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Clause de non concurrence entre masseurs kinésithérapeutes. Par Aurélie Viandier Lefèvre, Avocat.
Parution : vendredi 18 mars 2022
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Dans une décision en date du 2 février 2022, la Chambre Disciplinaire de Première Instance de l’Ordre des Masseurs-Kinésithérapeutes a fait droit en intégralité aux demandes formulées par le cabinet qui intervenait aux côtés de deux masseurs-kinésithérapeutes, assistants collaborateurs.

Les deux masseurs kinésithérapeutes avaient signé un contrat d’assistanat en 2018 contenant une clause de non concurrence libellée en ces termes :

« En cas de cessation des relations contractuelles, l’assistant s’interdira d’exercer sa profession à titre libéral ou salarié pendant une durée de 3 ans, après la fin de contrat auprès de la patientèle attachée au titulaire (…).

En cas de manquement au présent article, l’assistant devra payer au titulaire une indemnité équivalente à une année de chiffre d’affaires du titulaire, l’année civile écoulée faisant référence ».

La spécificité de ce dossier consistait en ce que les deux assistants n’exerçaient, en réalité, pour le compte du titulaire qu’au sein d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

La deuxième spécificité de ce dossier était liée au fait que le titulaire intervenait, par le biais d’assistants libéraux, dans 18 EHPAD répartis sur deux départements dans un périmètre de 100 km aux alentours de Bordeaux.

Les deux assistants ont mis un terme à leur contrat d’assistanat dans les formes prévues au contrat.

Pour autant, ces derniers ont poursuivi leur activité au sein de l’EHPAD, notamment à la demande de la Directrice de l’établissement.

Le titulaire avait saisi le Conseil Départemental de l’Ordre d’une plainte pour manquement aux dispositions des article R4321-55, R4321-99 et R4321-100 du Code de la Santé Publique considérant que les deux assistants avaient méconnu leurs obligations déontologiques en ne respectant pas la clause de non concurrence prévue au contrat.

En l’absence de conciliation, l’affaire a été renvoyée devant la Chambre Disciplinaire de Première Instance qui a considéré qu’il appartenait au Juge disciplinaire, lorsqu’il est saisi d’un grief tiré de ce qu’un masseur-kinésithérapeute aurait méconnu ses obligations déontologiques en ne respectant pas une clause d’un contrat de droit privé, d’apprécier le respect de cette clause dès lors qu’à la date du manquement, elle n’était ni résiliée, ni annulée par une décision de justice, ni entachée d’une inégalité faisant obstacle à son application et susceptible d’être relevée d’office.

La Chambre a poursuivi en indiquant que la clause de non concurrence prévue au contrat litigieux était contraire à la liberté encadrée dont dispose un masseur-kinésithérapeute pour choisir son lieu d’exercice.

La CDPI a ainsi retenu que les conditions particulières d’exercice du titulaire qui intervient par le biais de nombreux assistants sur un périmètre géographique très étendu, faisaient que la clause de non concurrence prévue au contrat, compte tenu de son champ géographique, ne pouvait être proportionnée aux intérêts légitimes du cabinet et qu’elle était, de fait, inopposable aux assistants.

La Chambre en conclut que le moyen tiré de l’illégalité de la clause contractuelle de non concurrence est fondée et indique que les deux assistants n’ont commis aucune faute déontologique en poursuivant leur exercice au sein de l’EHPAD.

Cette décision vient rappeler que la rédaction des clauses de non concurrence prévues dans les contrats d’assistants ou de praticiens libéraux doivent être rédigées avec attention.

En effet, il n’est pas suffisant qu’elles soient limitées dans le temps et dans l’espace pour être déclarées valides.

Un élément important reste un vecteur d’annulation : le fait que la clause soit proportionnée aux intérêts légitimes des parties.

Une clause trop excessive risque donc l’annulation.

Dans ce dossier, le titulaire, conscient de la faiblesse de la clause de non concurrence, avait proposé aux assistants, lors de la rupture du contrat, d’en limiter le périmètre à l’EHPAD au sein duquel ils exerçaient.

Toutefois, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ce qui les ont faits et les titulaires ne peuvent imposer une modification unilatérale de la clause de non concurrence, alors même que les effets de cette modification effectuée dans le but de la rendre régulière pourraient être concrètement favorables aux assistants.

La clause de non concurrence trop restrictive ne peut donc pas être régularisée par le seul souhait d’une partie et sera donc totalement supprimée.

Aurélie Viandier Lefèvre Avl Avocats [->avl@avl-avocats.fr]