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La constitution d’intimé : un acte autonome capital ! Par Arnaud Guyonnet, Avocat.
Parution : jeudi 24 mars 2022
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Brefs propos suite à l’arrêt rendu le 2 décembre 2021 par la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation, pourvoi n° 20-14.480.

Poursuivant sa construction jurisprudentielle [1], la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt le 02 décembre 2021, dont on peut prédire qu’il aura des conséquences importantes sur le plan procédural en raison du rappel des obligations mises à la charge des parties devant la cour d’appel lorsque la représentation est obligatoire.

Par cet arrêt, la Cour de cassation met en garde les appelants (principal ou incident) dans le suivi de la procédure qu’ils initient devant la cour en leur recommandant d’être extrêmement rigoureux et vigilants.

Les faits sont assez simples et peuvent être résumés de la manière suivante : formant un appel, l’avocat indique dans le fichier annexé à sa déclaration régularisée par RPVA que l’intimé est représenté par un autre confrère, ce qui bien sûr ne pouvait pas être le cas.

La mention de l’avocat de l’intimé par l’appelant lui-même est néanmoins reproduite dans le RPVA par le greffe par erreur, ce qui lui sera fatal.

Ainsi, lors de la remise de ses conclusions au greffe dans le délai légal (trois mois en procédure ordinaire : article 908 du CPC / un mois lorsque l’affaire est fixée à bref délai : article 905-2 du CPC), les conclusions sont automatiquement adressées à l’avocat « enregistré » de l’intimé.

S’estimant ainsi parfaitement à l’abri d’une éventuelle difficulté procédurale, l’appelant ne délivre pas ses écritures à l’intimé par voie d’huissier, conformément à ce qu’il aurait dû faire en vertu des dispositions de l’article 911 du Code de procédure civile en l’absence « d’un acte de constitution » de l’intimé.

La caducité prononcée de la déclaration d’appel était inévitable.

L’intérêt de cet arrêt réside surtout dans le fait que la Cour de cassation statue, pour la première fois nous semble-t-il, aussi distinctement sur l’acte de constitution d’un intimé, le définissant ainsi comme est un acte de procédure autonome qui doit faire l’objet d’une notification entre avocats en vertu de l’article 960 du Code de procédure civile.

A l’évidence, cet arrêt est d’importance et va conduire les plaideurs, appelants comme intimés, à être extrêmement précis dans la gestion de leur dossier en appel, au risque de se voir sanctionnés sévèrement.

Cet arrêt est l’occasion de revenir sur l’autonomie d’un acte de constitution (I), dont l’opposabilité résulte de la notification qui est faite entre avocats (II).

I- La constitution, un acte de procédure autonome.

Avec la mise en place du RPVA devant les juridictions françaises, la pratique a développé le seul « enregistrement » d’un avocat, lorsque celui-ci manifeste son intention d’intervenir aux côtés d’une partie, notamment en défense.

Mais est-ce suffisant pour considérer que l’avocat est valablement constitué ?

Rappelons, tout d’abord les textes régissant l’acte de constitution devant les juridictions de l’ordre judiciaire (A), qui ont font un acte de procédure particulier à la charge des parties (B).

A- L’acte de constitution.

La constitution, en tant qu’acte juridique autonome, n’est abordée dans le Code de procédure civile qu’à l’occasion des procédures avec représentation obligatoire tant devant le tribunal judiciaire (1) que devant la cour d’appel [2].

En effet, devant le tribunal de commerce et la Cour de cassation, le code précise simplement que les parties sont tenues, sauf dispositions contraires, de constituer avocat [3], sans renvoyer expressément à la régularisation d’un acte de constitution.

1. L’acte de constitution devant le tribunal judiciaire.

Erigé en principe, « les parties sont, sauf dispositions contraires, tenues de constituer avocat devant le tribunal judiciaire » [4], le défendeur étant tenu en outre de constituer avocat dans le délai de quinze jours de la délivrance de l’assignation [5].

Par ailleurs, il résulte de l’article 764 du Code de procédure civile que

« dès qu’il est constitué, l’avocat du défendeur informe celui du demandeur et adresse une copie de son acte de constitution au greffe ».

Ainsi, le Code de procédure aborde la constitution du défendeur comme un acte de procédure à part entière qui doit être remis au greffe et dont l’information est dénoncée au demandeur.

2. Devant la cour d’appel.

Le même mécanisme est repris devant la cour lorsque la représentation des parties est obligatoire, les parties étant tenues de constituer avocat [6].

L’article 903 du Code de procédure civile précise que « dès qu’il est constitué, l’avocat de l’intimé en informe celui de l’appelant et remet une copie de son acte de constitution au greffe » et l’article 921 du CPC rappelle que l’intimé est tenu de constituer avocat avant la date d’audience lorsque la procédure devant la cour est suivie à jour fixe.

Là encore, l’acte de constitution est donc clairement identifié de manière autonome.

Rappelons ici que seules les modalités de remises des actes de constitution au greffe de la cour ont évolué depuis le décret n° 2009-1524 du 09 décembre 2009 au fil du temps.

En effet, avant la fusion des avoués avec la profession d’avocat, c’est l’avoué de l’appelant qui, se voyant signifier un acte de constitution d’intimé, remettait une copie de celui-ci au greffe en vue de son enregistrement dans le dossier de la cour et dénonçait celui-ci à tous les avoués présents dans la cause en vertu du principe du contradictoire.

Chacun avait donc une parfaite connaissance de l’évolution procédurale du litige devant la cour et de l’arrivée de nouveaux confrères intervenants aux côtés des parties au litige.

B- La constitution, un acte de procédure à la charge des parties.

Dans la mesure où la constitution est définie comme un acte de procédure, il est évident que celui-ci ne peut être mis qu’à la charge des parties et non du greffe.

En effet, s’il appartient bien au greffe de procéder à l’enregistrement des actes de procédure au fur et à mesure que ceux-ci lui parviennent, il faut se garder de penser que l’arrivée de la communication électronique devant nos juridictions a exonéré les parties des charges procédurales qui leur incombent [7].

Le RPVA n’a été conçu que comme un simple moyen technique facilitant la vie des acteurs de justice (magistrats-greffes-avocats) dans la transmission des actes et courriers, évitant en outre de recourir aux huissiers audienciers lors de la signification des actes.

Ainsi, le simple fait de s’enregistrer dans le dossier RPVA de la cour ne peut être suffisant au regard des règles ci-dessus rappelées régissant l’acte de constitution.

Tout praticien sait, lorsqu’il est appelant, qu’il reçoit un simple message électronique l’informant de l’intervention d’un avocat intimé, sur lequel apparaît, outre l’identification de la partie pour laquelle il intervient, sa simple adresse électronique « 00000.dupontmartin@avocat-conseil.fr ».

Au vu de cette seule mention, il est techniquement impossible de s’assurer de l’identité exacte de l’avocat qui manifeste ainsi son intervention dans le dossier.

Outre le fait qu’il n’existe pas un annuaire national de toutes les adresses RPVA des avocats (rappelons que nous sommes plus de 70.000 avocats sur le territoire national selon les derniers chiffres publiés par le CNB [8]), il faudrait considérer qu’il appartiendrait à l’avocat de l’appelant de faire des recherches, parfois longues et difficiles, pour retrouver l’identité et les coordonnées précises de son contradicteur alors qu’il paraît plus normal et plus simple que ce soit l’avocat de l’intimé qui délivre automatiquement ces informations à l’avocat de l’appelant.

Or, il est capital d’être informé de l’identité de son contradicteur et de connaître toutes ses coordonnées au regard des règles déontologiques de confidentialité et au respect du principe du contradictoire.

Cela est d’autant plus important que la constitution emporte élection de domicile [9].

Comment faire pour transmettre un chèque en règlement de l’exécution provisoire dont est assorti un jugement si on ne connaît pas l’adresse de son contradicteur ? Comment communiquer dans un dossier des pièces qui ne peuvent l’être de façon dématérialisée (par ex. en matière de propriété intellectuelle) ?

Les mentions relatives à l’identité et aux coordonnées des avocats à l’occasion d’un acte de constitution sont d’ailleurs pleinement reprises dans le règlement intérieur du Barreau de Paris, RIBP en son article P.42 qui prévoit que

« l’avocat doit faire figurer ses nom, prénom, qualités et adresse dans tout acte extra-judiciaire ou de procédure, accompagné le cas échéant de la raison ou de la dénomination sociale de la structure d’exercice à laquelle il appartient ».

La constitution est ici pleinement affirmée comme un acte autonome de procédure qui doit conduire les avocats à être extrêmement prudents en raison de la responsabilité qui en découle et qui ne peut être mise à la charge du greffe.

II- L’opposabilité de la constitution, source de responsabilité pour l’avocat.

Le second enseignement de l’arrêt rendu le 02 décembre 2021 par la cour de cassation réside dans le fait que pour pouvoir produire un effet l’acte de constitution doit faire l’objet d’une notification entre avocats (A).

A défaut, la seule responsabilité de l’avocat pourra être encourue (B).

A- La notification de l’acte de constitution entre avocats par RPVA.

Par le décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009, le législateur a entendu commencer son œuvre de simplification des procédures judiciaires en instaurant la communication dématérialisée des actes de procédure et des courriers.

D’abord prévue pour les appels formés à compter du 1er janvier 2011, la communication électronique via le RPVA s’est progressivement étendue tant à la procédure de première instance que devant la Cour de cassation.

Prévue aux articles 748-1 et suivants du CPC, la communication électronique a révolutionné le quotidien des praticiens en procédure civile, leur évitant non seulement des frais importants de photocopies et d’huissiers audienciers mais encore des déplacements réguliers au siège des juridictions pour remettre au greffe et notifier les actes de procédure et autres courriers nécessaires à l’instruction des dossiers.

Le second avantage de cette simplification de la communication électronique entre le greffe et les avocats a par ailleurs résidé dans l’exactitude de la date, ce qui permet de faire face à l’éventuelle mauvaise foi (cela arrive parfois) des plaideurs qui affirment avoir régularisé un acte quand ce n’est manifestement pas le cas ou lorsqu’une partie régularise des conclusions au fond quelques minutes avant de régulariser une exception de procédure par voie de conclusions d’incident, laquelle devra être déclarée irrecevable [10].

Devant la cour d’appel, lorsque la représentation est obligatoire, tous les actes de procédure doivent être remis à la juridiction par la voie électronique, à peine d’irrecevabilité [11] et ce n’est qu’en cas de cause étrangère à celui qui l’accomplit, que les actes peuvent être établis et remis ou adressés (par LRAR) au greffe sur support papier.

Par voie de conséquence, contrairement à l’avocat de l’appelant qui ne peut joindre une annexe à sa déclaration d’appel qu’en cas de dépassement des 4 080 caractères permis par le RPVA, celui de l’intimé qui veut se constituer en appel, se doit de joindre à son message un acte de constitution en fichier PDF reprenant, outre l’ensemble des mentions obligatoires relatives à son mandant [12], celles relatives à son identité et à ses coordonnées, en prenant garde que celui-ci soit remis au greffe et notifié à l’avocat de l’appelant.

B- La seule responsabilité de l’avocat.

Rappelons ici que les parties conduisent l’instance sous les charges procédurales qui leur incombent, lesquelles doivent être formées dans les formes et les délais requis [13].

Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation rappelle qu’en vertu de l’article 960 du CPC, la constitution de l’intimé ou par toute personne qui devient partie à l’instance doit être dénoncée aux autres parties par notification entre avocats, telle que celle-ci est définie aux articles 671 à 674 du CPC.

Dans la mesure où seul l’avocat peut être tenu pour responsable des actes qu’il réalise, il est évident que l’acte de constitution n’a pas à être dénoncé par le greffe, l’article 960 du CPC précisant bien que cette dénonciation doit être « par notification entre avocats ».

Ainsi, il ne peut être considéré que l’envoi d’un bulletin de procédure par le greffe aux parties qui ferait mention du nom des avocats présents dans la cause, vaudrait notification de l’acte de constitution des intimés qui ne peut émaner que des parties elles-mêmes.

Outre les éventuelles erreurs d’enregistrement possibles par le greffe, que nous avons déjà pu observer, il n’est pas rare que plusieurs noms d’avocats apparaissent pour la même partie dans les bulletins de procédure, le greffe inscrivant parfois le nom de l’avocat « constitué » et le nom de l’avocat « plaidant ».

Compte tenu des sanctions drastiques imposées par le Code de procédure civile, il est donc recommandé aux praticiens une extrême vigilance pour être sûr de notifier ses actes au bon confrère présent dans la même instance, lequel lui aura préalablement notifié son acte de constitution, puisqu’à défaut il conviendra de dénoncer ses conclusions aux parties « non constituées par voie d’huissier » [14].

Si cette vigilance est assez simple dans un rapport à deux parties au litige, la difficulté s’accroit en cas de pluralité de parties ou en cas de pluralité de déclarations d’appel (jointes ou non) lorsque les intimés se constituent sur certains appels seulement et non sur les autres.

En effet, il n’est pas rare qu’en se constituant, les intimés se contentent de dénoncer leur constitution au seul avocat de l’appelant puisque seul ce dernier apparaît automatiquement dans le RPVA au moment de l’enregistrement son intervention à l’exclusion des autres avocats déjà présents dans la cause et omettent de notifier leur acte de constitution aux autres confrères.

Il est donc important, une fois enregistrés par le greffe et connaissance prise du dossier RPVA, que les avocats qui se constituent dénoncent leur acte de constitution à l’ensemble des avocats présents dans le dossier.

A cet égard, il n’est pas vain de rappeler que contrairement à une idée reçue, aucun texte du Code de procédure civile n’indique que les conclusions valent constitution.

En l’espèce, la solution retenue par Cour de cassation ne peut être qu’approuvée dans la mesure où la Cour de cassation ne fait qu’appliquer une règle simple en apparence, mais complexe dans la pratique.

La sécurité juridique des débats est à ce prix !

Arnaud Guyonnet, avocat spécialiste en procédure d'appel Barreau de Paris.

[1Civ. 2è, 5 sept. 2019, 18-21.717 ; Civ. 2è, 27 fév. 2020, n° 19-10.849 ; Civ. 2è, 4 juin 2020, n° 19-12.959.

[2Selon nous le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 n’a en rien permis de recourir à l’annexe en dehors de l’impossibilité technique issue du dépassement 4080 caractères permis par le RPVA, la locution « le cas échéant » renvoyant expressément à un état de nécessité.

[3853 du CPC pour le tribunal de commerce ; 973 pour la Cour de cassation.

[4Article 760 du CPC.

[5Article 763.

[6Article 899 du CPC.

[7Article 2 du CPC.

[9760 du CPC devant le Tribunal - 899 alinéa 2 devant la cour.

[10Article 74 du CPC.

[11Article 930-1 du CPC.

[12Article 960.

[13Article 2 du CPC.

[14911 du CPC.