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Procès pénal : attention à la peine complémentaire d’inéligibilité. Par Maxime Thiébaut, Avocat.
Parution : lundi 4 avril 2022
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Souvent négligée pour ne pas dire méconnue, la peine complémentaire d’inéligibilité prononcée par le juge pénal sur le fondement de l’article 131-26 du code pénal (A) peut avoir de lourdes conséquences sur la carrière ou l’avenir professionnel de la personne condamnée (B).

A- Principes et fondement légal de la peine d’inéligibilité.

L’éligibilité est un droit composant cet ensemble nommé « droits civiques, civils et de famille » aux côtés : du droit de vote ; du droit d’exercer une fonction juridictionnelle ou d’être expert devant une juridiction, de représenter ou d’assister une partie devant la justice ; du droit de témoigner en justice, autrement que pour y faire de simples déclarations ; du droit d’être tuteur ou curateur.

Le juge pénal peut prononcer l’interdiction de tout ou partie de ces droits. Toutefois,

« l’interdiction des droits civiques, civils et de famille ne peut excéder une durée de dix ans en cas de condamnation pour crime et une durée de cinq ans en cas de condamnation pour délit » [1].

Il est par ailleurs prévu que, dans les cas prévus par la loi, la peine d’inéligibilité peut être prononcée pour une durée de dix ans au plus à l’encontre d’une personne exerçant une fonction de membre du Gouvernement ou un mandat électif public au moment des faits [2].

C’est le cas par exemple pour une personne omettant de remettre une déclaration d’intérêts ou de déclarer une partie substantielle de ses intérêts [3].

Dans certains cas, le juge pénal est contraint de prononcer la peine complémentaire d’inéligibilité, sauf à en décider le contraire par « une décision spécialement motivée » prise « en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ».

Cette peine complémentaire d’inéligibilité obligatoire, mais non automatique, est prévue par l’article 131-26-2 du Code pénal depuis la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017. Le législateur a voté ce texte en 2017 afin de « moraliser la vie publique » et de « renforcer le lien qui existe entre les citoyens et leurs représentants » [4].

Toutefois, la liste prévue par cet article 131-26-2 du Code pénal est copieuse et recouvre un nombre non négligeable d’infractions. Elle ne concerne pas seulement les personnes engagées dans la vie publique (élus, membres du gouvernement, etc.), mais tout citoyen.

Quatorze délits sont énumérés. Pour n’en citer que quelques-uns sans se prêter à l’exercice d’une liste à la Prévert, il s’agit notamment : des violences graves (infirmité permanente, mutilation, incapacité totale de travail pendant plus de huit jours, etc.) ; des agressions sexuelles ; des discriminations ; l’escroquerie ; l’abus de confiance ; les actes de terrorisme ; les délits relatifs aux affaires (Code monétaire et financier, Code de commerce, etc.) ; ou encore, de délits prévus au Code électoral.

Le panel des infractions concernées reste donc large. Il est donc essentiel que le prévenu se renseigne sur les peines complémentaires auxquelles il peut être condamné pour les faits qui lui sont reprochés.

B- Les conséquences de la peine d’inéligibilité.

Les conséquences des peines complémentaires prononcées par le juge pénal ne doivent pas être sous-estimées. Elles peuvent avoir de lourdes conséquences sur le candidat à un emploi public, l’agent public, l’élu ou le militaire.

On comprend facilement à la lecture de l’appellation de cette peine complémentaire qu’un citoyen perdra ses mandats ou ne pourra pas se présenter à une élection.

Ce n’est toutefois que la partie émergée de l’iceberg. Il est en effet important d’avoir à l’esprit que l’interdiction du droit de vote ou l’inéligibilité, prononcée en application de l’article 131-26 du Code pénal, emporte interdiction ou incapacité d’exercer une fonction publique.

L’article L550-1 du jeune Code général de la fonction publique (codification de l’article 24 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983) dispose en effet que « l’interdiction par décision de justice d’exercer un emploi public » conduit à « la cessation définitive de fonctions qui entraine à la radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire ».

Il doit être souligné que, de longue date, bien avant la loi de 1983, le Conseil d’Etat avait dégagé par une décision Sieur Demay [5] le principe qu’un fonctionnaire condamné à la peine complémentaire de privation des droits civiques ou à l’incapacité d’exercer une fonction publique perdait par conséquent la qualité de fonctionnaire. Ce principe était même devenu un « principe général applicable à tous les emplois publics » [6].

L’administration est alors en compétence liée [7] : la radiation des cadres doit être prononcée car il revient au juge pénal d’apprécier, en connaissance des conséquences, si la peine complémentaire doit être prononcée.

Ici apparait donc clairement l’intérêt pour le prévenu agent public d’insister lors de l’audience de jugement devant le juge pénal sur le fait qu’une peine d’inéligibilité entrainera irrémédiablement sa radiation de la fonction publique ou la fin de son contrat.

Que cet agent public condamné définitivement ne compte pas sur une procédure disciplinaire pour se défendre. L’administration n’a pas à apporter d’appréciation sur sa situation [8] ; elle doit seulement tirer les conséquences qui s’imposent de la condamnation pénale prononcée contre l’agent public.

Les militaires semblent logés à la même enseigne lorsque l’on effectue une lecture croisée, d’une part, de l’article L311-7 du Code de justice militaire [9], qui énonce : « Toute condamnation à une peine d’interdiction des droits civiques ou d’interdiction d’exercer une fonction publique, prononcée par quelque juridiction que ce soit contre tout militaire, entraîne perte du grade », et, d’autre part, des dispositions des alinéas premier et troisième l’article L4139-14 du Code de la défense qui disposent : « La cessation de l’état militaire intervient d’office dans les cas suivants : / 2° A la perte de grade, dans les conditions prévues par le Code de justice militaire ».

Dans une décision malgré tout inédite, le Conseil d’Etat a d’ailleurs dernièrement jugé que

« les dispositions de l’article L311-7 du Code de justice militaire (...) se bornent ainsi à tirer les conséquences d’une telle condamnation pénale sur la qualité de militaire et sont dépourvues de caractère répressif » [10].

Que ce soit pour les agents publics ou les militaires, reste à déterminer la date à partir de laquelle la décision de l’administration de radiation de la personne condamnée peut intervenir. En règle général, c’est à partir du moment où la décision de justice est devenue définitive [11].

Toutefois, les membre du Palais Royal jugent que la décision assortie d’une exécution provisoire est à considérer comme une décision à caractère définitif [12].

Reste-t-il finalement un espoir pour l’agent public condamné à un telle peine complémentaire ?

La voie de l’exclusion de la mention au bulletin n°2 du casier judiciaire est intéressante.

L’article 775-1 du Code de procédure pénale dispose en effet que

« l’exclusion de la mention d’une condamnation au bulletin n° 2 emporte relèvement de toutes les interdictions, déchéances ou incapacités de quelque nature qu’elles soient résultant de cette condamnation ».

Ainsi, le Conseil d’Etat a été amené à juger qu’était entachée d’illégalité la radiation d’un agent public dont l’arrêt pénal ordonnait la non inscription à ce bulletin [13]. L’administration est en effet liée à la condamnation pénale, mais rien qu’à la condamnation pénale ; ni plus, ni moins.

L’espoir semble donc permis à travers une requête pour le relevé des condamnations accessoires...

Maxime Thiébaut Avocat associé du cabinet Fidelio Avocats Docteur en droit public www.fidelio-avocats.fr

[1Article 131-26 du Code pénal.

[2Article 131-26-1 du Code pénal

[3Article L220-7 du Code des juridictions financières.

[5CE, Sect., 3 janvier 1936, Lebon A.

[6CE, avis de la Section de l’Intérieur, 11 janvier 1972 ; CE, 28 mai 1982, n° 25468, Lebon A.

[7CE, 25 juillet 1980, Tusseau, n°15363, Lebon A.

[8CE, 5 janvier 1977, ministère de l’éducation nationale contre demoiselle Remy, Lebon A.

[9Dans sa version issue de la loi du 13 décembre 2011.

[10CE, 5 octobre 2021, n°454962, Lebon C.

[11CE, 17 novembre 2010, n° 315829, Lebon B

[12CE, 20 juin 2012, Simonpieri, n° 356865, Lebon A ; dans le sens de l’article 471 du Code de procédure pénal.

[13CE, 10 décembre 1986, n° 50059, Lebon A.