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Arrêté du 7 janvier 2022 fixant les règles de réparation forfaitaire des enfants exposés aux pesticides : une bonne nouvelle pour les victimes ? Par Morgane Privel et Stéphanie Paucod, Avocats.
Parution : vendredi 11 mars 2022
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Glyphosate, Chlordecone, pesticides organophosporés ou organochlorés, les scandales relatifs à l’exposition aux pesticides se sont multipliés ces dernières années.
L’ arrêté du 07 janvier 2022 a récemment fixé les règles de réparation forfaitaire des enfants exposés pendant la période prénatale aux pesticides du fait de l’exposition professionnelle de l’un de leurs parents.

Notre analyse aura pour objet de déterminer si les modalités de réparation prévues dans l’arrêté du 07 janvier 2022 permettent de garantir aux enfants victimes d’une exposition aux pesticides durant la période prénatale une indemnisation à la hauteur de leur préjudice.

En 2013, à la demande de la Direction Générale de la Santé, l’INSERM a publié un rapport intitulé « Pesticides : Effet sur la Santé » [1] afin de déterminer les risques sanitaires associés à l’exposition aux pesticides. Ce rapport a récemment été actualisé par de nouvelles données en 2021 [2]. Après avoir étudié un grand nombre de données issues de la littérature médicale et scientifique, l’INSERM a établi qu’il existait un lien de cause à effet entre l’exposition à certains pesticides et l’apparition de nombreuses pathologies, aujourd’hui identifiées.

Sur la base du premier rapport de l’INSERM, et en raison d’un contexte de préoccupation croissante quant à l’utilisation des pesticides et de leurs conséquences sur la santé humaine, le législateur a finalement instauré un dispositif permettant une meilleure indemnisation des victimes de pesticides.

Ainsi, l’article 70 de la Loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020 du 24 décembre 2019 a créé un fonds d’indemnisation des victimes des pesticides (ci après « FIVP ») au sein de la Caisse centrale de la Mutualité Sociale Agricole [3].

Ce fonds d’indemnisation a été créé afin de répondre aux trois objectifs suivants :
1. Faciliter la reconnaissance des maladies professionnelles avec une procédure « plus simple, plus rapide et plus juste » ;
2. Une indemnisation plus équitable des exploitants agricoles ;
3. Permettre une indemnisation, au titre de la solidarité nationale, des exploitants agricoles retraités avant 2002 et des enfants exposés pendant la période prénatale du fait de l’activité professionnelle de leurs parents, catégories qui n’étaient jusque-là pas éligibles aux réparations des régimes accidents du travail maladies professionnelles [4].

Sur la base de ce texte, le décret n°2020-1463 du 27 novembre 2020 a fixé les modalités d’organisation et de fonctionnement du FIVP.

Plus récemment, l’arrêté du 07 janvier 2022 a finalement fixé les règles de réparation forfaitaire des enfants exposés pendant la période prénatale aux pesticides du fait de l’exposition professionnelle de l’un de leurs parents.

Notre analyse aura pour objet de déterminer si les modalités de réparation prévues dans l’arrêté du 07 janvier 2022 permettent de garantir aux enfants victimes d’une exposition aux pesticides durant la période prénatale une indemnisation à la hauteur de leur préjudice.

L’objet de cet article n’est donc pas d’évaluer les modalités de fonctionnement du FIVP pour les victimes directement exposées aux pesticides du fait de leur activité professionnelle mais s’intéressera uniquement à la situation des enfants exposés durant la période prénatale.

Nous examinerons tout d’abord le champ d’application du dispositif, en déterminant les produits et les personnes concernées (I), puis nous analyserons les modalités concrètes d’évaluation des préjudices et d’indemnisation des enfants exposés durant la période prénatale par le FIVP (II).

I. Champ d’application du dispositif.

L’effectivité du dispositif se mesure, outre ses modalités concrètes d’indemnisation, à son champ d’application : concerne-t-il tous les pesticides (A), et quels enfants exposés peuvent prétendre à une indemnisation (B) ?

A. Les pesticides concernés.

Le législateur a retenu une définition extensive de la notion de pesticide, qui n’a pas cessé de s’élargir depuis la proposition de loi initiale et la Loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.

En effet, alors que la proposition de loi initiale ne visait que les produits phytopharmaceutiques [5], la Loi de financement pour la sécurité sociale pour 2020 a également ouvert l’accès au FIVP aux cas d’exposition aux biocides.

Le législateur a décidé de renvoyer aux définitions de droit européen pour les notions de produits phytopharmaceutiques et les produits biocides. Ainsi, le Fonds d’indemnisation est ouvert en cas d’exposition à des produits phyotpharmaceutiques relevant du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 [6] ou à des produits biocides relevant du règlement (UE) n°528/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 [7].

De plus, depuis la Loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022 du 23 décembre 2021, le périmètre du FIVP s’est élargi aux médicaments vétérinaires antiparasitaires au sens du 6° de l’article L 5141-2 du Code de la santé publique [8].

B. Les victimes concernées.

Le FIVP est ouvert aux enfants victimes d’une exposition prénatale du fait de l’activité professionnelle de leur mère ou de leur père.

Ainsi, les enfants exposés pendant la période prénatale peuvent être indemnisés par le fonds dans deux cas de figure :
- lorsque le père de l’enfant a subi une altération de ses spermatozoïdes par exposition à des pesticides en raison de son activité professionnelle avant la conception de l’enfant ; ou
- lorsque la mère ayant porté l’enfant (conçu de manière naturelle ou à l’aide d’une FIV) a elle-même été exposée aux pesticides pendant la grossesse en raison de son activité professionnelle.

Cette ouverture à l’activité professionnelle de l’un ou l’autre des parents permet à l’ensemble des enfants de bénéficier de cette procédure, y compris pour ceux dont la mère ne bénéficiait pas du régime de conjoint collaborateur avant les différentes évolutions législatives.

De plus, cette indemnisation n’est pas conditionnée au régime de sécurité sociale du parent exposé, ce qui permet aux enfants des assurés des régimes spéciaux d’obtenir une réparation de leur préjudice auprès du FIVP.

Cependant, ce système exclut de facto les enfants de riverains des zones agricoles où seraient répandus des pesticides, le critère de l’exposition professionnelle n’étant pas rempli.

Enfin, en application des règles traditionnelles de réparation du dommage corporel, le législateur a prévu que le droit à indemnisation des enfants exposés durant la période prénatale « se prescrit par dix ans à compter de la consolidation du dommage » [9] [10].

II. Modalités concrètes de l’indemnisation des victimes exposées pendant la période prénatale.

Si le champ d’application de l’arrêté peut sembler plutôt large au regard des développements précédents, la procédure d’examen des dossiers (A) et le choix d’un forfait (B), sont-elles favorables pour les victimes ?

A. Modalités concrètes d’examen des dossiers par le FIVP.

En pratique, il convient de s’intéresser à la procédure d’examens des dossiers devant le FIVP, organisée de la façon suivante :
1. Vérification de l’exposition professionnel du parent ;
2. Détermination du lien de causalité entre la pathologie de l’enfant et l’exposition aux pesticides durant la période prénatale ;
3. Évaluation d’un taux d’atteinte.

1. Vérification de l’exposition professionnelle du parent.

Sur la base du dossier complet communiqué par les demandeurs, le FIVP doit tout d’abord vérifier l’existence de l’exposition professionnelle du parent [11].

Le législateur a prévu que, pour vérifier l’existence de cette exposition professionnelle, le FIVP pourra (ce n’est donc qu’une faculté) prendre attache avec l’employeur du parent exposé aux pesticides ou procéder à une enquête.

Ainsi, si le FIVP n’use pas de cette possibilité qui lui est offerte, la charge de la preuve de l’exposition professionnelle à des pesticides pèsera intégralement sur le demandeur ou son représentant légal.

2. Détermination du lien de causalité entre pathologies et exposition aux pesticides.

Une fois l’exposition professionnelle du parent établie, le dossier de l’enfant est transmis à la commission d’indemnisation des enfants victimes d’une exposition prénatale aux pesticides créée au sein du FIVP.

Cette commission devra alors examiner le lien de causalité entre la pathologie de l’enfant et son exposition aux pesticides durant la période prénatale [12].

A ce titre, la commission « procède ou fait procéder, afin notamment d’apprécier si le lien de causalité entre l’exposition et la pathologie est établi, à toutes investigations et expertises utiles, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel ou le secret des affaires » [13].

Il doit être précisé que les textes législatifs ou règlementaires ne prévoient aucune présomption de causalité et que cet examen devra donc être réalisé au cas par cas.

Cependant, nous pouvons d’ores et déjà envisager que la commission se fondera sur les listes indiquées dans l’arrêté (voir ci-après) et sur les données déterminées par le rapport de l’INSERM.

En effet, pour rappel, l’expertise commune de l’INSERM a reconnu une présomption de causalité forte entre l’exposition prénatale aux pesticides d’enfants de parents exposés aux pesticides par leur profession ou en raison de leur utilisation domestique et les troubles du développement neuropsychologique, les leucémies, les tumeurs du système nerveux central et les malformations génito-urinaires.

Cependant, pour les enfants de riverains résidant à moins de 1,5 km de zones d’épandage de pesticides et qui présentent des malformations ou autres pathologies, cette présomption a été qualifiée de faible.

Afin d’anticiper dans quelle mesure le lien de causalité entre l’exposition prénatale et les pathologies présentées par les enfants pourra être ou non reconnu par le FIVP, il peut être opportun d’effectuer une comparaison avec le traitement par le FIVP des premiers dossiers des adultes exposés directement aux pesticides, résumé dans le premier rapport d’activité du Fonds d’indemnisation [14].

A ce titre, il faut donc distinguer les demandes concernant des pathologies « hors tableaux de maladies professionnelles » et les demandes concernant des pathologies « dans le tableau » :

Ainsi, sur les 65 demandes « dans le tableau », le comité de reconnaissance des maladies professionnelles a délivré 51 accords de prise en charge et 14 refus.

A l’inverse, pour les maladies « hors tableau », 74 demandes ont été reçues mais seules 20 demandes ont fait l’objet d’un accord et 54 ont été refusées (soit plus de 2/3 de refus).

Ces chiffres témoignent de l’importante force de présomption pour les maladies dans le tableau, mais aussi des difficultés des victimes à être reconnues et indemnisées lorsque leur pathologie est hors des listes prévues.

Concernant les enfants indirectement exposés aux pesticides durant la période prénatale, il y a malheureusement fort à parier que cette difficulté soit amplifiée.

3. Évaluation d’un « taux d’atteinte » global.

Une fois la nature professionnelle de l’exposition et le lien de causalité entre les pathologies et l’exposition prénatale aux pesticides établis, la demande est transmise à un médecin-conseil du FIVP pour le chiffrage du préjudice.

A ce titre, il doit être précisé qu’avec l’arrêté du 7 janvier, il n’y aura notamment pas d’indemnisation de la tierce personne ou des souffrances endurées : tout est forfaitisé dans un « taux d’atteinte » global. Ce taux d’atteinte global est une création de l’arrêté qui constitue une notion plus large que celle de déficit fonctionnel temporaire ou permanent.

En effet, seul un « taux d’atteinte » sera déterminé par le FIVP et ouvrira droit à indemnisation, au contraire des autres dispositifs d’indemnisation qui font des offres sur des postes plus ou moins inspirés de la nomenclature Dintilhac.

Afin de fixer ce taux d’atteinte, l’arrêté du 7 janvier 2022 a prévu une évaluation in abstracto, en fonction des pathologies développées.

A ce titre, deux cas de figures doivent être distingués :
- Pathologies listées dans l’arrêté du 7 janvier 2022 (a) ;
- Pathologies non mentionnées dans l’arrêté du 7 janvier 2022 (b).

a) Pathologies listées à l’article 4 de l’arrêté du 7 janvier 2022.

L’arrêté du 7 janvier 2022 prévoit une liste de pathologies pour lesquelles des fourchettes de fixation du « taux d’atteinte » ont été prévues. L’arrêté prévoit que ces fourchettes ont une « valeur impérative » et un « caractère contraignant ».

Le taux d’atteinte dans ces fourchettes est fixé en fonction des pièces du dossier. A ce titre, si le principe est celui d’un examen du dossier « sur pièces », la commission peut également procéder à l’examen médical de la victime si elle s’estime insuffisamment informée par le dossier.

Par exemple, les troubles du spectre autistique se voient reconnaître des taux d’atteinte non négligeables, allant de 50 à 100% avant consolidation et de 70 à 100% après consolidation.

Si la commission ne peut pas évaluer le taux d’atteinte des victimes en deçà des fourchettes, elle peut, sur motivation spéciale, augmenter ce chiffrage lorsque la victime présente une importante perte d’autonomie (c’est-à-dire si la victime est dans l’incapacité d’effectuer au moins 7 des 13 actes de la vie quotidienne listés dans l’arrêté du 7 janvier).

b) Pathologies non mentionnées dans l’arrêté du 7 janvier 2022.

A l’inverse, si la pathologie causée par l’exposition prénatale aux pesticides ne figure pas dans l’arrêté, un des membres de la commission devra formuler une proposition sur le taux d’atteinte au médecin conseil, ou le médecin conseil pourra fixer lui-même le taux d’atteinte après expertise sollicitée auprès d’un médecin spécialiste.

Les taux d’atteinte fixés pour les pathologies qui ne figurent pas dans l’arrêté devront donc faire l’objet d’un examen attentif.

Le caractère professionnel de l’exposition, le lien de causalité et les taux d’atteinte étant établis, le FIVP procèdera à une indemnisation forfaitaire des enfants exposés aux pesticides durant la période prénatale.

B. Le choix d’un forfait : une entorse au principe de réparation intégrale ?

1. Principes directeurs de l’indemnisation forfaitaire du FIVP.

Le chiffrage du taux d’atteinte, d’apparence généreux, semble être mis à mal par les modalités d’indemnisation, très restrictives tant sur la période indemnisée (b) que sur le montant du forfait mis en place (a).

a) Forfait fixé en référence au salaire minimum des rentes.

Le choix fait par l’arrêté est d’indemniser les enfants selon un forfait adossé à leur taux d’atteinte.

Ce forfait est fixé en référence au salaire minimum des rentes, mentionné au premier alinéa de l’article L.434-16 du Code de la sécurité sociale, traditionnellement utilisé dans le calcul des rentes pour l’indemnisation des accidents du travail et maladies professionnelles et revalorisé au 1er avril de chaque année. Pour l’année 2021, ce salaire minimum annuel des rentes est fixé à 18 649,91 euros.

Le salaire annuel minimum des rentes est ensuite multiplié par le taux d’atteinte évalué par la commission.

Avant consolidation, ce montant est versé sous forme de rente, et après consolidation, il est capitalisé selon l’arrêté du 22 décembre 2021 modifiant l’arrêté du 27 décembre 2011 modifié relatif à l’application des articles R376-1 et R454-1 du Code de la sécurité sociale.

b) Une période d’indemnisation très limitée : aucune indemnisation de la période antérieure au 01 janvier 2020.

L’arrêté prévoit que l’indemnisation sous forme de rente

« est due à partir de la date de première constatation médicale de la maladie, sous réserve que cette date ne soit pas antérieure de plus de deux ans à la date de dépôt de la demande auprès du fonds. Néanmoins, cette indemnisation ne peut avoir un effet antérieur au 1er janvier 2020, soit à une date antérieure à la création du fonds ».

En conséquence, le FIVP ne versera une rente que pour un délai maximum de 2 ans précédant la demande (si la date de début n’est pas antérieure au 01 janvier 2020) et pour l’avenir. A l’inverse, les fonds d’indemnisation classiques raisonnent en préjudices temporaires et permanents et indemnisent les enfants depuis la date d’apparition des troubles.

2. Comparaison entre la réparation forfaitaire prévue par le FIVP et la réparation intégrale du dispositif valproate de sodium de l’ONIAM.

Afin d’évaluer la pertinence ou non du montant d’indemnisation proposé par le FIVP aux enfants exposés aux pesticides durant la période prénatale, nous avons fait le choix de réaliser une comparaison entre l’indemnisation qui leur est proposée et l’indemnisation offerte aux enfants exposés in utero au valproate de sodium par le dispositif valproate créé au sein de l’ONIAM.

Nous avons fait le choix de cette comparaison car le dispositif d’indemnisation valproate et le FIVP concernent tous deux des victimes exposées avant leur naissance, soit en raison d’une exposition durant la période prénatale aux pesticides, soit en raison d’une exposition in utero au valproate de sodium. De même, ces enfants sont atteints de pathologies comparables : troubles neuro développementaux, troubles du spectre autistiques, malformations.

Nous prendrons pour exemple deux enfants de 12 ans, nés le 08 janvier 2010, tous les deux atteints d’un trouble du spectre autistique, imputable à une exposition in utero au valproate de sodium pour l’enfant X et à une exposition prénatale à des pesticides organophosphorés pour l’enfant Y.

Pour simplifier notre analyse, il sera considéré que leurs préjudices et leurs atteintes sont identiques, et certains préjudices patrimoniaux spécifiques à chaque dossier indemnisé par le dispositif valproate (dépenses de santé, pertes de gains professionnels futurs) ne seront pas intégrés à nos calculs.

On obtient l’évaluation suivante des préjudices de chacun des enfants de leur naissance au 08 janvier 2022, date de leur première indemnisation :

Cependant, alors que le dispositif d’indemnisation valproate de l’ONIAM indemnise les enfants à compter de leur naissance, le FIVP n’indemnisera effectivement les enfants exposés aux pesticides que pour une période très limitée (voir développements ci-dessus).

En conséquence, les enfants X et Y de notre exemple percevront in fine les indemnisations suivantes pour la période de leur naissance au 8 janvier 2022 :

Cela signifie qu’à préjudice égal, l’enfant exposé durant la période prénatale sera indemnisé par le FIVP moins de 10% de ce qu’il aurait pu percevoir s’il avait été exposé in utero au valproate de sodium et indemnisé par l’ONIAM.

Si l’on devait extrapoler ces indemnisation de 12 à 20 ans (date de consolidation envisagée), nous arriverions aux résultats suivants :

En conséquence, les enfants X et Y de notre exemple percevront in fine les indemnisations suivantes de leur naissance à leur consolidation (le 8 janvier 2030) :

Cela signifie qu’à préjudice égal, l’enfant exposé aux pesticides durant la période prénatale sera, au stade de la consolidation, indemnisé par le FIVP 30% de ce qu’il aurait pu percevoir s’il avait été exposé in utero au valproate de sodium et indemnisé par l’ONIAM.

Cependant, cette différence tend encore à s’atténuer avec l’indemnisation versée à compter de la consolidation des enfants (8 janvier 2030 dans le cadre de notre exemple).

En effet, si l’on continue d’extrapoler notre exemple initial, on obtient l’indemnisation suivante :

Cela signifie qu’à préjudice égal, l’enfant exposé aux pesticides durant la période prénatale sera indemnisé par le FIVP 88% de ce qu’il aurait pu percevoir s’il avait été exposé in utero au valproate de sodium et indemnisé par l’ONIAM (hors indemnisation de la perte de gains professionnels ou de l’incidence professionnelle qui peuvent être indemnisés par le dispositif valproate de sodium de l’ONIAM).

De plus, il faut souligner que l’un des choix de l’arrêté est de verser une rente indemnitaire aux parents (ou aux proches) qui ont la victime directe exposée en prénatal aux pesticides, à leur charge et ce jusqu’à la consolidation de l’enfant (ou au plus tard aux 25 ans de l’enfant).

Cette rente s’élève à un montant compris entre 150 euros (pour les victimes directes avec un taux d’atteinte compris entre 10 et 19%) et 650 euros (pour les victimes directes avec un taux d’atteinte compris entre 80 et 100%).

Pour reprendre notre exemple, la mère célibataire de l’enfant X ou Y serait donc indemnisée comme suit, de la naissance à la consolidation de l’enfant :

Ici, on constate que le FIVP offre un régime bien plus favorable pour la victime indirecte, en compensation de l’aide quotidienne qu’elle apporte à la victime directe par rapport au dispositif valproate. En effet, le FIVP n’indemnise pas la tierce personne de la victime directe, mais choisi une indemnisation de l’aidant de la victime jusqu’aux 25 ans de cette dernière.

3. Une forfaitisation conforme au principe de réparation intégrale ?

L’article L491-1 du Code de la sécurité sociale prévoit que les enfants exposés aux pesticides durant la période prénatale « bénéficient, dans des conditions définies par décret en Conseil d’état, d’une indemnité destinée à réparer leurs dommages corporels » et précise que cette indemnisation relève d’une indemnisation au titre de la solidarité nationale et non au titre des régimes d’assurance.

Dès lors, sans remettre en question le système d’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnels, le législateur aurait pu s’appuyer sur le fait que cette indemnisation soit accordée au titre de la solidarité nationale pour permettre une indemnisation intégrale des préjudices des enfants, dès leur naissance.

L’application du principe de réparation intégrale aurait d’ailleurs été cohérente avec les indemnisations prévues par l’ensemble des autres Fonds d’indemnisation créés par l’État dans le cadre de crises sanitaires où une responsabilité collective est établie (amiante, sang contaminé etc.).

En effet, l’ensemble des autres Fonds d’indemnisation prévoient tous une réparation intégrale des préjudices subis.

Cette forfaitisation de l’indemnisation est d’autant plus étonnante lorsque l’on sait le succès très relatif, qu’a connu la dernière expérimentation en la matière, avec le décret Data Just. De vives critiques s’étaient élevées de la part des magistrats et avocats qui craignaient une déjudiciarisation et une standardisation de la réparation du préjudice corporel. C’est pourtant le choix qui a été fait pour les enfants victimes d’une exposition prénatale aux pesticides avec ce référentiel.

Ce choix, bien que présentant l’avantage de la simplicité, ne nous semble pas présenter la garantie d’une indemnisation intégrale pour chacune des familles.

En effet, en raison de l’absence de rétroactivité du dispositif, l’attractivité du FIVP sera très variable, en fonction de la date d’apparition des préjudices des enfants.

Ainsi, le FIVP sera beaucoup plus attractif pour un enfant jeune, dont les pathologies sont récentes, que pour un enfant ayant développé ses troubles plusieurs années avant la création du fonds.

Ainsi, une victime directe ayant subi une maladie grave et traumatique plus de 2 ans avant la création du FIVP ne sera pas indemnisée si elle n’a conservé aucune séquelle, nonobstant les souffrances passées et les conséquences sur sa scolarité par exemple.

Notre principale critique du de l’indemnisation forfaitaire prévue par l’arrêté du 7 janvier 2022 concerne donc son absence de rétroactivité avant la création du FIVP.

III. Conclusion.

La création du FIVP et son ouverture aux enfants exposés aux pesticides durant la période prénatale du fait de l’activité professionnelle de l’un de leurs parents constitue une avancée majeure pour leur indemnisation.

En effet, ces victimes n’étaient pas éligibles aux réparations des régimes accidents du travail et maladies professionnelles de leurs parents et se trouvaient dans l’obligation d’engager de longues et lourdes démarches judiciaires, notamment sur le fondement du régime des produits défectueux, avec un aléa très important.

Cependant, au regard des éléments décrits ci-dessus, l’assistance d’une association, d’un médecin ou d’un avocat spécialisé semble indispensable afin d’accompagner les victimes dans le dépôt d’un dossier complet devant le FIVP, les demandeurs devant :
- Constituer le dossier médical complet de l’enfant concerné ;
- Établir la preuve de l’exposition professionnelle du parent aux pesticides ;
- Apporter tous les éléments permettant de démontrer un lien de causalité entre les pathologies développées et l’exposition aux pesticides durant la période prénatale ;
- Apporter tous les éléments permettant de démontrer l’étendue de l’éventuelle perte d’autonomie de l’enfant (au regard des catégories prévues par l’arrêté du 7 janvier 2022).

Cette assistance sera d’autant plus cruciale si le FIVP ne fait pas usage de ses pouvoirs en matière d’investigations et/ou d’examens médicaux, car la preuve du lien de causalité et de l’étendue du dommage pourra s’avérer difficile à rapporter pour des victimes non accompagnées.

De même, il est indispensable que le FIVP fasse preuve d’une grande clarté et même d’une certaine capacité de pédagogie durant l’ensemble de la phase d’instruction des dossiers. En effet, le choix d’adosser l’indemnisation de ces familles au Code de la sécurité sociale (qui opère de nombreux renvois et cite des tables de capitalisation difficilement accessibles) implique un accompagnement afin que les victimes puissent être en mesure d’estimer si l’offre qui leur est faite correspond ou non à leur situation.

Le FIVP n’en est qu’à ses premiers pas concernant l’indemnisation de ces enfants exposés aux pesticides durant la période prénatale du fait de l’activité professionnelle de l’un de leurs parents.

En effet, le rapport d’activité du Fonds d’Indemnisation des Victimes pour la période du 01 janvier 2020 au 31 août 2021 indique que seules 3 demandes d’enfants exposés en prénatal ont été déposées sur cette période [15].

Or, pour les parents directement exposés aux pesticides, il faut noter que dans une hypothèse large, des travaux de l’IGAS/IGF/CGAAER ont estimé qu’une présomption de causalité entre la maladie et l’exposition aux produits chimiques de la population agricole serait de l’ordre de 10 000 personnes [16]. In fine, si ces personnes exposées aux pesticides ont également eu des enfants, des milliers d’enfants pourraient être concernés par ce dispositif.

Durant les prochaines années, le Fonds devra pouvoir répondre aux demandes de ces victimes et rendre le dispositif attractif, notamment en termes d’intelligibilité et d’accessibilité.

En effet, au regard des dernières publications de l’INSERM qui ont constaté l’apparition de pathologies chez les enfants exposés durant la période prénatale car leurs parents étaient riverains de zones d’utilisation de pesticides, il n’est pas à exclure que le législateur instaure un jour un dispositif d’indemnisation plus large, afin de permettre l’indemnisation de l’ensemble des enfants exposés aux pesticides durant la période prénatale, sans condition d’exposition professionnelle de leurs parents.

Morgane Privel & Stéphanie Paucod [->m.privel.avocat@gmail.com] [->s.paucod.avocat@gmail.com]

[1“Pesticides : effets sur la Santé” ? INSERM 2013 https://www.inserm.fr/expertise-collective/pesticides-effets-sur-sante

[3Article L723-13-3 Code rural et de la pêche maritime.

[6« Produits, sous la forme dans laquelle ils sont livrés à l’utilisateur, composés de substances actives, phytoprotecteurs ou synergistes, ou en contenant, et destinés à l’un des usages suivants :
a) protéger les végétaux ou les produits végétaux contre tous les organismes nuisibles ou prévenir l’action de ceux-ci, sauf si ces produits sont censés être utilisés principalement pour des raisons d’hygiène plutôt que pour la protection des végé­ taux ou des produits végétaux ;
b) exercer une action sur les processus vitaux des végétaux, telles les substances, autres que les substances nutritives, exerçant une action sur leur croissance ;
c) assurer la conservation des produits végétaux, pour autant que ces substances ou produits ne fassent pas l’objet de dispositions communautaires particulières concernant les agents conservateurs ;
d) détruire les végétaux ou les parties de végétaux indésirables, à l’exception des algues à moins que les produits ne soient appliqués sur le sol ou l’eau pour protéger les végétaux ;
e) freiner ou prévenir une croissance indésirable des végétaux, à l’exception des algues à moins que les produits ne soient appliqués sur le sol ou l’eau pour protéger les végétaux
 » (https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:309:0001:0050:FR:PDF)

[7« Toute substance ou tout mélange, sous la forme dans laquelle il est livré à l’utilisateur, constitué d’une ou plusieurs substances actives, en contenant ou en générant, qui est destiné à détruire, repousser ou rendre inoffensifs les organismes nuisibles, à en prévenir l’action ou à les combattre de toute autre manière par une action autre qu’une simple action physique ou mécanique
- toute substance ou tout mélange généré par des subs­tances ou des mélanges qui ne relèvent pas eux-mêmes du premier tiret, destiné à être utilisé pour détruire, repousser ou rendre inoffensifs les organismes nuisibles, pour en prévenir l’action ou pour les combattre de toute autre manière par une action autre qu’une simple action physique ou mécanique
 » (https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2012:167:0001:0123:fr:PDF).

[8« Tout produit antiparasitaire à usage vétérinaire, ainsi que les produits qui revendiquent une action antiparasitaire externe avec une action létale sur le parasite ».

[9Article L491-7 du Code de la sécurité sociale.

[10Étant précisé que des mesures transitoires avaient été mises en place afin de permettre aux enfants dont l’action était déjà prescrite lors de la création du fonds de déposer un dossier jusqu’au 31 décembre 2021.

[11Article R491-5 du Code de la sécurité sociale.

[12Article R491-6 du Code de la sécurité sociale.

[13Article L491-3 du Code de la sécurité sociale.

[15FIVP - Rapport d’activité 2020/2021, p.39

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