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Règlement MiCA : pourquoi faut-il enterrer la preuve de travail ? Par Hélène Brandela, Élève-Avocat.
Parution : lundi 4 avril 2022
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Le projet de règlement MiCA, actuellement en discussion, souligne la volonté du législateur européen d’encadrer les activités liées aux crypto-actifs. A cette occasion, un amendement ayant vocation à interdire du territoire de l’Union Européenne les crypto-monnaies fonctionnant sur un système de consensus par preuve de travail a été rejeté.

Pourtant, la preuve de travail présente de nombreux inconvénients. Le règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets) pourrait ainsi être l’occasion d’abandonner ce fonctionnement au profit d’un fonctionnement différent tel que celui du consensus par preuve d’enjeu.

Le 14 mars 2022, la réglementation MiCA a été présentée devant la Commission des affaires économiques et monétaires du parlement européen. Cette dernière a rejeté l’amendement qui aurait entraîné, de facto, l’interdiction pour les plateformes de lister des crypto-monnaies fonctionnant sur un système de consensus par preuve de travail.

L’existence de cet amendement était principalement justifiée par des considérations environnementales (I), mais la réglementation encadrant les jeux d’argent et de hasard peut également être invoquée en soutien à un changement de modèle (II).

I. Les considérations environnementales à l’appui de l’abandon de la preuve de travail.

Dans une blockchain fonctionnant grâce à la preuve de travail, tous les utilisateurs du réseau ont pour but de miner, c’est-à-dire résoudre des calculs mathématiques complexes afin de remplir les blocs qui composent la blockchain. Dans ce mode de fonctionnement, il existe un « vainqueur » qui est le mineur qui parvient à remplir un bloc en résolvant le problème mathématique le plus rapidement et qui voit ainsi la solution trouvée validée par plus de la moitié des utilisateurs du réseau, utilisateurs qui auront également effectué les calculs en parallèle. La validation des blocs est ainsi réalisée par un mécanisme du consensus qui permet d’assurer que chaque utilisateur du réseau dispose bien de la même information, car tous les utilisateurs auront effectué le même calcul, avant d’enregistrer définitivement une opération dans la blockchain. C’est la raison pour laquelle la blockchain est dite sécurisée : aucune opération ne peut être effectuée sans que plus de la moitié des utilisateurs du réseau ne valide l’opération. Toutefois, un tel mode de fonctionnement est particulièrement énergivore.

En effet, dans le cas d’une blockchain fonctionnant suivant un système de consensus par preuve de travail, tous les mineurs minent en même temps, tentant de résoudre le même problème mathématique, mais un seul d’entre eux verra sa solution validée.

La conséquence est donc qu’un nombre très important d’ordinateurs fonctionne en même temps, travaillant sur le même calcul, alors même qu’une seule solution ne sera finalement retenue. C’est donc pour éviter ce système dans lequel tous les ordinateurs travaillent constamment, en même temps - et inutilement - que plusieurs blockchains ont annoncé vouloir se tourner vers un système de consensus par preuve d’enjeu, vu comme un mode de fonctionnement plus durable. Mais la transition se fait toujours attendre.

En matière environnementale, il convient de rappeler qu’en 2015 s’est tenue la COP21 à Paris. A l’issue de ce sommet, la France s’était engagée, entre autres, à réduire de 50% la consommation énergétique à l’horizon 2050. L’Union Européenne s’est quant à elle engagée à obtenir un objectif de 27% d’économies d’énergies d’ici 2030. Dans un contexte où la France a été condamnée, pour la première fois, en 2021 par le tribunal administratif de Paris pour non-respect de ses engagements climatiques à réparer le préjudice écologique causé, les activités ayant un impact négatif sur l’environnement ne sont plus mises à l’honneur.

En ce sens, il semble qu’un passage à une blockchain plus durable soit souhaitable. La preuve d’enjeu semble être le remède idoine à de telles problématiques environnementales.

Dans le cas d’une blockchain fonctionnant suivant un système de consensus par preuve d’enjeu, seul un mineur sera désigné et aura pour mission de résoudre les calculs. La conséquence d’un tel fonctionnement, qui fait du consensus par preuve d’enjeu un mode de fonctionnement durable, est que seuls les ordinateurs du mineur désigné travaillent à résoudre le problème mathématique. Dans ce système, il est impossible de faire valider l’opération par les autres utilisateurs du réseau car ces derniers n’ont pas effectué le calcul.

La solution qui a été retenue pour s’assurer que la résolution du problème mathématique soit tout de même intègre est que le mineur, pour pouvoir miner, doit « mettre en jeu » une valeur qu’il possède (par exemple du Bitcoin dans le cadre de la blockchain Bitcoin). Il y a donc une incitation pécuniaire : en cas de résolution du calcul permettant la validation d’un bloc, d’un côté le mineur ne perdra pas sa mise, mais de l’autre il gagnera sa « récompense » qui a une valeur pécuniaire.

Un tel mode de fonctionnement par preuve d’enjeu permettrait d’effectuer des économies d’énergie considérables car tous les ordinateurs n’auront pas à fonctionner pour effectuer le même calcul. Chaque utilisateur du réseau qui sera sélectionné pour opérer le calcul sera dédié à ce calcul en particulier.

Une blockchain fonctionnant grâce à la preuve de travail entraîne donc une consommation d’électricité très importante, à l’heure où les considérations environnementales sont au centre des débats et que les politiques appellent de leurs vœux des activités plus responsables et durables. Le passage à la preuve d’enjeu serait donc bienvenu pour permettre la transition vers un mode de fonctionnement des blockchains qui soit plus durable.

Mais au-delà des enjeux environnementaux, il existe une raison juridique qui vient au soutien de l’argumentaire selon lequel il faudrait abandonner la preuve de travail, au profit, notamment, de la preuve d’enjeu : l’existence de la réglementation relative aux jeux d’argent et de hasard.

II. La réglementation des jeux d’argent et de hasard à l’appui de l’abandon de la preuve de travail.

En France, l’article L320-1 du Code de la sécurité intérieure définit le jeu d’argent et de hasard comme : « Toutes opérations offertes au public, sous quelque dénomination que ce soit, pour faire naître l’espérance d’un gain qui serait dû, même partiellement, au hasard et pour lesquelles un sacrifice financier est exigé par l’opérateur de la part des participants ».

On peut donc retenir trois critères posés par ces dispositions : l’espérance d’un gain, le caractère public de l’offre et enfin un sacrifice financier de la part du joueur

Il s’agit alors d’étudier l’application de ces trois conditions posées afin de vérifier si la réglementation applicable aux jeux d’argent et de hasard serait applicable.

1. L’espoir d’un gain.

Cette condition vise l’espoir de gagner toute chose qui aurait une valeur monétaire. Le gain espéré doit être soumis à un minimum d’aléa de sorte qu’il n’y ait pas de certitude quant à son obtention. En effet, il convient ici de revenir aux motivations du législateur qui a édicté cette législation relative aux jeux d’argent et de hasard.

L’adoption de cette législation s’explique par le fait que c’est l’espérance d’enrichissement créé par l’aléa qui crée le caractère addictif d’un jeu, ce qui justifie l’encadrement strict de ce type de jeu. Par conséquent, si le gain est certain, la condition ne sera pas remplie.

En matière de minage de crypto-monnaies, le mineur qui possède les ordinateurs permettant de résoudre les problèmes mathématiques afin de remplir les blocs a l’espoir d’être désigné comme le « vainqueur » afin de bénéficier de la crypto-monnaie en retour.

L’objectif du mineur est donc de voir sa solution être la première validée par les autres utilisateurs, mais celui-ci ne peut avoir de certitudes quant à une telle validation.

L’activité de minage est ainsi motivée par l’espérance d’un gain, gain dont l’obtention n’est pas certaine car avant que le résultat ne soit obtenu le mineur ne peut pas avoir la certitude qu’il gagnera. La condition est donc ici remplie.

2. Le caractère public de l’offre.

La seconde condition requiert que le jeu soit offert au public. A contrario, la législation ne prohibe pas les jeux lorsqu’ils se tiennent dans un cadre purement privé, dans un tel cas ces parties seraient donc légales.

En matière d’activité de minage de crypto-monnaies, le jeu peut être considéré comme accessible au public car chaque personne disposant d’ordinateurs avec une puissance de calcul suffisante a la possibilité de miner. Par ailleurs, afin de pallier l’investissement qui peut être exigé pour entrer dans l’activité de minage, il existe désormais des « pools de minage » qui rassemblent de nombreux investisseurs car elles permettent à des mineurs de s’associer sous une même entité dans le but de miner des crypto-monnaies. Cela rend l’activité de minage d’autant plus ouverte au public qu’elle ne nécessite plus d’investissements colossaux qui ne seraient à la portée que de quelques individus. Par ailleurs, il n’existe aucune restriction ou aucune autorisation spécifique à obtenir en amont afin de pouvoir entrer dans une telle « pool de minage ».

Par conséquent, toute personne ayant le matériel requis peut se lancer dans une activité de minage et ainsi participer à ce qui peut être perçu comme un jeu, jeu qui comporte une récompense à la clé. Le caractère public du jeu peut donc être retenu, la condition est ici remplie.

3. Le sacrifice financier.

Ici, la jurisprudence souligne que le montant de la participation n’importe pas, de sorte que même si le joueur parvient à rapporter une somme supérieure à ce qu’il paye pour pouvoir « participer » au jeu, elle retiendra tout de même un sacrifice financier. Il n’est donc pas nécessaire que le joueur perde globalement de l’argent, il suffit qu’un sacrifice financier soit identifié, peu importe les revenus subséquents.

En matière de minage de crypto-monnaie, cette activité est conditionnée à la détention d’un ordinateur ayant une puissance de calcul suffisante, ce qui suppose un investissement financier pour acquérir ce matériel. De plus, l’activité de minage, qui requiert une consommation d’électricité importante, est également conditionnée au paiement de cette énergie par le mineur, ce qui représente un autre investissement.

En tout état de cause, qu’il s’agisse d’investir dans un seul ordinateur ou dans plusieurs, ou même simplement de rejoindre une « pool de minage » qui requiert une participation financière, au regard de l’interprétation restrictive de cette condition il est possible de considérer que le mineur fait un sacrifice financier pour pouvoir participer aux opérations de minage. En l’absence d’investissement, il n’est pas possible de miner. La condition est donc remplie.

Les conditions relatives à la législation des jeux d’argent et de hasard sont donc remplies dans le cas des activités de minage lorsqu’elles sont exécutées en suivant un système de consensus par preuve de travail. Il conviendrait donc de s’intéresser au passage à un système de preuve d’enjeu, pour lequel le régime juridique applicable pourrait être différent.

Dès lors, il faut étudier si la législation encadrant les jeux d’argent serait encore applicable en cas de passage au système de preuve de détention.

Avec un système de preuve de détention, l’activité de minage resterait une activité requérant un sacrifice financier car dans ce cas de figure les utilisateurs chargés de valider les blocs ne pourraient participer à cette activité qu’en détenant une part de la crypto-monnaie en question, ce qui implique que cette crypto-monnaie ait, au moins en partie, été achetée avec de l’argent ou qu’elle soit le fruit d’un investissement préalable. Par conséquent, en l’absence d’achat de la cryptomonnaie en question il est impossible de pouvoir participer à l’activité de minage. Un sacrifice financier est donc nécessaire pour participer.

Par ailleurs, concernant la condition relative au caractère public de l’offre, elle semble également être remplie dans le cas d’un passage au système consensus par preuve d’enjeu car tout individu a la possibilité de participer à cette activité, la seule condition étant de détenir de la crypto-monnaie. L’achat de crypto-monnaie ne connaît pas de restrictions particulières, tout le monde peut en acheter et ainsi participer, aucune autorisation préalable n’étant nécessaire. En ce sens, la condition relative au caractère public de l’offre semble également être remplie ici car la participation à l’activité de minage est ouverte à tous ceux qui seraient en possession de la crypto-monnaie, or tout le monde peut s’en procurer.

Toutefois, la condition relative à l’espérance de gain semble pouvoir poser quelques difficultés dans l’application de la législation existante. Ainsi, dans le cadre de cette condition, un certain aléa est nécessaire. Néanmoins, dans le cadre d’une activité de minage fonctionnant avec un système de preuve d’enjeu, l’individu désigné pour valider les blocs obtiendra de manière certaine une récompense sous forme de crypto-monnaie. Dans un tel cas, la notion d’aléa semble disparaître car le mineur désigné remportera automatiquement une « récompense » en parvenant à résoudre le problème mathématique. Cela ferait donc échec à l’application de la condition liée à l’espérance de gain, faute d’aléa.

En droit français, au regard des conditions nécessaires à la qualification de jeu d’argent et de hasard, le passage au système de preuve d’enjeu semblerait donc modifier la solution et ainsi éloigner le fonctionnement de la blockchain des conditions requises pour la qualification de jeu d’argent et de hasard. Au-delà des conditions posées par l’article, qui ne vise que l’application du droit français, cela souligne le fait que l’activité de minage par preuve de travail peut présenter des risques similaires à ceux des jeux d’argent et de hasard.

En conclusion, si le mode de fonctionnement de la blockchain par preuve de travail est le plus répandu du fait de sa sûreté, il semble ne plus être adapté aux nouveaux défis que souhaitent relever les politiques européennes. Une transition vers une blockchain fonctionnant suivant la preuve d’enjeu marquerait un tournant, permettant de rendre l’activité plus durable mais permettant également d’opérer une distinction plus claire entre l’activité de minage et les jeux d’argent et de hasard. Dans ce contexte, il paraît discutable qu’un tel amendement permettant le bannissement du minage par preuve de travail sur le sol de l’Union Européenne ait ainsi été rejeté. Ici, il semble que cette décision soit fondée sur des considérations politiques, motivées par les ambitions d’une Union Européenne qui souhaite rester attractive, en particulier face au géant de l’économie numérique situé Outre-Atlantique.

L’adoption à venir du règlement MiCA représente pourtant une occasion de procéder à une transition louable.

Hélène Brandela, Élève-Avocat