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Licenciement pour inaptitude : l’obligation de reclassement doit être exécutée loyalement par l’employeur. Par Frédéric Chhum, Avocat et Annaelle Zerbib, Juriste.
Parution : mercredi 23 mars 2022
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Dans un arrêt du 26 janvier 2022 (n°20-20.369), la Cour de cassation affirme que, malgré trois propositions de reclassement faites à un salarié inapte, l’obligation de reclassement de l’employeur n’est pas satisfaite si elle n’est pas exécutée loyalement.

L’article L1226-12 du Code du travail dispose que l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l’article L1226-10, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail.

La présomption instituée par ce texte ne joue que si l’employeur a proposé au salarié, loyalement, en tenant compte des préconisations et indications du médecin du travail, un autre emploi approprié à ses capacités, aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

1) Faits et procédure.

M. J, engagé le 6 avril 1992 en qualité de conducteur de compacteur par la société Colas Nord-Est, aux droits de laquelle vient la société Colas France, a été affecté à sa demande, à partir de 2011, à un poste d’ouvrier, manœuvre TP.

Il a été placé en arrêt de travail du 4 novembre 2016 au 31 juillet 2017 et a été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail le 1er août 2017.

Trois propositions de reclassement, qu’il a refusées, lui ont été faites le 19 octobre 2017.

Le salarié a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 14 décembre 2017.

Contestant son licenciement, il a saisi la juridiction prud’homale.

2) Sur le moyen de l’employeur.

L’employeur fait grief à l’arrêt de la Cour d’appel de Besançon du 24 janvier 2020 de dire le licenciement sans cause réelle et de le condamner à verser au salarié diverses sommes à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au titre de l’indemnité de préavis et des congés payés afférents, alors

« que lorsqu’un salarié, victime d’un accident du travail, d’une maladie professionnelle ou non professionnelle, est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel il appartient et cette proposition prend en compte, après avis des représentants du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise.

Que l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi dans ces conditions.

Que pour considérer que la société Colas Nord-Est n’avait pas respecté son obligation de reclassement à l’égard de M. J déclaré inapte par le médecin du travail à occuper son poste de manœuvre TP, la Cour d’appel a estimé que l’employeur aurait dû proposer au salarié souffrant d’une hernie discale reconnue comme maladie professionnelle, un poste de conducteur d’engins qui correspondait au premier poste cité par le médecin du travail après une évaluation du niveau des vibrations.

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle relevait que le médecin n’avait pas seulement envisagé le reclassement du salarié en tant que conducteur d’engins mais également dans d’autres fonctions, dont des postes administratifs, en sorte qu’il lui appartenait de rechercher si les trois postes proposés par l’employeur (technicien d’enrobage, géomètre projeteur et technicien de laboratoire) au-delà de ses obligations légales puisqu’il n’était tenu de proposer qu’un seul poste de reclassement, étaient conformes aux préconisations du médecin du travail, la Cour d’appel a violé les articles L1226-2, L1226-10, L1226-2-1 et L1226-12 du Code du travail en leur rédaction issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 et de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 ».

3) Motivation de la Cour de cassation.

La Cour de cassation, dans son arrêt du 26 janvier 2022 (n°20-20.369), rejette le pourvoi de l’employeur.

Elle affirme ainsi qu’aux termes de l’article L1226-10 du Code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, lorsque le salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l’article L4624-4, à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise.

Le médecin du travail formule également des indications sur l’aptitude du salarié à bénéficier d’une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

L’article L1226-12 du même Code dispose que l’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L1226-10, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi.

Il ajoute que l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l’article L1226-10, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail.

La présomption instituée par ce texte ne joue que si l’employeur a proposé au salarié loyalement, en tenant compte des préconisations et indications du médecin du travail, un autre emploi approprié à ses capacités, aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

L’arrêt relève que le médecin du travail, dès son avis d’inaptitude du 1er août 2017, a mentionné le poste de conducteur d’engins comme une possibilité de reclassement, qu’en réponse à une interrogation de l’employeur il a écrit à ce dernier le 4 septembre 2017 que les fortes secousses et vibrations étaient effectivement contre indiquées, mais que les niveaux d’expositions et de vibrations variaient selon le type d’engins, et lui a proposé de venir faire des mesures de vibrations, l’invitant par ailleurs à consulter des documents, un logiciel, et un guide de réduction des vibrations.

L’arrêt ajoute que, dans son courrier du 21 septembre 2017, le médecin du travail cite au titre des postes envisageables, en premier, la conduite d’engins après évaluation du niveau de vibrations.

L’arrêt retient encore que l’employeur ne conteste pas qu’un poste de conducteur d’engins était disponible à proximité, que le salarié a demandé à être reclassé sur un tel poste qu’il avait occupé de 1992 à 2011 et qu’il maitrisait, que l’employeur ne justifie d’aucune évaluation de ce poste avec le médecin du travail, comme celui-ci le lui proposait.

En l’état de ces constatations, dont elle a déduit que l’employeur n’avait pas loyalement exécuté son obligation de reclassement, la Cour d’appel a légalement justifié sa décision.

Le licenciement du salarié est sans cause réelle et sérieuse.

4) Commentaire.

L’article L4624-4 du Code du travail dispose qu’

« après avoir procédé ou fait procéder par un membre de l’équipe pluridisciplinaire à une étude de poste et après avoir échangé avec le salarié et l’employeur, le médecin du travail qui constate qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n’est possible et que l’état de santé du travailleur justifie un changement de poste déclare le travailleur inapte à son poste de travail.

L’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail est éclairé par des conclusions écrites, assorties d’indications relatives au reclassement du travailleur ».

Lorsque le salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle est ainsi déclaré inapte, l’article L1226-10 du Code du travail précise que l’employeur doit lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Le second alinéa de l’article L1226-10 ajoute que la proposition de reclassement doit prendre en compte notamment les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise.

Selon l’article L1226-12 du Code du travail, l’employeur peut en principe rompre le contrat de travail du salarié inapte lorsque :
- Il lui est impossible de proposer un autre emploi au salarié dans les conditions prévues à l’article L1226-10 du Code du travail ;
- Le salarié refuse l’emploi proposé ;
- L’avis du médecin du travail mentionne expressément 1° que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou 2° que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi [1].

La jurisprudence développée par la Cour de cassation antérieurement à la loi « Travail » du 8 août 2016 affirmait que « le refus par un salarié d’un poste proposé par l’employeur dans le cadre de son obligation de reclassement n’implique pas, à lui seul, le respect par celui-ci de cette obligation » (Cass. soc., 25 janv. 2012, n°10-30.687).

La loi n°2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, en posant que l’employeur devait proposer « un autre emploi » au salarié inapte, posait la question de savoir si la proposition de reclassement à un seul emploi suffisait à satisfaire à l’obligation de reclassement.

Dans son rapport, la conseillère à la Cour de cassation rappelait que l’emploi du singulier, à de nombreuses reprises dans les articles du Code du travail, laissait à penser que l’employeur pouvait se contenter d’une seule offre, l’avis des auteurs divergeant sur la question.

En l’espèce, sans répondre explicitement à cette question, la Cour de cassation affirme que cette obligation de reclassement doit être exécutée loyalement.

La Cour de cassation l’affirmait déjà par le passé dans le cas notamment d’imprécision des termes employés dans une proposition de reclassement (Cass. soc., 6 fév. 2008, n°06-44.898).

Dans le rapport de la conseillère à la Cour de cassation, est également rappelé que

« les recherches et propositions de reclassement doivent être « sérieuses ».

L’emploi offert doit être aussi comparable que possible à celui précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail ».

Dans l’arrêt du 26 janvier 2022, l’employeur avait proposé trois postes de reclassement au salarié.

Néanmoins, alors même que le médecin du travail avait explicitement recommandé à deux reprises le reclassement à un poste de conducteur d’engins et avait proposé à l’employeur de procéder à une évaluation du niveau des vibrations, qu’un tel poste était disponible, et que le salarié demandait à être reclassé sur un tel poste, aucune des propositions de reclassement soumise au salarié ne visait un tel poste.

De fait, l’exécution de l’obligation de reclassement de l’employeur n’a donc pas été jugée loyale.

Voir aussi.

- Salarié protégé et licenciement pour inaptitude : que demander devant le juge judiciaire ?
- Licenciement discriminatoire d’un machiniste receveur lié à son état de santé ;
- Nullité du licenciement d’un travailleur handicapé pour absence de mesures visant à maintenir son emploi ;
- Ratp : un receveur machiniste réintégré en appel suite à un licenciement discriminatoire.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[1Article L1226-12 du Code du travail.