Synthèse de la mission d’information du Sénat sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement du 22 septembre 2021 : http://www.senat.fr/rap/r20-843/r20-843-syn.pdf

[3Loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale.

[4Loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

[5Article 222-33-2-1 du Code pénal.

[6Loi n°2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

[7Loi n°2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

[8Loi n°2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violence conjugale.

[9Article L. 511-3-1 du Code de l’éducation.

[10Article 131-21 du Code pénal.

[11Article L. 112-2 du Code de justice pénale des mineurs

[12Articles L. 422-1 et L. 422-3 du Code de justice pénale des mineurs

[13Article L. 131-5-1 du Code pénal

[14Article 60-1-2 du Code de procédure pénale

[15Article 706-52 du Code de procédure pénale

[16Article L.111-6 du Code de l’Education.

[17Articles L. 543-1 et L. 401-1 du Code de l’éducation.

[18Article L. 442-2 du Code de l’éducation.

[19Article L. 822-1 du Code de l’éducation.

[20Article L. 312-15, al 6 du Code de l’éducation

[22Article L. 2112-2 du Code de la santé publique.

[23Article L. 541-1 du code de l’éducation.

[24Synthèse de la mission d’information du Sénat sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement du 22 septembre 2021 : http://www.senat.fr/rap/r20-843/r20-843-syn.pdf

[25Article L. 916-1 du Code de l’éducation

[26Rapport d’information de Madame Colette Mélot du 22 septembre 2021, au nom de la mission d’information du Sénat harcèlement scolaire et cyberharcèlement : http://www.senat.fr/rap/r20-843/r20-843.html

[28Article 20 de la loi du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles.

[29Article L511-5 du Code de l’éducation.